Demain marquera le troisième anniversaire de la faillite du géant de Wall
Street Lehman Brothers. La crise des marchés financiers internationaux qui en a
résulté se métamorphose maintenant en un effondrement à grande échelle. Non
seulement les banques, mais même des États entiers sont au bord du gouffre financier.
L'existence continue de l'euro, la deuxième monnaie la plus importante au monde
après le dollar, est maintenant mise en doute.
Les dirigeants européens envisagent ouvertement la faillite de la Grèce. Le
ministre allemand de l'Économie et président du Parti libéral démocrate (FDP),
Philipp Rösler, appelle à une faillite ordonnée du pays, tandis que le premier
ministre de Bavière et chef de l'Union chrétienne-sociale (CSU), Horst
Seehofer, appelle à l'exclusion de la Grèce de la zone euro. Pour sa part, le
ministre néerlandais des Finances Jan-Kees de Jager approuve l'exclusion de la
Grèce de la zone euro.
La banque suisse UBS a estimé les coûts d'une telle démarche. Les
conséquences de l'exclusion de la Grèce - en tenant compte des faillites d'État
et d'entreprises, de l'effondrement du système bancaire et du commerce
international - coûteraient en moyenne à chaque habitant du pays de
9,000 ? à 11,500 ? dans la première année, soit de 40 à 50 pour cent
du produit intérieur brut de la Grèce. Le coût s'élèverait de 3,000 ? à
4,000 ? supplémentaires par habitant chaque année par la suite.
La banque d'investissement japonaise Nomura s'attend à ce que le retrait
grec de l'union monétaire se traduise par une fuite massive de capitaux, une
interruption du crédit pour les entreprises grecques, la perturbation des
échanges commerciaux, une forte hausse du chômage, une recrudescence de
l'inflation, et des pénuries énergétiques et alimentaires.
Les conséquences de la faillite nationale grecque ne se limiteraient pas à ce
pays. Les experts internationaux craignent des faillites bancaires et d'État
supplémentaires et même la disparition de l'euro.
Les institutions démocratiques en Europe ne survivraient pas à une telle
catastrophe économique. Les experts de l'UBS n'ont pas d'illusion à cet égard.
« Il est également intéressant de noter que presque aucune union monétaire
fiduciaire moderne n'a disparu sans l'apparition d'une certaine forme de
gouvernement autoritaire ou militaire, ou une guerre civile », écrivent-ils.
Il ne manque pas de voix demandant de faire preuve de circonspection et de
prudence. La chancelière allemande Angela Merkel de l'Union chrétienne
démocrate (CDU) a indirectement appelé les partenaires de son gouvernement de
coalition que sont le Parti libéral démocrate et l'Union sociale-chrétienne à
faire preuve de retenue. « Nous devons soutenir les Grecs, et non pas les
pousser à la faillite », déclare son conseiller Pierre Altmayer qui
poursuit : « Cela n'aiderait personne ».
La Süddeutsche Zeitung accuse Rösler et Seehofer d'ignorance
économique, affirmant qu'ils ne cherchent qu'à renforcer leur profil public, et
met en garde : « L'expulsion [de la zone euro] serait non seulement un
désastre pour les Grecs, mais aussi pour l'Allemagne et le reste de l'Europe ».
La crise, cependant, ne suit pas les règles de la raison, mais bien la
logique des intérêts de classe. Même s'il mène de façon évidente à la
catastrophe, le nationalisme est à la hausse en Europe. Et Rösler et Seehofer
ne font pas exception à cet égard.
Dans la dernière édition du Financial Times, le chroniqueur Gideon
Rachman écrit : « L'appétit pour la coopération internationale a gravement
diminué. Les principaux dirigeants politiques regardent vers l'intérieur...
Avec la politique internationale à la dérive, il y a maintenant un danger
évident que le monde glisse lentement dans le protectionnisme. »
Rachman fait ensuite un parallèle avec la crise des années 1930, quand
« la crise financière à Wall Street s'est transformée en Grande Dépression
à la suite de la montée du protectionnisme et d'une crise bancaire en
Europe ».
Des sections de la classe dirigeante veulent faire face à ce danger et à
l'éventuelle faillite de la Grèce en élargissant le plan de sauvetage de
l'euro, et par la création d'obligations en euros et d'un gouvernement
économique européen. Or, cela n'est pas une solution à la crise, mais bien
simplement une autre façon de faire porter les conséquences de celle-ci sur la
masse de la population.
Les partisans de ce cours insistent pour que tous les prêts à des pays très
endettés soient liés à des mesures d'austérité strictes édictées par l'Union
européenne. « Celui qui s'enlise dans la dette ne peut plus décider seul
de la politique de son pays, et doit mettre en ouvre les décisions de
Bruxelles », publie la Süddeutsche Zeitung.
Les sociaux-démocrates et les Verts sont particulièrement enthousiastes au
sujet de cette politique. Ils se bousculent tout comme Georges Papandréou en
Grèce et José Zapatero en Espagne - pour défendre les diktats d'austérité
brutale émis de Bruxelles. Ce faisant, ils comptent sur les syndicats et les
pseudo-partis de gauche comme le parti allemand La Gauche et le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) français, qui se rapprochent sans cesse des
sociaux-démocrates au fur et à mesure que ceux-ci prennent leur distance à
l'égard des travailleurs.
La crise sert ainsi d'instrument de contre-révolution sociale. Alors que les
banques sont renflouées avec des billions d'euros provenant des deniers publics
et que les super-riches ne cessent de s'enrichir, le niveau de vie de la classe
ouvrière est ramené aux niveaux qui existaient au début du capitalisme
industriel.
La différence entre les partisans et les adversaires de la faillite de la
Grèce est que le premier groupe cherche à atteindre cet objectif de
contre-révolution sociale dans une lutte nationaliste opposant chacun contre
tous, tandis que le second groupe cherche à atteindre le même but dans un
processus contrôlé, sous direction européenne. Tous craignent que l'effondrement
chaotique de pays entiers provoque des bouleversements sociaux.
Cette crainte est également partagée par les experts d'UBS, citant nul autre
que le révolutionnaire russe Lénine comme autorité. Citant l'économiste John
Maynard Keynes, ils écrivent que « Lénine avait certainement raison. Il
n'y a pas de moyen plus sûr et subtil de renverser la base existante de la
société que de débaucher la monnaie. »
Les travailleurs ne peuvent se subordonner à l'un des camps bourgeois en
lutte. Ils doivent s'opposer avec véhémence à tous ceux qui répondent à la
crise de l'euro par une chasse aux sorcières contre « les Grecs » et
agitent les tensions nationales.
En même temps, les travailleurs doivent rejeter tous ceux qui tentent de
renforcer les institutions de l'UE et prônent l'établissement d'une dictature
du capital financier européen pour « sauver l'Europe ».
La solution à la crise n'est pas nationale, mais
internationale, et elle relève d'une question de classe. Aucun problème social
ne peut être résolu sans briser le pouvoir du capital financier par
l'expropriation des banques et des grandes entreprises industrielles, et leur
placement sous contrôle démocratique.
Pour atteindre cet objectif, les travailleurs doivent s'unir dans toute
l'Europe de façon inconditionnelle pour défendre leurs droits et leurs acquis
sociaux, et lutter pour mettre au pouvoir des gouvernements ouvriers qui
s'uniront pour former les États-Unis socialistes d'Europe.
Un seul mouvement lutte pour cette perspective politique : le Parti de
l'égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale.