Les mesures d'austérité exigées par la
troïka (la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque
centrale européenne) poussent la Grèce vers une révolution. La manifestation de
100.000 personnes dimanche soir devant le parlement grec et les émeutes qui ont
éclaté après que la police a violemment attaqué la manifestation représentent
un tournant très net de l'état d'esprit de la population grecque.
Pratiquement personne ne croit que les
mesures d'austérité sortiront la Grèce de la crise. L'affirmation répétée du
gouvernement que l'unique alternative aux coupes sociales brutales est la
faillite de l'Etat et un désastre économique n'a plus aucune impact parce que
les mesures d'austérité actuelles sont déjà en train de produire une
catastrophe.
« L'unique choix qui nous est permis
c'est le choix entre différentes formes de mort, » a dit un manifestant
d'une cinquantaine d'années à un journaliste.
Dix-huit mois d'austérité ont produit un
déclin social sans précédent par temps de paix. Les salaires et les traitements
du secteur privé ont baissé de 20 pour cent et dans le secteur public jusqu'à
50 pour cent. Plus d'un million de Grecs, un adulte sur cinq et un jeune sur
deux, sont au chômage. Seuls un tiers d'entre eux touchent des allocations
chômage qui vont maintenant passer de 460 euros (600 dollars) à 360 euros (470
dollars) par mois.
Le nouveau plan de rigueur adopté dimanche
soir forcera la classe ouvrière et de vastes couches de la classe moyenne à
engager une lutte à mort pour la survie. D'ici 2015, 150.000 fonctionnaires de
plus seront licenciés et 11,4 milliards d'euros de plus seront soustraits au
budget, entraînant encore plus de coupes dans les salaires du secteur public.
Avec le prix des produits de base se situant au niveau de ceux de l'Europe de
l'Ouest, survivre deviendra impossible pour beaucoup de personnes, notamment si
elles doivent soutenir des membres de leur famille qui se trouvent dans la
misère.
On n'a pas besoin d'être un mathématicien de
génie pour voir que ces mesures ne résoudront pas la crise de la dette mais ne
feront que l'aggraver. Tous les indicateurs économiques sont tournés vers le
bas. L'économie s'est contractée de 7 pour cent l'année dernière et la
production industrielle de 16 pour cent. Malgré une augmentation du taux de la
TVA les recettes provenant de cette taxe ont chuté de 19 pour cent du fait que
60.000 entreprises, petites et familiales, ont fait faillite. On s'attend cette
année à 50.000 faillites de plus.
Le budget gouvernemental est maintenant dans
le noir si l'on ne tient pas compte du paiement des intérêts et du
remboursement de la dette. Mais le niveau du service de la dette a augmenté
l'année dernière, passant de 140 à 160 pour cent du produit intérieur brut.
Il est clair que le traitement de choc
prescrit par la troïka à la Grèce et appliqué par le gouvernement grec ne vise
pas à « sauver » le pays ou à rééquilibrer le budget. Son objectif
est bien plutôt de servir d'exemple et d'intimider la classe ouvrière dans les
autres pays européens, en indiquant une bonne fois pour toute où se trouve le véritable
pouvoir.
Le caractère de classe des coupes ne
pourrait être plus évident. Alors que les chômeurs et les travailleurs tant du
secteur public que privé sont saignés à blanc, la riche élite du pays s'en tire
indemne. Elle a depuis longtemps transféré son capital vers des marchés
financiers et immobiliers à l'étranger.
Les mesures d'austérité grecques sont le fer
de lance d'une offensive internationale menée par l'aristocratie financière et
qui vise à décharger sur le dos de la classe ouvrière l'impact total de la
crise financière de 2008 que cette même élite financière avait provoquée. Les
revenus, les acquis sociaux du passé et les droits démocratiques des
travailleurs subissent partout des attaques. Le gouvernement allemand, qui a
adopté une attitude particulièrement arrogante envers la Grèce, traite avec la
même arrogance les travailleurs sans emploi d'Allemagne et agira envers eux de
façon encore plus impitoyable s'il réussit à le faire en Grèce.
La classe ouvrière grecque, qui a connu
l'occupation nazie, la guerre civile et la dictature militaire, n'acceptera pas
une nouvelle dictature du capital financier sans livrer bataille. Le mélange de
désespoir et de colère qui s'est exprimé dimanche soir s'intensifiera
inévitablement et s'orientera vers une révolution.
