Le soutien de l’Assemblée générale des Nation
unies de l’appel de la Ligue arabe au président syrien Bachar al-Assad de
quitter le pouvoir pour des raisons « humanitaires » rapproche un peu plus
d’une intervention militaire. Le vote adopté par 137 voix contre12, avec 17
abstentions, est non contraignant mais donne le feu vert de l’ONU à la
proposition de la Ligue arabe en faveur d’un changement de régime qui avait
été bloqué au Conseil de Sécurité par la Russie et la Chine.
Face à l’opposition de Moscou et de Beijing, et
compte tenu de la position stratégique de la Syrie au Moyen-Orient en tant
qu’allié de l’Iran, Washington, Paris et Londres doivent avancer avec
précaution. Toutefois, l’intervention dispose maintenant du « visage arabe »
tant souhaité par le gouvernement Obama, d’une légitimité conférée par l’ONU
et de l’autorité implicite de la doctrine de la « responsabilité de
protéger » en vertu de laquelle la guerre avait été menée contre la Libye.
Plutôt qu’une intervention directe, de nombreuses
figures politiques, des journaux et des organismes politiques préconisent
d’armer l’Armée syrienne libre oppositionnelle en guise d’étape préparatoire
et en proclamant des « zones tampon » et « des couloirs humanitaires. » Ceci
requerrait un bombardement de l’OTAN piloté par un ou plusieurs mandataires
locaux dirigés par la Turquie et les Etats du Golfe.
Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé,
a dit mercredi que la France avait déjà entamé des négociations avec la
Russie au sujet d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU
sur la Syrie dans le but de créer des couloirs humanitaires. L’idée qui
avait déjà été avancée de « couloirs humanitaires permettant aux ONG
d’atteindre les zones qui font l’objet de massacres absolument scandaleux
devraient être reprise au Conseil de sécurité, » a-t-il dit sur France Info.
Au Sénat américain, une résolution bipartisane fut
déposée vendredi appelant le gouvernement Obama à fournir à l’opposition
syrienne « un substantiel soutien matériel et technique ».
Ecrivant le 7 février dans le Guardian, Ian
Black et Julian Borger ont souligné que le Conseil de sécurité nationale d’Obama
a dit être en train de préparer un « décret présidentiel » consistant en
« un décret-loi autorisant comme politique optionnelle des actions
secrètes. »
La Turquie qui partage une longue frontière avec
la Syrie et à partir de laquelle opèrent les directions de l’opposition
politique et militaire, le Conseil national syrien (CNS) et l’Armée syrienne
libre (ASL), aurait à jouer un rôle majeur dans une éventuelle attaque
militaire. Sinan Ülgen, un ancien diplomate turc travaillant pour le
Carnegie Endowment for International Peace, a dit qu’Ankara s’était déjà
positionné pour conduire une force régionale soutenant une opération de
l’OTAN. La Turquie avait « brûlé ses ponts » en misant « fortement sur un
changement de régime, » a-t-il affirmé.
Le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes
unis et la Jordanie apporteraient tous leur soutien, y compris une formation
militaire et des armes, comme ils l’avaient fait dans le cas de la Libye.
Le Financial Times s’est rallié à cette
option et a commencé des efforts à la fois ouverts et cachés pour renforcer
le CNS et l’ASL. Le 13 février, un éditorial insistait pour dire que
« chaque effort doit être fait pour développer l’unité et la cohérence
programmatique de ce qui est à ce jour un camp rebelle pour l’instant
querelleur. » L’article poursuivait en disant que le fait d’armer l’ASL
« nécessiterait rapidement d’autres mesures telles des zones protégées pour
les réfugiés qui devront alors être défendus, y compris au moyen d’un
bombardement aérien. »
Le Financial Times a aussi ouvert ses pages
à Radwan Ziadeh, qui a publié le 15 février une rubrique intitulée « Le
Kosovo montre comment l’Occident peut intervenir en Syrie. »
« Les Etats-Unis ont été en
mesure d’aider à créer un Kosovo indépendant en dehors du Conseil de
sécurité de l’ONU, sans perdre un seul soldat américain, » a-t-il écrit.
« Une stratégie d’intervention équilibrée inclurait ce qui suit. D’abord,
comme au Kosovo, la communauté internationale – qu’il s’agisse d’une mission
conjointe ONU-Ligue arabe ou d’une coalition des ‘Amis de la Syrie’ – doit
désigner des zones sûres qu’il convient de protéger par des frappes
aériennes. »
« Une défense basée sur
l’aviation venant d’une telle coalition pourrait aussi servir à protéger les
couloirs humanitaires, » a-t-il ajouté.
