L'IBEX (le principal marché boursier espagnol) a
atteint son point le plus bas depuis trois ans, lundi matin à l'ouverture,
en chute de 35 points. Au même moment, le coût de l'assurance sur la dette
espagnole a atteint un sommet.
Lyn Graham-Taylor, stratège des taux d'intérêt à
la Rabobank, a été citée pour avoir dit que l'Europe était « à nouveau en
mode crise complète, » avec l'Espagne en première ligne. Cela intervient
alors que la Banque centrale européenne (BCE) a injecté 1000 milliards
d'euros dans le système financier européen en décembre dernier. Cela avait
empêché un effondrement financier immédiat en fournissant aux banques une
source lucrative d'argent à très bas prix, qui a ensuite été utilisée pour
acheter des dettes espagnoles.
Bruxelles a envoyé une délégation en Espagne pour
« analyser » ses comptes. Ils présenteront leurs résultats à la fin du mois
de juin à un sommet des ministres de l'économie européens, lequel décidera
si l'Espagne fait suffisamment d'efforts pour honorer ses dettes publiques
et privées.
La baisse des marchés est intervenue après que le
gouvernement a donné des détails sur des coupes dans les dépenses s'élevant
à 10 milliards d'euros. Elles viennent s'ajouter aux 27,3 milliards de
coupes du budget de 2012 (soit 2,5 pour cent du PIB), aux 15 milliards de
coupes annoncées en décembre et aux 16,5 milliards supprimés par le
précédent gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
Même ainsi, il est de plus en plus douteux que
l'Espagne parvienne à respecter les objectifs fixés par la Commission
européenne, la BCE et le Fonds monétaire international et qu'elle avait
acceptés, il y a deux ans. Ceux-ci imposent de réduire le déficit de 9,2
pour cent du PIB en 2010 à 4,4 cette année et 3 pour 2013.
Le Premier ministre Mariano Rajoy avait déjà dit
que le pays n'atteindrait pas l'objectif de cette année, après quoi
l'objectif a été relevé par Bruxelles à 5,3 pour cent pour cette année et 3
pour cent en 2013.
Ces dernières coupes en date visent à pousser les
17 gouvernements régionaux à faire des coupes significatives dans leurs
dépenses. Les régions représentent quatre dixièmes des dépenses publiques
espagnoles. Elles ont en charge la santé et l'éducation, qui représentent 80
pour cent de leur budget.
Pas une des régions n'a atteint l'objectif de 1,3
pour cent l'année dernière. Leur déficit combiné s'est établi à 2,9 pour
cent du PIB, forçant le pays à emprunter quelque 17 milliards d'euros de
plus que prévu.
En décembre dernier, Valence n'a pas pu rembourser
un emprunt de 1,8 milliard d'euros et a dû être renfloué par le gouvernement
central. Maintenant toute l'attention se concentre sur l'Andalousie dans le
sud du pays.
Antonio Beteta, Secrétaire d'Etat aux régions,
s'est plaint « l'Andalousie ne pratique pas la transparence [c] Il y a un
problème à la fois de transparence et de crédibilité. » Le ministre des
Finances Cristobal Montoro a parlé de « trou noir » des comptes andalous.
C'est une des rares régions à ne pas être
contrôlée par le Parti populaire (PP) au pouvoir. On s'attend à ce qu'un
gouvernement de coalition entre le PSOE et Izquierda unida (Gauche unie),
dirigée par les staliniens, soit formé, et c'est à eux qu'il reviendra
d'imposer des coupes dans la santé et l'éducation.
Les autres régions se sont engagées à respecter
l'objectif d'une réduction de 1,5 pour cent du déficit. Selon une loi passée
jeudi dernier, le gouvernement central peut prendre le contrôle de toute
région en défaut de paiement.
Un communiqué de presse sur les dernières coupes a
qualifié les plans de privatisation, de « réforme » de l'éducation et de la
santé, et d'« élimination des redondances » dans les grands services
publics.