Les élections parlementaires prévues pour
avril n'offrent aucune solution, et encore faudrait-il qu'elles se tiennent.
Les deux partis qui soutiennent l'actuel gouvernement sont en train de se
désagréger rapidement et ne seront guère en mesure de s'assurer un gouvernement
majoritaire. Selon les derniers sondages, le parti social-démocrate PASOK, qui
avait remporté les élections en 2009 avec 44 pour cent des voix, a dégringolé à
8 pour cent, et le parti conservateur Nouvelle Démocratie (Nea Dimokratia) se situe
à environ 30 pour cent.
Les trois plus grandes organisations de
« gauche » - la Gauche démocrate (DIMAR), la coalition de la Gauche
radicale (SYRIZA) et le Parti communiste stalinien (KKE) - dépassent
actuellement tous ensemble dans les sondages 40 pour cent. Mais ces trois
organisations ont une longue histoire de subordination à l'Etat bourgeois.
La Gauche démocrate défend l'Union
européenne et a indiqué que certaines coupes sont inévitables et propose de
transférer 60 pour cent de la dette grecque à l'UE. SYRIZA a longtemps défendu
le PASOK et réclame à présent une coopération de tous les partis de
« gauche » lors des élections.
Le KKE fait campagne contre les mesures
d'austérité et appelle à une séparation de l'UE, à une annulation unilatérale
de la dette du pays, et même à « un pouvoir ouvrier et citoyen ».
Mais, le parti n'a jamais rompu avec ses traditions staliniennes et, en temps
de crise, a à maintes reprises promu le nationalisme, collaboré avec la classe
dirigeante et trahi la classe ouvrière. En 1989, le KKE avait même formé un
gouvernement de coalition avec le parti conservateur Nouvelle Démocratie.
Si certains de ces partis devaient entrer au
gouvernement en avril, ils mettraient tout en oeuvre pour brider la classe
ouvrière et l'empêcher de lutter. En paralysant la classe ouvrière, ils
renforceraient l'extrême-droite qui tente d'exploiter la crise et d'ouvrir la
voie à une prise de pouvoir de l'armée.
Un tel gouvernement de « gauche »
serait comparable au gouvernement de Front populaire de Léon Blum qui était
arrivé au pouvoir en 1936 en France sur une vague de luttes ouvrières, pour
poignarder la classe ouvrière dans le dos durant la grève générale qui
s'ensuivit. La trahison du Front populaire ouvrit la voie au retour au pouvoir
de l'extrême droite. Quatre ans plus tard, ces forces droitières agirent selon
leur slogan électoral « Mieux vaut Hitler que Blum » et mirent en
place le régime autoritaire de Vichy qui collabora étroitement avec
l'occupation nazie en France.
Pour lutter contre le programme d'austérité
de la troïka, la classe ouvrière grecque a besoin d'un programme
révolutionnaire indépendant et de nouvelles organisations qui se consacrent à
la lutte plutôt qu'à la collaboration de classe. Lorsque le gouvernement et les
partis le soutenant oeuvrent pour la destruction des moyens de subsistance de
la population et détruisent les systèmes de santé et d'éducation, alors la
classe ouvrière doit assumer elle-même la responsabilité de diriger le pays.
Des comités d'action doivent être mis en
place sur les lieux de travail et dans les quartiers afin d'organiser la lutte
contre les mesures d'austérité et pour préparer la défense de la classe
ouvrière contre des attaques des fascistes et de l'armée. Les comités d'action
doivent être indépendants de l'appareil syndical qui coopère avec l'Etat et les
partis bourgeois dans le but de faire payer la crise à la classe ouvrière. De
tels comités doivent coordonner leurs luttes au niveau national et établir le
contact avec les travailleurs d'Espagne, du Portugal, de l'ensemble de l'Europe
et du monde entier.
De tels comités peuvent jeter les bases d'un
gouvernement ouvrier consacré à l'expropriation des banques et des grands
groupes ainsi qu'à la réorganisation de l'économie sur une base socialiste,
dans le but de satisfaire les besoins sociaux et non d'accroître la richesse
d'une élite financière.
Une telle lutte ne peut être victorieuse
qu'à l'échelle internationale. Il doit être mis un terme à l'Union européenne
des banques et des grands groupes pour la remplacer par les Etats socialistes
unis d'Europe. La condition préalable en est la construction d'une nouvelle
direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Tel est le programme pour
lequel lutte le Comité international de la Quatrième Internationale et ses
sections.