Les drones arrivent aux Etats-Unis
Par Bill Van Auken
23 février 2012
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Un amendement à peine remarqué à un projet de loi
de crédits de 63 milliards de dollars de la Federal Aviation Authority a des
implications inquiétantes pour les droits démocratiques aux Etats-Unis.
Le président Barack Obama a promulgué le 14
février la loi « FAA Modernization and Reform Act of 2012. » Celle-ci
prépare la voie à une vaste extension de l’utilisation de « véhicules
aériens autonomes » (UAV) communément appelés drones, sur le territoire
américain.
La législation, adoptée au début du mois, souligne
le lien qui existe entre la croissance explosive du militarisme américain à
l’étranger et la progression constante de la répression d’Etat policier à
l’intérieur du pays.
Les drones sont devenus tristement célèbres dans
le monde entier comme instruments de l’agression militaire américaine et
outils de meurtre dans la « guerre mondiale contre le terrorisme. » Leur
emploi a augmenté de façon exponentielle au cours de la dernière décennie.
En 2001, l’arsenal militaire américain comptait à peine 50 drones. A
présent, cet arsenal comprend une flotte d’environ 7.500 unités, allant des
drones légers Raven utilisés pour la surveillance à ceux plus connus, comme
les Predators et les Reapers, capables de planer sans être vus au-dessus de
cibles humaines pendant une durée pouvant aller jusqu’à 28 heures et de
tirer des missiles Hellfire aux effets dévastateurs.
Il y a à peine un mois, Obama avait publiquement
loué ce qui est ostensiblement une guerre secrète des drones au Pakistan,
bien que la population pakistanaise sache parfaitement qui était responsable
de la pluie mortelle qui s’était abattue sur les villages appauvris dans les
régions tribales du pays. Les frappes de drones ont été drastiquement
augmentées sous le gouvernement Obama. Elles ont fait près de 2.700 victimes
depuis 2004, dont une grande majorité d’hommes, de femmes et d’enfants sans
armes.
Les drones ont été utilisés pour commettre les
meurtres de la CIA au Yémen, en Somalie et ailleurs. Parmi leurs cibles se
trouvaient des citoyens américains comme le religieux musulman Anwar
al-Awlaki né au Nouveau Mexique qui fut condamné à mort sur demande du
président américain sans avoir jamais été inculpé ou sans que la moindre
preuve n’ait jamais été apportée à son encontre devant un tribunal.
Ces massacres et ces assassinats sont effectués
par télécommande, le personnel de la CIA et de l’armée ciblant leurs
victimes depuis des écrans d’ordinateurs situés dans des cabines, dans le
désert de Nevada ou des bureaux près de Langley, en Virginie.
A présent cette technologie rentre au pays. La
législation, signée la semaine dernière par Obama, prévoit que la FAA
accélère, d’ici 90 jours, le processus par lequel les agences
gouvernementales peuvent obtenir la permission d’utiliser leurs propres
drones sur le sol américain. Les drones plus légers doivent voir leur
utilisation autorisée presque immédiatement par n’importe quelle « agence de
sécurité publique gouvernementale ». Dans un délai de six mois, la FAA doit
établir un programme pilote pour intégrer les drones dans le « système de
l’espace aérien national» dans six régions tests réparties sur l’ensemble du
territoire.
D’ici à 2021, quelque 30.000 drones pourraient
être utilisés dans le ciel américain – dont des UAV appartenant à l’armée, à
la police et à des sociétés. Ils sont déjà utilisés par le Département de la
sécurité intérieure des Etats-Unis pour la surveillance des frontières
américaines.
La force motrice clé se cachant derrière la
législation est l’Association internationale pour les systèmes de véhicules
sans pilotes (Association for Unmanned Vehicle Systems International), dont
les membres comprennent des géants du complexe militaro-industriel tels
Lockheed Martin, Boeing, General Dynamics, Northrop Grumman et Raytheon. Ce
sont leurs lobbyistes, à ce qu’on rapporte, qui ont rédigé le texte de cette
loi. Le marché des dromes atteint déjà 6 milliards de dollars par an et
devrait doubler dans les dix prochaines années.
Dans un premier temps, cette prolifération de
drones prépare le terrain à une vaste expansion de l’espionnage des citoyens
américains par l’Etat. Les drones peuvent être équipés d’un matériel
sophistiqué capable non seulement de photographier et de faire des
enregistrements vidéo des faits et gestes d’un individu une fois qu’il a
quitté sa maison mais aussi d’intercepter des communications électroniques
et des appels sur des téléphones mobiles.
« Les drones fournissent un nouvel et puissant
instrument de surveillance au gouvernement et à d’autres opérateurs (d’UAV)
pour la collecte vaste et envahissante de données sur les « mouvements et
activités » des américains, a mis en garde la semaine passée Jennifer Lynch,
l’avocate d’Electronic Frontier Foundation (EFF), au moment où celle-ci
intentait une action en justice réclamant des informations sur des
autorisations déjà accordées par le gouvernement pour l’utilisation de
drones dans l’espace aérien.
De plus, il n’y a aucune raison de penser qu’à
l’intérieur des Etats-Unis les drones ne sont pas armés, mettant à profit
sur le territoire américain l’expérience acquise par le gouvernement
américain dans ses massacres au Pakistan et dans l’assassinat d’Awlaki. A
cet égard, il vaut la peine de rappeler les arguments mis en avant pour
justifier l’adoption de la Loi d’autorisation de la Défense nationale
(National Defense Authorization Act) signée par Obama en décembre dernier.
Par cette loi, le Congrès américain avait entériné
les pouvoirs extraconstitutionnels du président pour condamner quiconque, y
compris les citoyens américains saisis sur le sol américain, à la détention
militaire indéfinie sans procédure juridique.
La logique avancée par les partisans au Congrès
est que la « guerre mondiale contre le terrorisme » a transformé l’ensemble
de la planète en un champ de bataille, y compris les Etats-Unis eux-mêmes.
Il n’y a aucune raison qu’un gouvernement qui accepte cette revendication
réactionnaire hésite à recourir aux drones pour tuer des gens aux
Etats-Unis, alors qu’il les utilise régulièrement pour des assassinats à
l’étranger.
Avec le soutien du gouvernement Obama, et à la
fois des partis tant démocrate que républicain, et sans que le moindre mot
d’opposition ne soit venu des médias ou de l’establishment politique
en général, la machinerie est en train d’être mise en place en vue de
l’établissement d’un Etat militaro-policier complet.
Ce qui sous-tend ce processus c’est la
polarisation sociale sans précédent entre l’aristocratie financière qui
monopolise la richesse et le pouvoir et la population laborieuse,
l’écrasante majorité de la population.
Dans des conditions où la crise du capitalisme
mondial a aggravé cette polarisation et donné naissance aux premiers signes
d’un renouveau de la lutte de classe, l’élite dirigeante se tourne vers les
mêmes méthodes sanglantes pour défendre sa mainmise sur le pouvoir à
l’intérieur du pays qu’elle a utilisées pour la promotion de ses intérêts à
l’étranger.
(Article original paru le 21 février 2012)