Ziadeh fait partie d’un nombre de représentants du
CNS à être cités par les médias pour dépeindre l’intervention militaire
comme une exigence populaire en Syrie. Tout indique cependant une opposition
majoritaire à une intervention même parmi de nombreuses forces opposées à
Assad alors que le soutien encore substantiel pour le régime baathiste est
du à la crainte d’une intervention occidentale dans le but de mettre en
place un régime sunnite qui persécuterait les minorités religieuses.
Ziadeh est un agrégé supérieur à l’Institut pour
la paix des Etats-Unis. Il est le co-fondateur du Centre syrien d’Etudes
politiques et stratégiques à Washington dont il a assuré la direction. Parmi
ses autres fonctions figurent des interventions à Chatham House et à
l’Institut royal des Affaires internationales.
Le « modèle Kosovo » impliquait la construction de
l’Armée de libération du Kosovo (Kosovo Liberation Army, KLA) en un
mandataire militaire américain utilisé pour déstabiliser la situation au
moyen d’une campagne terroriste en fournissant ensuite un véhicule pour une
intervention ouverte. Le CNS et l’ASL servent conjointement la même
fonction, tout comme l’avait fait le Conseil national de Transition en
Libye.
Ceci requiert de grands efforts pour adapter l’ASL
au but recherché. Jeffrey White, un spécialiste à l’Institut pour la
politique au Proche-Orient à Washington, a dit au magazine Foreign Policy,
que le nombre des forces de l’ASL se situait entre 4.000 et 7.000, nettement
moins que les 40.000 qu’elle revendique. Son commandement en Turquie n’a
qu’un contrôle opérationnel restreint et il existe une lutte perpétuelle
quant à qui le dirige – le colonel Riad al Assad qui est soutenu par la
Turquie ou le transfuge de haut rang du régime, le général Moustapha
al-Cheikh.
Lors d’une conférence de presse vendredi à Paris,
le président Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique, David
Cameron, ont insisté pour exiger l’unité de l’opposition syrienne. Sarkozy a
dit qu’ils ne pouvaient pas faire la révolution en Syrie sans que
l’opposition syrienne fasse maintenant l’effort de s’unir. Il a poursuivi en
disant qu’en Libye il aurait été impossible d’avoir la révolution sans les
Libyens et qu’il ne sera pas possible d’avoir une révolution syrienne sans
que l’opposition syrienne fasse un effort de s’unir afin qu’ils puissent
l’aider plus.
Une réunion a à présent été organisée du Groupe
des amis de la Syrie, dirigée par Juppé et le ministre turc des Affaires
étrangères, Ahmet Davutoglu, dans le but de lutter contre les divisions qui
existent au sein de l’ASL en la plaçant fermement, grâce au CNS, sous la
direction de l’Occident.
Malgré ses divisions internes, l’ASL et les agents
de diverses puissances régionales opérant sous sa tutelle sont depuis des
mois en train de monter une opération de déstabilisation de type KLA. Le
journaliste Nir Rosen, qui a récemment passé un certain temps avec des
combattants de l’opposition, a accordé une interview révélatrice à Al
Jazeera qui est propriété du Qatar et qui soutient farouchement le
soulèvement anti-Assad. Lors de l’interview, il a clairement fait savoir que
l’opposition avait pris les armes « très tôt. » Il a remarqué que « dès
l’été il y avait régulièrement des embuscades contre des agents de
sécurité » alors que le mouvement « se transformait en une insurrection
classique. »
L’opposition reçoit des fonds de la « diaspora
syrienne qui est liée à des mouvements islamistes tels les Frères musulmans
ou à des religieux conservateurs dans le Golfe [qui] envoient également de
l’argent à certains groupes, » a-t-il dit.
Dans un commentaire allant à l’encontre d’une
grande partie de la propagande utilisée pour justifier l’intervention, il a
ajouté, « Tous les jours l’opposition publie un bilan des victimes,
généralement sans préciser les raisons des décès. Nombre de ceux qui
auraient été tués sont en fait des combattants de l’opposition mais la cause
de leur décès est cachée et ils sont décrits dans les rapports comme étant
d’innocents civils tués par les forces de sécurité, comme s’ils n’étaient
que de simples manifestants ou de gens se trouvant à leur domicile. »