Avec l'arrivée à échéance du délai fixé par le
plan de paix de l'ONU pour le retrait des troupes syriennes des grandes villes,
Washington et ses alliés ont accentué leurs menaces d'intervention dans ce pays
du Moyen-Orient.
Suivant les dispositions de ce plan en six
points établi par l'ex-secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, les
troupes syriennes et leurs armes lourdes, y compris les chars, auraient dû être
retirés des villes et villages d'ici le 10 avril, en prélude à un cessez-le-feu
appliqué 48 heures plus tard par les forces gouvernementales ainsi que les
forces de l'opposition armée soutenues par les occidentaux.
Il devient de plus en plus évident que le plan
d'Annan, soutenu par le Conseil de sécurité comme par la Ligue arabe et accepté
par le gouvernement du président Bashar el-Assad, n'est qu'une manoeuvre visant
à légitimer l'intervention impérialiste de Washington, des puissances d'Europe
occidentale, de la Turquie et des monarchies pétrolières réactionnaires du
Golfe.
Les reportages publiés dans les grands médias
foisonnent d'accusations contre le gouvernement Assad qui aurait « défié »
le plan d'Annan et qui poursuivrait ses atrocités contre les civils,
apparemment sans avoir été provoqué. Des estimations largement exagérées du
nombre de victimes, données par des sources contrôlées par l'opposition - et
financées par les Saoudiens - telles que l'Observatoire syrien des droits de
l'Homme, installé en Grande-Bretagne, sont citées comme des faits avérés, alors
que la mort de soldats syriens et de policiers est à peine mentionnée. Dans une
lettre adressée au Conseil de sécurité jeudi, Annan a dit qu'il « s'inquiétait
beaucoup du cours des événements » en Syrie.
Il a déclaré que « des rapports crédibles
indiquent que [.] les forces armées syriennes ont mené des opérations
militaires constantes dans les grandes villes, caractérisées par des mouvements
de troupes vers l'intérieur des villes, avec l'appui de tirs d'artillerie. Si
certaines troupes et armes lourdes ont été retirées de certaines villes, il
semble que ce ne soit en général que pour repositionner des armes lourdes qui
maintiennent toujours les villes à portée de tir. »
L'ex-secrétaire général de l'ONU a rejeté
d'emblée une requête du gouvernement syrien le 8 avril qui demandait que l'ONU
obtienne des garanties écrites de la part des groupes armés telle l'Armée
syrienne libre d'arrêter les actes terroristes et de la part des pays de la
région de ne plus financer et armer ces factions.
Lors d'une conférence des « Amis de la
Syrie » à Istanbul le 1er avril - une semaine après que le
gouvernement Assad a signé le plan d'Annan - l'Arabie saoudite et le Qatar ont
annoncé qu'ils ne se contentaient pas d'armer les « rebelles », mais
qu'ils allaient leur verser des salaires. Parallèlement, les États-Unis et
la Grande-Bretagne leur ont promis une aide « non-mortelle, » ce qui
comprend des moyens de communication sophistiqués, des lunettes infrarouges, et
toutes sortes d'informations pouvant servir à attaquer les forces
gouvernementales.
En dépit de ces tentatives évidentes d'attiser
la guerre civile en Syrie, Annan a qualifié les requêtes du gouvernement Assad
de « stipulations à postériori qui ne font pas partie du plan en six
points qu'ils ont promis d'appliquer. »
Plus tôt dans la journée de mardi, le ministre
russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a annoncé que le gouvernement
syrien ne demandait plus de garanties écrites de la part des groupes
d'opposition, mais simplement des assurances de la part d'Annan que les groupes
soutenus par l'occident, l'Arabie saoudite et le Qatar cesseraient les actions
armées et que leurs commanditaires étrangers soutiendraient le plan de paix.
Lavrov s'exprimait après deux journées de
négociations avec le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid al-Moallem,
à Moscou. Il a dit que le gouvernement Assad « aurait pu être plus actif
et décidé » à appliquer le plan d'Annan, mais a ajouté que Damas veut
toujours tenir ses engagements.
La Russie, comme la Chine, a opposé son veto à
deux résolutions précédentes du Conseil de sécurité, parce qu'elles ne
mentionnaient pas les actions militaires des groupes comme l'Armée syrienne
libre et leur revendication d'un départ d'Assad. La Russie et la Chine avaient
laissé faire les États-Unis et l'OTAN dans la guerre pour un changement de
régime en Libye en n'exerçant pas leur droit de veto, elles ont compromis leurs
intérêts dans ce pays riche en pétrole au cours d'une guerre qui a fait des
dizaines de milliers de victimes.
S'étant portée volontaire pour négocier le
plan d'Annan, la Russie s'est exposée à des pressions de plus en plus fortes de
l'occident pour admettre une action contre la Syrie qui recevrait l'aval de
l'ONU si le gouvernement Assad ne se plie pas aux termes du plan. La Syrie
étant un partenaire commercial majeur de Moscou et abritant le seul port dont
elle dispose outre-mer, le gouvernement russe se trouve plongé dans une crise
de plus en plus sérieuse concernant les événements syriens.
