Un câble non classifié du Département
d'Etat américain et récemment publié par le site Internet WikiLeaks confirme
les rapports d'un massacre en 2006 de civils, dont des femmes et de jeunes
enfants dans le district d'Ishaqi en Irak.
Le massacre avait d'abord été rapporté
dans les médias occidentaux en 2006 par Matthew Schofield du journal Knight
Ridder (racheté par la suite par McClatchy News). Knight Ridder avait cité des
rapports de médecins et d'enquêteurs irakiens faits au Joint Coordination
Center basé à Tikrit - un bureau de la sécurité irakienne mis en place avec
l'aide de l'armée américaine et dont le personnel est composé d'officiers de
police irakiens formés par les Etats-Unis.
Le colonel Fadhil Muhammed Khalaf, chef
adjoint au Centre de Coordination jointe, a écrit : « A [14 heures
30] le 15/3/2006, selon une communication par télégramme de la direction de la
police d'Ishaqi, des forces américaines ont utilisé des hélicoptères pour faire
descendre des troupes sur la maison de Faiz Harat Khalaf située dans le village
Abu Sifa dans le district d'Ishaqi. Les forces américaines ont rassemblé les
membres de la famille dans une pièce et ont exécuté 11 personnes, dont cinq enfants,
4 femmes et 2 hommes, puis elles ont bombardé la maison, brûlé trois véhicules
et tué leurs animaux. »
A l'époque, l'armée avait nié les
rapports de McClatchy et de la police formée par les Etats-Unis, affirmant que
cinq Irakiens avaient été tués lors d'un raid réussi contre des forces
insurrectionnelles sunnites. Un porte-parole du Pentagone, le major américain
Tim Keefe, a dit : « Nous sommes préoccupés d'entendre des
accusations de la sorte, mais c'est tout à fait invraisemblable qu'elles soient
vraies. [les forces américaines] prennent toutes les précautions pour tenir les
civils en dehors des zones à risque. »
De telles affirmations manquaient
totalement de crédibilité étant donné que des rapports et des images en
provenance d'Ishaqi montraient le meurtre ressemblant à une exécution d'une
vieille femme et d'un bébé de moins d'un an. Les responsables américains ont
reconnu plus tard que plus de cinq Irakiens avaient été tués à Ishaqi.
Le câble de l'ambassade américaine de
Genève publié dernièrement par WikiLeaks relate les conclusions de mars 2006
d'une enquête de Philip Alston, rapporteur spécial sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Les conclusions d'Alston concordent
avec celles de la police irakienne et de Knight Ridder.
Après avoir essuyé des coups de feu aux
alentours de la maison, selon Alston, des « troupes [américaines] sont
entrées dans la maison, ont menotté tous les occupants et les ont tous
exécutés. Après l'intervention initiale de la Force multinationale (MNF) [c'est-à-dire
la coalition américaine], un raid aérien a suivi qui a détruit la maison. Des
reportages faits sur place par des stations de télévision irakiennes ont montré
les corps des victimes (c'est-à-dire, cinq enfants et quatre femmes) à la
morgue de Tikrit. Les autopsies pratiquées à l'hôpital de la morgue de Tikrit
ont révélé que tous les corps portaient des traces de balles dans la tête et
étaient menottés. »
Le câble souligne qu'« au moins 10
personnes, à savoir M. Faiz Hratt Khalaf (28 ans), sa femme Sumay'ya Abdul
Kazzaq Khuther (24 ans), leurs trois enfants Hawra'a (5 ans), Aisha (3 ans) et
Husam (5 mois), la mère de Faiz, Mme Turkiya Majeed Ali (74 ans), la soeur de
Faiz (nom inconnu), les nièces de Faiz, Asma'a Yousif Ma'arouf (5 ans) et Usama
Yousif Ma'arouf (3 ans), ainsi qu'une parente en visite, Mme Iqtisad Hameed
Mehdi (23 ans), ont été tués durant le raid. »
Contacté par la semaine passée par
McClatchy, Alston - qui est à présent professeur à l'université de New York - a
dit que les responsables américains avaient ignoré son rapport sur le massacre
d'Ishaqi : « La tragédie est que ce système sophistiqué de
communication est en place mais le Conseil des droits de l'homme des Nations
unies ne fait rien pour suivre l'affaire lorsque les Etats ignorent les
questions portées à leur attention. »
Cette réaction n'est pas non plus
inhabituelle. Selon Alston, une absence de réponse des responsables américains
« a été le cas en ce qui concerne la plupart des lettres adressées aux
Etats-Unis durant la période 2006-2007. »
Cette période, qui a été celle de la
« montée en puissance » américaine (« surge ») des troupes
en Irak et de la tolérance des meurtres par des escadrons de la mort sectaires,
a été l'une des plus brutales de ces neuf années d'occupation américaine de
l'Irak. Les responsables américains avaient tout particulièrement à coeur de
mettre un terme aux enquêtes sur les exécutions américaines de masse de civils
irakiens en raison de l'indignation massive en Irak après le meurtre de 24
civils à Haditha en novembre 2005.
L'armée américaine a refusé de mener
toute nouvelle enquête sur le massacre d'Ishaqi et le premier ministre irakien,
Nouri Al-Maliki, a déclaré qu'il n'était pas en mesure d'enquêter pleinement
sur les meurtres s'il n'avait pas d'informations supplémentaires du
gouvernement américain.
Le porte-parole du Pentagone, le
lieutenant-colonel James Gregory, a dit au Guardian :
« L'incident avait fait l'objet d'une enquête correctement menée à
l'époque et aucune information nouvelle n'est apparue. »
La seule conclusion que l'on puisse
tirer de la déclaration de Gregory est que le Pentagone n'attache aucune
importance au meurtre de civils irakiens et qu'il a l'intention de continuer à
publier de faux dénis sur la responsabilité américaine du massacre.
Si l'enquête américaine initiale de 2006
avait en effet eu accès à l'information contenue dans le rapport d'Alston,
alors l'enquête était de toute évidence un camouflage. Elle n'a pas publié les
conclusions d'Alston mais a conclu que les troupes américaines avaient eu
recours à «la force appropriée ». En qualifiant ceci d'enquête
« correcte », le Pentagone manifeste son souhait de continuer à
dissimuler l'événement afin d'éviter de susciter une plus grande opposition
populaire à la guerre, à la fois aux Etats-Unis et en Irak même.
Les nouveaux rapports sur le massacre
d'Ishaqi ont déjà provoqué une controverse au sein du régime irakien qui est en
train de négocier un accord avec l'impérialisme américain afin de maintenir des
bases militaires permanentes en Irak après la date butoir purement nominale du
31 décembre pour le départ des troupes américaines du pays. Le Pentagone exige
que les troupes américaines bénéficient d'une immunité légale pour leur
comportement en Irak après le 31 décembre.
Une telle immunité permettrait aux
troupes américaines de tuer des civils irakiens sans avoir de comptes à rendre
à quiconque. Ces exigences attisent la colère populaire et l'opposition en
Irak.
Amman Yousif, président du conseil de la
province de Salahuddin (où est situé Ishaqi), a dit que les responsables locaux
« rejettent l'extension ou l'existence de troupes américaines à
Salahuddin. [les troupes américaines] n'ont jamais présenté leurs excuses. Nous
voulons qu'elles s'excusent, qu'elles dédommagent les familles des victimes et
qu'elles se retirent d'Irak. »