L'État québécois fait appel à son
appareil répressif pour mettre fin à une grève étudiante qui dure depuis
plusieurs semaines contre la hausse de 75 pour cent des frais de scolarité
post-secondaire décrétée par le gouvernement libéral de Jean Charest.
Tôt mercredi dernier, la police
anti-émeute a pourchassé et arrêté une soixantaine d'étudiants qui continuaient
de manifester au centre-ville de Montréal après que la police eut déclaré leur
manifestation illégale. La raison invoquée par les policiers pour disperser, et
ensuite arrêter, les étudiants protestataires est qu'ils auraient fait acte de « vandalisme »,
comme renverser des tables et des présentoirs, lors d'incursions dans le chic
hôtel Reine Elizabeth puis le centre d'achats Eaton. Nonobstant la version de
la police, rien ne permet de conclure que des actes criminels ont été commis
par les étudiants.
L'arrestation a été filmée par
CUTV, la chaîne de télévision communautaire des étudiants de l'Université
Concordia. Dans la vidéo, diffusée sur Internet, on voit des policiers
bousculer les étudiants avant de procéder à leur arrestation, sans daigner
répondre à ceux qui demandent pourquoi on les arrête. Cette scène n'est que la
dernière d'une série de violentes interventions policières contre les étudiants
grévistes, qui ont vu l'usage de matraques, de gaz lacrymogènes, de poivre de
Cayenne et de grenades assourdissantes.
Le caméraman de CUTV, Laith Marouf,
a été lui aussi arrêté parce qu'il insistait pour filmer l'arrestation. La
reporter de CUTV qui l'accompagnait, Sabine Friesinger, raconte ce qui s'est
passé : « Nous étions en direct. Des étudiants ont été encerclés et
poussés par les policiers. Ils ont donné des coups aussi. Le cameraman a dit
plusieurs fois : "Je suis des médias, nous sommes en direct." Ils ne devaient
pas vouloir qu'on filme ça. J'ai finalement pu récupérer la caméra, mais lui
(le caméraman), il est toujours en état d'arrestation ».
Tandis que des policiers procèdent
à des arrestations arbitraires d'étudiants en grève, des juges rendent des
décisions pour saper leur droit de grève.
Le 30 mars dernier, la Cour
supérieure du Québec faisait face à une requête déposée par une étudiante du
Collège d'Alma alléguant que son droit d'assister aux cours avait été bafoué
par un vote de grève entaché d'irrégularités. Bien que le vote de grève
contesté avait été renouvelé une semaine plus tard avec une claire majorité, le
juge Jean Lemelin lui a donné raison et a ordonné la reprise des cours, dans
une injonction en vigueur jusqu'au 10 avril. Dans sa décision, Lemelin a remis
en question le droit de grève des étudiants. « La légalité de cette grève »,
a-t-il écrit, « apparaît douteuse en regard du régime et des lois du
travail en vigueur au Québec, qui consacre le droit à la grève à certaines
personnes et à certaines conditions très strictes ».
Quelques jours plus tard, le 3
avril en l'occurrence, le juge Bernard Godbout de la Cour supérieure ordonnait
de mettre fin aux piquets de grève qui bloquaient l'accès à un cours
d'anthropologie de l'Université Laval, suite à une requête déposée par un
étudiant inscrit à ce cours. L'avocat de cet étudiant a ensuite déclaré sur les
ondes de Radio-Canada avoir reçu quelque 150 courriels d'étudiants songeant à
faire de même.
Le lendemain, soit le 4 avril, une
nouvelle demande d'injonction était déposée à la Cour supérieure, cette fois
par un établissement, à savoir l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans
sa requête, la direction de l'UQAM voulait forcer ses 23 000 étudiants en
grève à lever les piquets de grève devant les pavillons de l'établissement. Les
associations étudiantes de l'UQAM ont accepté de s'y soumettre. La juge
Micheline Perrault a ensuite accordé l'injonction, qui sera en vigueur
jusqu'au 19 avril. Les étudiants grévistes devront s'abstenir de gêner l'accès
ou la circulation près des pavillons de l'UQAM, et se garder d'« intimider »
ou de « menacer » toute personne désirant y pénétrer. Ceux qui
contreviendraient à l'injonction sont passibles d'une amende de 50 000 $
et d'une peine de prison allant jusqu'à un an.
