Face à une dure répression policière
et judiciaire, les étudiants du Québec mènent depuis onze semaines une grève
militante pour défendre l'accès à l'éducation. Après l'échec des négociations
bidon menées en début de semaine avec les leaders étudiants, le gouvernement
libéral a dévoilé vendredi son nouveau plan pour imposer une hausse drastique
des frais de scolarité post-secondaire.
Le plan du premier ministre Jean
Charest maintient la hausse initiale de 1625 $ en l'étalant sur sept ans
au lieu de cinq, et en l'indexant selon l'inflation pour un nouveau total de
1779 $. Il encourage également l'endettement étudiant en repoussant à 60.000 $
le seuil de revenu familial donnant accès aux prêts.
D'autres mesures comprennent : une légère hausse du nombre d'étudiants admissibles
aux bourses, un régime de remboursement proportionnel au revenu, et un conseil
d'évaluation de la gestion des universités. Pour indiquer à l'élite dirigeante
qu'aucune concession n'a été accordée aux étudiants, Charest s'est vanté qu'il
s'agit d'un plan à « coût nul » puisque les quelque 50 millions de
dollars requis seront obtenus en réduisant le crédit d'impôt aux études et le
budget de fonctionnement des universités.
Les associations étudiantes ont
condamné le plan gouvernemental. Léo Bureau-Blouin, le président de la Fédération
étudiante collégiale du Québec (FECQ), a déclaré que « cette offre ne sera
pas suffisante pour mettre un terme à la grève ». Les premières
associations contactées vendredi rejettent les mesures annoncées, a fait savoir
la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). Réunie en congrès ce
week-end, la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante
(CLASSE) a rejeté à l'unanimité le plan du gouvernement.
Des milliers d'étudiants ont marché
à Montréal vendredi, et de nouveau samedi, pour dénoncer la hausse des frais de
scolarité. La manifestation de samedi soir avait pour thème
: « C'est pas une offre, c'est une insulte. » C'était la
cinquième soirée consécutive de protestations étudiantes au centre-ville de
Montréal. Des manifestations ont également eu lieu à Gatineau et à Québec.
Autres signes de la radicalisation
étudiante face à la ligne dure du gouvernement, des votes de grève ont été
reconduits dans les cégeps de Saint-Jean-sur-Richelieu, d'Ahuntsic et de
l'Outaouais. Au dernier décompte de la CLASSE - l'association plus militante
qui est à l'origine du mouvement de grève - plus de 176.000 étudiants sont
encore en grève. Trois écoles secondaires ont débrayé la semaine passée, et
d'autres pourraient suivre cette semaine.
Reconnaissant que la lutte des étudiants
contre le principe d'utilisateur-payeur pose un défi au programme d'austérité
de la classe dirigeante, le gouvernement Charest a recouru à la répression
policière contre les étudiants.
La police anti-émeute est
intervenue dans quelque 165 manifestations depuis le début de la grève. À
plusieurs reprises, elle a déclaré des marches illégales au premier prétexte et
les a dispersées à coups de matraque, de gaz lacrymogène, de poivre de Cayenne
et de grenades assourdissantes - l'une d'entre elles a coûté un oil à un étudiant.
Les accusations grossièrement exagérées
de « vandalisme » et de « violence » adressées à l'endroit
des étudiants par un gouvernement cherchant à légitimer la violence étatique se
font de plus en plus démasquer.
Alors que le ministre de la Sécurité
publique, Robert Dutil, a déclaré que « la
CLASSE, manifestement, encourage la violence » et évoqué la possibilité
que son porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, fasse l'objet de poursuites
criminelles, le chef de police de la Ville de Montréal, Marc Parent, a dû
reconnaître « une présence... importante de provocateurs et de casseurs
dans les manifestations ».
Vendredi soir, par exemple, une
bagarre a éclaté entre des casseurs voulant briser une vitrine et des étudiants
voulant leur signifier qu'ils n'étaient pas les bienvenus dans la
manifestation. « Des manifestants nous ont aidés », a affirmé un
porte-parole de la police. Mais cela n'a pas empêché les policiers de déclarer
la manifestation illégale et de la disperser une heure à peine après son début.
Un peu plus tôt dans la ville de Québec, 80 manifestants ont été interpellés « pour
s'être trouvés sur la chaussée » et ont récolé chacun une amende de 444 $.
Dans un communiqué publié la
semaine dernière, la branche québécoise d'Amnistie Internationale a condamné l'« usage
excessif de la force par les autorités policières », ainsi que les « arrestations
massives et potentiellement arbitraires » lors des manifestations.
Des journalistes sont aussi la
cible de la police. Lors d'une manifestation mercredi dernier, par exemple, un
journaliste du Devoir, Marco Bélair-Cirino, s'est
fait pousser par un policier qui lui a déclaré que « sa carte de presse ne
valait rien ».
Les tribunaux ont également été
mobilisés contre les étudiants. Pas moins de 25 injonctions ont été déposées
depuis le début du conflit pour forcer la reprise des cours. À une exception près,
elles ont été accordées sur la base d'arguments qui « sont venus remettre
en question la légalité du droit de grève des associations étudiantes »,
comme l'a noté la juge Geneviève Marcotte la semaine dernière en ordonnant la
levée du piquetage au Collège de Maisonneuve.
Les mesures anti-démocratiques
dirigées contre les étudiants sont endossées sans réserve par les médias de la
grande entreprise. Dans son dernier morceau régurgitant la propagande
gouvernementale, l'éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte, écrivait : « Parce
que la hausse des droits de scolarité est nécessaire, le gouvernement Charest a
eu raison de faire preuve de fermeté. »
Le gouvernement Charest est déterminé
à imposer de force le programme d'austérité exigé par la classe dirigeante
partout au Canada et dans le monde. Il veut tracer un exemple sur les étudiants
pour intimider toute forme de résistance ouvrière aux attaques sur les emplois,
les salaires et les services publics.
C'est ce qui explique la série
d'actions provocatrices qu'il a prises la semaine dernière
: lancement de négociations bidon lundi ; sabotage de ces négociations
mercredi par l'exclusion arbitraire de la CLASSE ; et annonce vendredi
d'une campagne renouvelée pour privatiser l'éducation.
Comme l'a écrit le chroniqueur
politique de La Presse, Alain Dubuc, un défenseur conscient de l'élite
dirigeante : « Le but du gouvernement
Charest avec les rencontres qu'il a proposées, c'est essentiellement de faire
accepter aux étudiants le principe des hausses de droits auquel ils s'opposent ».
Par son ultimatum lancé vendredi par-dessus la tête des leaders étudiants, a
expliqué Dubuc, le gouvernement cherche à « créer des divisions entre la
CLASSE et les organisations étudiantes plus modérées ».
Mais le gouvernement a nettement
sous-estimé le niveau de colère qui règne parmi une jeunesse étudiante
fortement endettée et peinant à joindre les deux bouts, à qui la classe
dirigeante exige de nouveaux sacrifices, de même qu'aux travailleurs, pour
faire les frais du système capitaliste en faillite.
« On s'attendait à ce que le
mouvement s'étiole de lui-même après les vacances de Pâques », a écrit La
Presse. Loin de s'essouffler, le mouvement de grève s'est plutôt radicalisé.
Mais pour aller de l'avant, les étudiants doivent se tourner vers les
travailleurs et faire de leur lutte l'étincelle d'une mobilisation politique
indépendante de la classe ouvrière contre la diminution des salaires, la
destruction des emplois et le démantèlement des programmes sociaux.
Le gouvernement a encore des
cartes dans sa manche. Il peut intensifier la répression policière et
judiciaire tout en brandissant la menace de l'annulation des cours. Et surtout,
il peut se tourner vers les centrales syndicales, qui ont jusqu'ici gardé les étudiants
isolés en refusant d'appeler les travailleurs à leur défense.
La bureaucratie syndicale se prépare
à jouer le même rôle qu'elle a joué lors de la dernière grève étudiante de
2005, lorsqu'elle a aidé le gouvernement à y mettre fin. « On a eu des
conversations avec eux [les étudiants grévistes] et on leur a conseillé de négocier
avec la ministre Beauchamp », a récemment déclaré Michel Arsenault, le président
de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ).
Historiquement, les syndicats du
Québec ont politiquement subordonné les travailleurs à la classe dirigeante par
leur alliance avec le Parti québécois (PQ). Un parti de la grande entreprise
qui a imposé de vastes coupures dans la santé et dans l'éducation quand il était
au pouvoir, le PQ pose aujourd'hui en opposant de la hausse des frais de
scolarité et promet hypocritement de l'annuler s'il est porté au pouvoir aux
prochaines élections provinciales.