Rajoy a toujours écarté l'idée que l'Espagne aura
besoin d'un renflouement comme la Grèce. « L'Espagne ne va pas être sauvée,
» a-t-il dit. « Elle n'a pas besoin de l'être. Nous ne voulons pas créer
d'inquiétudes sans raisons. Nous demandons la prudence.
Pourtant, les prédictions indiquent que la
production de l'économie espagnole baissera de 1,7 pour cent cette année.
Les exportations ont baissé de 1,6 pour cent ces trois derniers mois, et les
dépenses des consommateurs ont baissé de 1,1 pour cent sur l'année.
Le secteur immobilier, sur lequel l'Espagne s'est
lourdement appuyée au cours des dix dernières années, continue à décroître.
Le quatrième trimestre de 2011 a vu le prix d'un nouveau logement moyen
chuter de 8,5 pour cent comparé à l'an passé, et le prix de l'ancien a
baissé de 13,7 pour cent.
Le chômage est à 4,75 millions de personnes, soit
près de 23 pour cent de la population, et parmi les jeunes, plus de 50 pour
cent sont sans emploi.
Dans le Financial Times, Wolfgang Münchau
écrit, « L'Espagne a accepté une mission impossible. » La réduction du
déficit de cette année à 5,3 pour cent du PIB exigerait des coupes entre 53
et 64 milliards de dollars, explique-t-il.
« C'est physiquement impossible, » poursuit-il, «
donc quelque chose d'autre devra céder. Soit l'Espagne n'atteindra pas son
objectif, soit le gouvernement espagnol devra licencier tellement
d'infirmières et d'enseignants que le résultat sera une insurrection
politique. »
Dans ce contexte, tous les sondages récents
montrent un soutien en baisse pour les partis officiels.
Après 100 jours au pouvoir, le PP a perdu près de
huit points en mars, d'après une étude pour El Pais – tombant de 46,3
à 38,1 pour cent. Le soutien pour le PSOE continue à baisser, tombant de
24,4 pour cent à 23.
Les sondages indiquent une légère augmentation du
soutien aux autres partis, dont la Izquierda Unida (Gauche unie) qui passe
de 9,1 à 11,6 pour cent.
Dans ces conditions, certains appellent le PP à
former un gouvernement de souveraineté nationale avec le PSOE.
La présidente de droite de la communauté de
Madrid, Esperanza Aguirre, a dit que Rajoy devrait forger un « consensus
d'Etat » avec le PSOE pour « re-centraliser » l'Espagne – c'est-à-dire,
démanteler le système régional du pays.
Un porte-parole du PSOE a répondu « Si Rajoy
téléphone à Alfredo Pérez Rubacalba [le dirigeant du PSOE] pour discuter de
cette situation d'urgence, bien sûr que nous allons discuter et l'écouter. »
Derrière ces appels, il y a des craintes d'une
explosion sociale. Celles-ci ont été posées clairement dans un éditorial d'El
Pais.
« Il est inconcevable que des économies de 27
milliards d'euros dans le budget de l'Etat et de 10 autres milliards dans la
santé et l'éducation puissent être validées simplement par un vote mécanique
rendu possible par la majorité absolue du PP au Parlement, » a reconnu El
Pais.
« La question est de savoir si le pays est prêt à
accepter tout cela par confiance aveugle, » continue-t-il. Critiquant Rajoy
parce qu'il a laissé d'autres ministres annoncer les coupes, il enchaîne, «
A un moment où un effort conjoint s'impose dans des secteurs majeurs,
contourner les foules dont la colère monte n'est pas le meilleur moyen
d'inspirer confiance. On peut difficilement exiger la solidarité et le
consensus des pays étrangers si on n'en fait pas preuve chez soi. »
Loin du « consensus », l'establishment
politique prépare des mesures qui vont criminaliser ceux qui s'opposent à
ses projets.
Ayant déjà proposé que la « violence de rue » soit
sanctionnée par une peine maximale de 18 ans de prison, le ministre de
l'Intérieur Jorge Fernandez Diaz a annoncé que toute personne qui se
servirait d'internet pour organiser des « manifestations qui sont violentes
» sera accusée de « participation à une association de malfaiteurs. »