Pendant qu'il manipule d'une main
le bâton de la répression policière et judiciaire, l'État québécois tend de
l'autre main la carotte d'une ouverture apparente au dialogue. Le gouvernement
libéral a annoncé le 5 avril qu'il allait élargir son programme de prêts
étudiants et mettre en place un régime de remboursement proportionnel au
revenu. Mais ces deux mesures ne concernent aucunement la revendication
principale des étudiants en grève, à savoir l'accès à l'éducation pour tous.
Leur seul impact sera d'augmenter l'endettement étudiant.
Malgré la ligne dure maintenue par
le gouvernement sur sa décision d'augmenter drastiquement les droits de
scolarité, malgré la mobilisation de la police et des cours pour intimider les
étudiants en grève, ces derniers restent déterminés dans leur lutte. Quelque
180 000 étudiants sont toujours en grève illimitée à travers la province,
certains depuis plus de 50 jours. Il y a un sentiment général que c'est
l'avenir de la jeunesse qui est en jeu.
Mais ce qui fait défaut aux jeunes grévistes,
c'est une perspective politique capable de faire avancer leur lutte. La hausse
des frais de scolarité est une mesure socialement injuste, et les étudiants ont
tout à fait raison de s'y opposer avec tant d'énergie. Mais cette mesure fait
partie d'un assaut plus vaste, non seulement sur l'éducation, mais aussi sur la
santé et les services publics, ainsi que les emplois et les conditions de
travail.
C'est la politique suivie non
seulement par le gouvernement libéral du Québec, mais par tous les paliers de
gouvernement à travers le Canada. Elle fait partie des plans de la classe
dirigeante, au Canada et à l'échelle internationale, pour faire payer aux
travailleurs et à la jeunesse les frais de la profonde crise du capitalisme
mondial. C'est pourquoi, tout l'appareil répressif de l'État est mobilisé pour
leur mise en place.
Les étudiants ne doivent pas mener
une lutte isolée contre une mesure en particulier, mais se tourner vers les
travailleurs pour lancer conjointement une contre-offensive contre toute la
politique de réaction sociale de l'élite dirigeante. Un tournant vers les
travailleurs implique avant tout une lutte commune pour briser l'influence
politique de la bureaucratie syndicale qui étouffe depuis des décennies tout
mouvement de résistance des travailleurs.
Cette perspective est rejetée par
les associations étudiantes qui dirigent la grève, et notamment celle qui a
lancé le mouvement, à savoir CLASSE (Coalition large de l'association pour une
solidarité syndicale étudiante). Les dirigeants de CLASSE ne mentionnent jamais
les travailleurs comme une force sociale vers laquelle les étudiants devraient
se tourner. Dans la mesure où ils parlent d'élargir la lutte étudiante, c'est
pour faire appel à divers groupes de protestation des classes moyennes et aux
syndicats.
La liste d'invités officiels à un « grand
rassemblement populaire » organisé par CLASSE le 9 avril prochain comprend
plusieurs syndicats, dont le syndicat des métallos, la Centrale des syndicats
du Québec (CSQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la
Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ). Cette
dernière a déjà offert ses services au gouvernement pour l'aider à torpiller la
grève étudiante. Selon un article publié sur le site de Radio-Canada : « La
FNEEQ croit qu'un moratoire d'un an sur la hausse des droits de scolarité et la
tenue d'un véritable débat public sur l'éducation seraient accueillis
favorablement par les étudiants et pourraient mettre fin à leurs moyens de
pression. »
L'autre danger qui menace la grève
étudiante est qu'elle soit détournée derrière le parti de la grande entreprise
qu'est le Parti québécois. Sa dirigeante Pauline Marois a récemment fait la
promesse démagogique que son parti annulerait la hausse des droits de scolarité
s'il prenait le pouvoir. Mais c'est sous la gouverne du gouvernement péquiste
de Lucien Bouchard au milieu des années 90 qu'un assaut majeur sur l'éducation
et la santé a été lancé au nom du « déficit zéro ».
Passant sous silence le dossier du
PQ en matière de coupures drastiques dans les programmes sociaux, les
dirigeants de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et de la FEUQ
(Fédération étudiante universitaire du Québec) ont annoncé que la prochaine
étape de la lutte des étudiants sera de cibler une dizaine de députés libéraux
jugés vulnérables en vue de la prochaine élection provinciale.