Au moment de la mise en
ligne de cet article, le gouvernement Charest a annoncé qu'il allait imposer
une « solution » à la grève étudiante, dans ce qui représente une
escalade de sa campagne pour imposer une hausse drastique des frais de
scolarité. L'annonce vise à diviser les associations étudiantes et à légitimer
l'emploi de la violence étatique contre les grévistes. La mesure ayant provoqué
le conflit - la hausse de 1625 $ des frais de scolarité - est
réaffirmée : le gouvernement prévoit seulement son étalement sur sept ans
au lieu de cinq, et la création d'un conseil sur la gestion des universités.
Une analyse plus détaillée sera prochainement publiée sur le wsws.
Le gouvernement du Québec a
brusquement annoncé mercredi que la CLASSE - l'association qui a lancé la grève
et qui représente près de la moitié des quelque 180,000 étudiants en grève -
était exclue des « négociations » entamées lundi entre le
gouvernement et les représentants de quatre associations étudiantes de la
province.
La raison invoquée par la
ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, montre qu'elle cherchait le premier
prétexte venu pour exclure la CLASSE et relancer la campagne gouvernementale -
menée avec le soutien des grands médias et le silence complice des centrales
syndicales - pour associer la résistance étudiante au vandalisme et à la
violence, au moyen des amalgames les plus grossiers.
Beauchamp a fait référence à une
manifestation étudiante ayant eu lieu à Montréal la veille au soir (mardi) et
qui aurait été « caractérisée par des gestes graves de vandalisme, de
violence ». Elle a ajouté que « cette manifestation a été annoncée
sur le site de... la CLASSE » qui en aurait fait « la promotion ».
Autre motif d'exclusion selon la ministre : « d'autres manifestations
sont annoncées sur le site de la CLASSE sur un ton provocateur ».
Un coup d'oeil sur le site
incriminé (www.bloquonslahausse.com) montre que ces accusations sont nettement
exagérées, pour ne pas dire montées de toutes pièces. La seule mention de la
manifestation de mardi est un lien vers une page Facebook au sein d'un
calendrier annonçant toutes les actions organisées pendant la grève étudiante,
qu'elle soient locales (comme c'était le cas pour la manifestation en question)
ou chapeautées par la CLASSE.
Quant au « ton provocateur »
de ces annonces, on peut en juger par l'échantillon suivant : « Non,
nous ne resterons pas sages », « Piquetage dur au... », « Action
étudiante dérangeante à... », « Rions plus fort pour que personne ne
nous ignore » et, comble de provocation, « Manifestation contre
l'oligarchie financière ».
La manifestation de mardi était
une action locale organisée par l'association étudiante du Cégep du Vieux-Montréal,
qui refusait de respecter la trêve de 48 heures exigée lundi par le
gouvernement. « Jamais nous n'avons été
consulté-e-s sur le respect ou non de la trêve ridicule proposée par une
ministre désespérée », peut-on lire sur leur page Facebook. « Les
injonctions vont-elles aussi faire une trêve, les directions vont-elles
suspendre les cours, la police va-t-elle arrêter ses enquêtes et sa répression
pour judiciariser nos camarades ? »
Selon
un compte-rendu publié sur la page Facebook par Martin Beucher, la manifestation
« allait bien malgré la très force présence policière ». Mais « dans
les environs de 22h00, la marche fut déclarée attroupement illégal par les
forces de l'ordre, dû à la présence de pétards » lancés peu de temps avant
par « quelques personnes vêtues de noir ». Beucher explique
ensuite : « Les gens comme moi ont essayé de se disperser, mais la
forte présence policière rendait la chose difficile. »
La
version des événements publiée dans les grands médias, et mise de l'avant par
la ministre Beauchamp, est que peu après 22h20, des « manifestants »
auraient fracassé les vitres de la banque HSBC au coin de René-Lévesque et
Saint-Urbain, et que les policiers auraient alors déclaré l'attroupement
illégal.
Une
chose est claire : depuis le début de la grève il y a près de trois mois,
le gouvernement n'a pas hésité à faire fi des principes démocratiques pour
essayer - jusqu'ici sans succès - de faire taire les étudiants en lutte.
*
La police a sauté sur la moindre occasion pour déclarer illégales des
manifestations pacifiques.
*
Le corps anti-émeute a procédé à leur dispersion à coups de matraques, de gaz
lacrymogène, de poivre de Cayenne et de grenades assourdissantes (l'une d'entre
elles ayant coûté un oil à un étudiant).
*
Les juges ont distribué des injonctions pour exiger la levée des lignes de
piquetage et la reprise des cours dans des cégeps ou universités tombés en
grève après des votes démocratiques.
* À
l'instigation du gouvernement, des directeurs d'établissements en grève ont
ordonné à leurs professeurs de reprendre les cours et les examens dès qu'un
étudiant se présente en classe.
Le
gouvernement Charest agite continuellement le spectre de la « violence »
pour justifier sa ligne dure contre la grève étudiante et la CLASSE en
particulier. Mais la seule véritable violence est la violence étatique.
