Le 1er septembre, le ministre français
de l'Intérieur, Claude Guéant, a admis que le service de renseignement français
avait espionné les conversations téléphoniques de Gérard Davet, un journaliste
du quotidien Le Monde. Ceci a eu lieu après une année de dénégations de
Guéant et d'autres responsables, dont le président Nicolas Sarkozy - en dépit
des plaintes du Monde - qu'aucun espionnage de cet ordre n'avait eu
lieu.
Guéant a confirmé que la Direction
centrale du renseignement intérieur (DCRI) avait fait « des repérages de
communications téléphoniques » de Davet. Le but de cette opération était
d'identifier les sources des reportages de Davet concernant ses investigations
de Liliane Bettencourt, la milliardaire de L'Oréal. Guéant a brièvement ajouté
que quant à la légalité des écoutes téléphoniques la justice « dira ce
qu'il en est ».
L'été dernier la DCRI avait demandé à
l'entreprise de téléphonie mobile Orange de lui fournir les fadettes [relevés
téléphoniques] de Davet. Celles-ci leur ont par la suite permis d'identifier
l'informateur, David Sénat, qui travaillait au ministère de la Justice. Il a
été limogé.
Ce comportement constitue une violation
flagrante des lois de la presse. Ainsi, Le Monde cite une loi du 4
janvier 2010 dont une disposition stipule : « Il ne peut être porté
atteinte directement ou indirectement au secret des sources [des journalistes]. »
Bernard Squarcini, patron de la DCRI, et
Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, font l'objet
d'une enquête par la juge Sylvia Zimmermann. Ils comptent invoquer
« l'intérêt national » pour justifier la surveillance, faisant appel
à une loi qui n'exigerait plus d'autorisation judiciaire explicite pour ce
genre d'écoutes téléphoniques. Toutefois, Le Monde a cité une commission
de 1999 qui avait jugé que cette loi ne s'appliquait pas aux écoutes de
communications entre individus en affirmant que ceci invalidait leur stratégie
de défense.
Il y a des déclarations contradictoires
sur la façon dont le gouvernement Sarkozy projette de traiter l'affaire et
quant à savoir lequel, de Guéant ou de l'ancien ministre de l'Intérieur Brice
Hortefeux - tous deux des proches de Sarkozy - sera impliqué.
Guéant lui-même a dit qu'il n'y aurait
pas de sanctions juridiques pour Squarcini ou Péchenard. Mais, Le Monde
a cité une source anonyme proche du président disant : « Je pense que
Bernard Squarcini ne pourra pas tenir longtemps. S'il dit, 'c'est moi tout
seul', la messe sera dite. »
Le caractère explosif de l'admission de
Guéant découle à la fois de l'illégalité patente du comportement de l'Etat et
du but des écoutes téléphonique en soi. Elles visaient à empêcher un débat
public sur la collaboration du gouvernement Sarkozy avec les ultra-riches dans
la planification des attaques impopulaires contre le niveau de vie des
travailleurs.
Le rapport de Davet comportait des
révélations selon lesquelles Bettencourt avait illégalement financé la campagne
électorale de Sarkozy en 2007 et avait contribué à trouver un emploi
juteusement rémunéré pour l'épouse du ministre des Finances d'alors, Eric
Woerth. A l'époque, Woerth avait négocié avec les syndicats français
d'importantes réductions des droits à la retraite au grand mépris de l'opinion
publique et en faisant passer à la hâte cette législation au parlement.
(Voir : « Le scandale Bettencourt de fraude
fiscale ébranle le gouvernement francais »)
La colère face à l'affaire Bettencourt
et aux coupes sociales avait provoqué en octobre dernier une série de vastes
manifestations et de grèves qui furent finalement étouffées par la bureaucratie
syndicale et les partis soi-disant de gauche de la classe moyenne.
Ces développements révèlent la profonde
dégénérescence de la démocratie bourgeoise française. Comme aux Etats-Unis, en
Grande-Bretagne et dans d'autres puissances impérialistes occidentales, la
promotion de l'hystérie sécuritaire et de la « guerre contre le
terrorisme » ont libéré les services d'espionnages - tant à l'extérieur
qu'à l'intérieur du pays - de toute surveillance appropriée.
Le pouvoir exécutif français foule aux
pieds la liberté de la presse et autres droits démocratiques fondamentaux pour
défendre les intérêts sociaux d'une infime oligarchie financière en recourant à
des méthodes dignes d'un Etat policier.
L'espionnage téléphonique du Monde
est la dernière d'une série de mesures profondément antidémocratiques promues
par le gouvernement Sarkozy qui a tenté d'inciter des sentiments antimusulmans
et autres haines ethniques pour faire appel à des votes néo-fascistes et pour
diviser la classe ouvrière. Ces mesures comprennent l'interdiction de la burqa
au mépris du principe de neutralité de l'Etat dans les affaires religieuses,
ainsi que la déportation ethnique ciblée des Roms.
Ceci fait partie d'un virage plus
général de la bourgeoisie internationalement vers des formes de gouvernement
d'Etat policier pour réprimer la colère sociale et l'opposition - d'une manière
absolument flagrante, avec les 30.000 interpellations faites lors de rafles
policières par l'Etat britannique suite aux émeutes survenues le mois dernier à
Londres et dans d'autres villes britanniques.
Ce rapide virage droitier est appuyé par
toutes les factions de la bourgeoisie. En France, les partis bourgeois de
« gauche », dont le Parti socialiste (PS) patronal, ont soutenu la
politique antidémocratique de Sarkozy - aidant la participation de la France à
la guerre en Afghanistan, contribuant à l'élaboration de l'interdiction de la burqa
par Sarkozy et promouvant les mesures sécuritaires.
Dans ce contexte, la tentative du PS de
se poser en défenseur de la liberté de la presse et en adversaire de Sarkozy
ayant des principes, est cynique et faux.
La première secrétaire du PS, Martine Aubry,
candidate à la primaire de son parti pour l'élection présidentielle de 2012, a
déclaré que l'« affaire [était] très grave ». Elle a ajouté :
« Dès la semaine prochaine, nous profiterons de la rentrée parlementaire
pour interpeller le gouvernement. Et, s'il le faut, nous réfléchirons à la
possibilité de demander la constitution d'une commission d'enquête
parlementaire. »
Le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a
partagé l'opinion d'Aubry tout en faisant remarquer, « Sans doute d'autres
dans le passé avaient fait les mêmes erreurs. »
Il s'agissait apparemment d'une
référence discrète au fait que le président François Mitterrand, du PS, avait
fait procéder à des écoutes illégales à une échelle industrielle durant son
premier mandat - dont des journalistes du Monde - après qu'il eut entamé
son « tournant de la rigueur » pour attaquer le niveau de vie des
travailleurs. Plusieurs de ses collaborateurs survivants avaient été reconnus
coupables dans ce scandale en 2005.