L'annonce spectaculaire de mardi que l'ancien
secrétaire du Parti communiste chinois (PCC) à Chongqing, Bo Xilai, avait
été suspendu en tant que membre du Comité central et du Politburo est un
indicateur de l'approfondissement des divisions au sein de la bureaucratie
stalinienne.
L’agence de nouvelles dirigée par l’État, Xinhua a
déclaré que Bo faisait l’objet d'une enquête de l’organisme anti-corruption
du PCC, la Commission centrale de Contrôle de la discipline, pour
« violations graves de la discipline ». Bien que les chefs d’accusation
exacts retenus contre Bo ne soient pas connus, sa femme, Gu Kailai, ainsi
qu’un secrétaire, Zhang Xiaojun, sont en détention en tant que « suspects
principaux » dans le meurtre d'un partenaire d'affaires britannique, Neil
Heywood, en novembre dernier.
Bo n’a plus été vu publiquement depuis le 15 mars,
après que le premier ministre Wen Jiabao l’a ouvertement critiqué lors d'une
conférence de presse et a averti que sa rhétorique populiste pourrait
produire une répétition de la soi-disant Révolution culturelle de Mao Zedong.
Son destin a fait l'objet d'intenses spéculations, y compris une rumeur sur
Internet d'une tentative de coup d’État à Pékin impliquant des factions pro
et anti-Bo.
Les médias d'État ont généralement présenté
l'enquête sur Bo comme une victoire de la « règle de droit » contre un
fonctionnaire « abusant du pouvoir », qui essayait apparemment de protéger
sa femme dans le meurtre de Heywood. Le corps de l'homme d'affaires
britannique a été retrouvé dans une chambre d'hôtel à Chongqing l'an
dernier, sa mort ayant initialement été attribuée à une consommation
excessive d'alcool.
L'accusation de meurtre n’est apparue qu’après que
l'ancien chef de police de Bo, Wang Lijun, a demandé l'asile au consulat des
États-Unis à Chengdu. Des sources anonymes ont déclaré au Financial Times
le mois dernier que Wang avait fourni des preuves documentaires à des
représentants américains concernant les crimes de Bo, y compris l’ordre
d’assassiner Heywood.
Toute cette affaire demeure obscure. Heywood a
travaillé comme consultant pour Aston Martin et d'autres sociétés
internationales opérant en Chine. Il a été associé à Hakluyt & Co., une
entreprise qui œuvre dans le secteur du renseignement et qui a été fondée
par d'anciens responsables des services secrets britanniques.
Que ce soit vrai ou non, les accusations portées
contre Bo ne sont pas la principale raison de son renvoi. La direction du
PCC est profondément préoccupée que ses critiques d’une « nouvelle classe
capitaliste » en Chine puissent déclencher une révolte au sein de la classe
ouvrière, au milieu d'un ralentissement économique, d’une chute des
exportations et de signes de l’effondrement de la spéculation immobilière.
Le caractère explosif des tensions sociales a été
souligné mardi soir alors que 1000 policiers des forces antiémeutes auraient
affronté 10.000 manifestants dans le quartier Wansheng de Chongqing. Selon
le site Web de la révolution de jasmin de Chine, le combat de rue a continué
le lendemain et 100.000 manifestants y prenaient part.
La protestation n'était pas en appui à Bo, mais
plutôt contre ses plans visant à fusionner le district minier de cuivre, en
dépression économique, avec un quartier encore plus pauvre. La fusion se
traduirait par une détérioration du niveau de vie, y compris la coupe des
pensions et des salaires des enseignants.
Malgré leur populisme, Bo et sa famille sont
intimement liés à l'élite patronale de la Chine. Dans le cadre de l'assaut
contre Bo, plusieurs de ses riches partenaires seraient sous enquête pour "
crimes économiques ". Parmi eux se trouve le milliardaire Xu Ming,
propriétaire du groupe Dalian Shide, un conglomérat qui produit des
matériaux de construction, des voitures et des matières plastiques.
Plusieurs sites Web néo-maoïstes, tels qu'Utopia
et Maoflag, ont été fermés vendredi dernier sur la base qu'ils auraient "
publié des articles qui violaient la constitution, calomniaient les chefs
d'État et spéculaient de façon insensée sur le 18e Congrès du Parti ". Ces
sites Web critiquent depuis une décennie les " profiteurs capitalistes " à
la tête du pays, avec la protection de gens comme Bo.
La chute de Bo est associée à l'intensification de
la lutte de pouvoir qui prend place alors que le PCC prépare un changement
de direction, du président Hu Jintao et du premier ministre Wen au
vice-président Xi Jinping et au vice premier ministre Li Keqiang. Bo était
sur le point d'entrer au Politburo au 18e congrès du parti plus tard cette
année.
Bo représente une section de la bureaucratie
dirigeante qui cherche à s'opposer à d'autres incursions des investissements
étrangers dans l'économie contrôlée par l'État. Les grands monopoles d'État
sont une source d'immenses profits, et donc de puissance et de richesse,
pour ceux qui les contrôlent. L'an dernier, les quatre grandes banques
d'État ont amassé au total des profits de 99 milliards de dollars.
Toutefois, le premier ministre Wen a dans les
faits déclaré la guerre aux " monopoles " et à leurs " super profits faciles
" afin d'intégrer le système financier fermé de la Chine aux marchés
mondiaux et aux mouvements de capitaux, tel qu'exigé par le capital
financier international. L'une des premières étapes de ce processus,
enclenchée la semaine dernière, a été de faire passer la limite de
l'investissement institutionnel étranger permis sur la bourse chinoise de 30
à 80 milliards de dollars.
La faction Bo est liée aux éléments les plus
militaristes dans la bureaucratie d'État et dans l'armée. Ses appels à la
défense des entreprises d'État sont associés à l'argumentaire que la Chine
doit se préparer militairement pour contrer les tentatives de
l'administration Obama de nuire aux intérêts stratégiques et économiques
chinois en Asie et internationalement.
Liu Zuoming, le dirigeant de l'entreprise d'État
Aviation Industry Corporation of China, a dénoncé cette semaine la
privatisation des entreprises d'État en la qualifiant de " complot étranger
" visant à miner le régime, et il a dit que l'armée serait la prochaine
cible. " Lorsque l'économie d'État se sera effondrée, nos ennemis tenteront
de provoquer l'effondrement de l'armée ", a-t-il déclaré au Nanjing Daily.
Lin a ajouté que " privatiser l'économie et retirer le contrôle de l'armée
des mains du parti " était " des complots de nos ennemis internationaux pour
ébranler les fondations de notre parti dirigeant ". Dans toutes ces tensions
politiques, la loyauté de l'armée est devenue une question centrale dans les
médias d'État et ceux-ci affirment qu'il faut faire acte d'allégeance à la
direction Hu et qu'il faut combattre les rumeurs qui circulent sur le Web.
Un éditorial du People's Liberation Army Daily a prévenu les soldats de ne
pas " écouter ou croire les rumeurs et les paroles sombres ».
Même si la direction du PCC s'est débarrassée de
Bo, les conflits à la base de ces tensions demeurent non résolus et risquent
de faire irruption à nouveau à l'approche du congrès du parti.
(Article original paru le 12 avril 2012)