Un
exemple criant a été fourni pas plus tard que mercredi soir à Montréal,
lorsqu'une marche pacifique d'environ 10,000 personnes protestant contre
l'exclusion de la CLASSE a été immédiatement déclarée illégale par la police
anti-émeute, qui a ensuite littéralement foncé dans le tas pour la disperser.
Dans
une lettre publiée vendredi par le quotidien montréalais Le Devoir, Léa
Clermont-Dion, étudiante en science politique, relate ainsi la scène : « nous
marchions pacifiquement sur la rue Ste-Catherine quand plusieurs bombes
lacrymogènes ont été lancées dans la foule. » La police anti-émeute a
ensuite poursuivi les manifestants qui se dispersaient. « Nous avons alors
été isolés près d'une église par quelques policiers. Mon ami a été pris
d'assaut par ceux-là. À terre, sous mes yeux, il s'est fait battre violemment,
sans raison particulière, à coups de matraque ».
La
véritable raison de l'exclusion de la CLASSE a été invoquée dans la déclaration
lue en point de presse mercredi par la ministre de l'Éducation. « Il semble bien que la CLASSE tire profit des gestes de
perturbation sociale et économique », a fulminé Beauchamp, « parce
qu'elle mène de soi-disant luttes sociales ».
Le
gouvernement Charest parle ainsi au nom de toute l'élite dirigeante pour qui la
moindre résistance sociale à son programme d'austérité - dont fait partie la
hausse drastique des frais de scolarité post-secondaire - est inacceptable.
La
CLASSE se plaint d'être injustement ciblée par le gouvernement. En un sens,
elle n'a pas tort. Ses dirigeants ont tout fait pour se montrer assez
respectables aux yeux de l'establishment pour être invités, bien qu'à
contrecoeur, aux négociations bidon lancées par le gouvernement.
Le
seul but de ces « négociations » était de mettre fin au mouvement de
grève avec l'aide des leaders étudiants. Il n'était pas question, a toujours
insisté le gouvernement, de mettre sur la table la hausse des frais de
scolarité. Et de fait, en deux journées de huis clos avec les leaders étudiants,
les seules propositions mises de l'avant par le gouvernement concernaient une
hausse minimale du programme de bourses et la mise en place d'une commission
temporaire pour surveiller la gestion des universités.
Le
gouvernement avait misé sur les associations étudiantes plus proches de la
bureaucratie syndicale, telles que la FECQ et la FEUQ, pour accepter ces
miettes en échange de l'arrêt de la grève, et pour isoler la CLASSE, au cas où
celle-ci, sous la pression de sa base plus militante, offrait de la résistance.
Les séances ont pris place dans un cadre intimidant, les leaders étudiants
entourés de gardes de sécurité et privés d'accès internet.
Mais
le gouvernement a sous-estimé la colère et la détermination de dizaines de
milliers de jeunes qui craignent pour leur avenir et portent à bout de bras la
plus longue grève étudiante de l'histoire de la province.
Ses
propositions ont été rejetées par les leaders étudiants qui ont exigé une
discussion sur les frais de scolarité. En expulsant la CLASSE, le gouvernement
a cherché à forcer la main à la FECQ et à la FEUQ, mais celles-ci ont plutôt
choisi de se retirer des discussions à huis clos par solidarité avec la CLASSE.
La
hausse des frais de scolarité de 375 $ par an pendant cinq ans fait partie
de la stratégie de classe de l'élite dirigeante pour faire payer les
travailleurs et la jeunesse pour la crise financière mondiale. C'est pourquoi
il n'est pas question pour le gouvernement Charest de reculer sur cette
question.
Celui-ci
s'est déjà montré prêt à imposer cette mesure par la force brute, même sans la
couverture que pourraient lui fournir la FECQ et la FEUQ. Il a aussi l'option
de faire appel aux centrales syndicales, qui ont historiquement joué un rôle de
premier plan pour étouffer toute résistance des travailleurs à la destruction
des emplois et au démantèlement des services publics.
La
CLASSE, quant à elle, n'a aucune perspective sérieuse à offrir aux étudiants
pour faire face à l'assaut gouvernemental.
Son
porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, peut à l'occasion prononcer des paroles
radicales contre les « gens qui veulent augmenter les frais de scolarité,
les gens qui ont décidé d'imposer une taxe santé, les gens qui ont mis sur pied
le Plan Nord, les gens qui ont mis à pied les travailleurs et les travailleuses
d'Aveos ». Il peut souhaiter « que notre grève serve de tremplin à
une contestation beaucoup plus large ».
Toute
la stratégie de son organisation demeure, toutefois, une protestation autour
d'une seule question dans l'espoir de faire entendre raison au gouvernement
pour qu'il revienne sur sa décision d'augmenter les frais de scolarité.
La
seule voie de l'avant pour les étudiants consiste à se tourner vers les
travailleurs pour faire de leur grève l'étincelle d'une mobilisation politique
indépendante de la classe ouvrière contre toutes les attaques de l'élite
dirigeante - sur les emplois, les salaires, l'éducation, la santé et tous les
programmes sociaux.