Lundi, deux incidents impliquant des troupes
syriennes ayant ouvert le feu par-delà les frontières du pays ont fait monter
la tension et évoqué le spectre d'une guerre civile attisée par l'occident qui
pourrait se transformer en une conflagration régionale.
Dans le premier incident, les troupes
syriennes étaient à la poursuite d'un groupe armé qui avait attaqué un poste de
contrôle militaire près de la frontière turque et fait six morts. Les
assaillants s'étaient ensuite enfuis en Turquie. Les tirs de l'armée régulière
ont blessé cinq personnes - trois réfugiés syriens et deux turcs - dans un camp
de réfugiés proche du poste frontière d'Oncupinar près de Kilis, une préfecture
de province en Turquie. D'après l'un des reportages, des réfugiés syriens
avaient surgi du camp pour venir en aide aux tireurs en fuite.
Dans le second incident, un caméraman de la
télévision libanaise a été abattu par des troupes syriennes alors qu'il filmait
près de la frontière syrienne. L'agence de presse publique syrienne, SANA, a
déclaré que le tir était le fait d'un « groupe terroriste armé » qui
organisait un raid à travers la frontière contre un poste de garde syrien.
Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan
a dénoncé le premier incident comme une « violation claire des frontières. »
Il a ajouté, « Évidemment nous allons prendre les mesures nécessaires. »
Le journal pro-gouvernemental Zaman a
fait savoir lundi que le gouvernement d'Erdogan envisageait d'invoquer un
accord de 1998 avec Damas pour légitimer une intervention armée en Syrie. Cet
accord comportait la promesse de la Syrie de ne pas porter atteinte à la
sécurité de la Turquie.
Les médias turcs ont indiqué qu'Ankara « finalise
ses plans » pour imposer militairement une « zone tampon » ou un
« corridor humanitaire » en s'emparant de territoires syriens, en y
abritant des réfugiés et en y entraînant des groupes armés de l'opposition.
Le ministre syrien des Affaires étrangères
Moallem a dénoncé la réaction tapageuse d'Ankara, insistant sur le fait que la
Turquie alimente elle-même la violence en Syrie en « abritant des hommes armés,
en leur donnant des camps d'entraînement, en les laissant passer des armes en
contrebande. » La direction symbolique de l'Armée syrienne libre, un
ramassis de milices locales, a installé son quartier général en Turquie, près
de la frontière syrienne.
En réaction aux menaces d'une zone tampon
imposée par la Turquie sur le territoire syrien, Moallem a déclaré, « la
Syrie est un état souverain et a le droit de défendre sa souveraineté contre
toute violation de cette souveraineté. »
Les États-Unis se disent « absolument
outrés » par les tirs en direction du territoire turc. La porte-parole du
ministère des Affaires étrangères, Victoria Nuland, a laissé entendre d'une
manière inquiétante que la Turquie pourrait invoquer des dispositions de
défense réciproque du traité de l'OTAN à propos de cet incident, ce qui
ouvrirait la voie à une intervention américano-européenne. « Je ne serais
pas surprise si les Turcs soulevaient ce point à Bruxelles, [le QG de l'OTAN, NDT] »
a-t-elle dit.
Un journaliste présent au ministère des
Affaires étrangères a demandé à Nuland quelle était la différence entre ce qui
venait de se passer à la frontière turco-syrienne et ce que les troupes
d'occupation américaines faisaient régulièrement à la frontière entre
l'Afghanistan et le Pakistan. Nuland a affirmé que c'était là comparer « des
pommes et des oranges, » insistant sur les « protocoles » signés
entre les États-Unis et le Pakistan et prétendant contre toute évidence que les
forces syriennes s'en étaient pris à des « innocents ».
La masse de plus en plus nombreuse des
partisans d'une intervention impérialiste en Syrie parmi l'élite dirigeante
américaine est bien mise en évidence par des éditoriaux sortis en même temps
dans le Washington Post et le New York Times, qui proclament déjà
l'échec du plan d'Annan et la certitude d'une nouvelle guerre.
Le Post a déclaré : « La
réalité incontestable est que M. Assad continuera à tuer tant qu'il ne
sera pas confronté à une opposition militaire plus gigantesque. C'est pourquoi
la voie la plus rapide pour mettre fin à la crise syrienne est celle qui est
refusée par M.Obama : le soutien militaire à l'opposition et, si
nécessaire, l'intervention de l'OTAN. »
Le Times, à peine plus circonspect, a
demandé que le Conseil de sécurité des Nations Unies, « prenne des mesures
fortes et concertées contre M. Assad et ses forces, » et que la
Russie et la Chine « arrêtent de protéger ce régime brutal, »
c'est-à-dire, qu'elles permettent aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et la
France d'imposer une résolution autorisant une guerre dans le genre de celle
qui est menée en Libye pour un changement de régime.
Cependant, le sentiment populaire aux
États-Unis est très largement contre ce soutien à la guerre de plus en plus
affirmé au sein du monde politique. Un sondage, mené le mois dernier par le
Centre de recherche Pew [fondation indépendante qui mène des études sur
l'opinion publique et les sujets controversés, NDT], indique que seulement 25
pour cent de la population pensent que Washington devrait intervenir en Syrie,
alors que près des deux tiers (64 pour cent) s'opposent à une telle
intervention.