Quelques 430.000
personnes sont descendues samedi soir dans les rues de diverses villes
en Israël pour protester contre l’augmentation des
loyers et la flambée du coût de la vie qui rendent
les fins de mois difficiles.
Les rassemblements
étaient les plus vastes protestations sociales de
l’histoire d’Israël, bien plus vastes que
les 250.000 qui ont rempli les rues le 6 août et plus vastes
encore que les 400.000 qui étaient descendus dans la rue en
septembre 1982 pour protester contre le rôle joué
par Israël dans le massacre perpétré
dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila
à Beirut.
Plus de 5,5 pour cent de
la population israélienne de 7,75 millions ont
été impliqués dans les manifestations,
ce qui représenterait 3 millions de personnes en
Grande-Bretagne et plus de 18 million aux Etats-Unis.
Les manifestants ont
dénoncé le prix élevé des
logements et les programmes de privatisation du gouvernement. Ils ont
appelé à une augmentation des taxes sur les
sociétés et des impôts pour les riches
et à une réduction de la TVA et des taxes sur le
carburant.
Le rassemblement
principal a eu lieu à Tel Aviv où 300.000 jeunes,
couples de retraités et familles, tant juifs Ashkenazi que
Mizrahi, ont manifesté en scandant des slogans, «
Il [le gouvernement] ne comprend que les chiffres, »et en
réclamant la justice sociale.
L’ambiance
était carnavalesque, avec des concerts et des
écrans de télévision géants
montrant les protestations à travers le pays.
Jérusalem a vu
50.000 personnes emplir la place de Paris et les rues aux alentours.
C’était presque le double des rassemblements
précédents qui ont eu lieu cet
été.
De plus, 40.000 personnes
sont descendues dans les rues à Haïfa, la
troisième plus grande ville d’Israël avec
une population mixte d’Arabes et de Juifs, pour protester
contre la discrimination en Israël à
l’encontre des citoyens arabes. Shahin Ninas, un
représentant du campement de protestation a dit, «
Aujourd’hui, nous changeons les règles du jeu.
Plus de coexistence basée sur le houmous et les
fèves. Ce qui se passe là, c’est la
véritable coexistence, quand Juifs et Arabes marchent
ensemble, côte à côte, pour la justice
sociale et la paix. Nous en avons assez. Bibi [le premier ministre],
doit partir. Steinitz [le ministre des Finances], va-t-en et ne reviens
pas, Atias [le ministre du logement], salut et bon débarras.
»
Les « villes de
développement » appauvries ont assisté
à d’énormes manifestations, lors
desquelles 12.000 personnes ont participé aux rassemblements
à Aful et 7.000 à la fois à Rosh Pina
et à Kiryat Shemona. Dans le Sud, plus de 1.000 personnes au
total ont rejoint les rassemblements à Mitzpe Ramon et
à Arad, des villes dans le désert du Neguev
où les organisateurs n’attendaient
qu’une centaine de personnes.
Trois cents
Israéliens vivant aux Etats-Unis ont aussi
manifesté à New York, en scandant, «
New York, Tel Aviv – la même révolution.
»
Tzipi Livni, dirigeante
du parti d’opposition Kadima, a appelé ses
partisans à se joindre à la manifestation, tandis
que Meretz, qui se présente comme un parti
social-démocrate, a tenu des réunions avant et
durant la manifestation, appelant à la restauration de
l’Etat providence. L’objectif de ces forces
politiques est de maintenir l’opposition de masse contre
l’inégalité existant au sein du
système politique existant.
Ahmed Tibi,
député palestinien israélien et membre
du Parti T’aal, a rejoint les protestations en appelant
à la justice sociale et à combler
l’écart économique entre la
majorité et la minorité.
Alors que les
organisateurs avaient initialement appelé à une
« marche d’un million », soit
près du huitième de la population, le nombre de
ceux qui ont suivi l’appel, 430.000, a
témoigné de l’énorme crise
sociale à laquelle les travailleurs et leur famille sont
confrontés. Ce nombre doit aussi être compris
comme une résistance aux tentatives des autorités
de fermer le campement de protestation et de limiter la taille des
rassemblements.
L’armée
israélienne Homefront (Home Front Command) a
publié une directive interdisant les manifestations dans les
villes du Sud appauvries de Be’er Sheva, Ashdod, Ashkelon et
Sederot, en rappelant des craintes d’attaques à la
roquette de la Bande de Gaza.
Mercredi, la direction
des chemins de fer israéliens a annoncé
qu’elle fermerait Jérusalem, Tel Aviv et Beersheba
ainsi que, samedi soir, les lignes ferroviaires de Tel Aviv pour
assurer des travaux de réparation sur les lignes
malgré le fait d’avoir été
au courant de la manifestation de masse depuis des semaines. Il aura
fallu une décision de la Haute Cour vendredi pour obliger le
ministère des Transports à faire circuler
davantage de trains tout comme des services d’autobus de
remplacement afin de permettre aux gens d’aller participer
aux protestations à Tel Aviv.
A Jérusalem,
la police est en train d’adopter une approche de plus en plus
autoritaire. Mardi, la police a inculpé deux personnes parmi
les premières venues dresser leur tente dans la ville en
guise de protestation contre les prix élevés du
logement. Elles ont été accusées de
tentative de pénétrer par effraction dans
l’enceinte du Parlement israélien, la Knesset,
après le défilé et d’avoir
brûlé des pneus sur l’autoroute Tel
Aviv-Jérusalem dans le but de perturber le trafic. Vendredi,
en prétendant qu’ils gênaient la
circulation, la police a arrêté deux manifestants
lors d’une petite manifestation devant la
résidence officielle du premier ministre à
Jérusalem.
Le principal danger
auquel sont confrontées les protestations c’est le
manque d’une direction politique indépendante. Les
rassemblements de masse de ce weekend ont été
qualifiés de« pic » du mouvement sans
que rien de plus ne soit planifié. De nombreux campements se
vident tandis que les étudiants et les travailleurs
retournent à leurs études ou au travail
à la fin des vacances.
Il y a trois semaines,
les organisateurs avaient décidé de concentrer
les protestations sur des villes israéliennes plus petites,
un recul face aux forces sociales massives
libérées par les protestations. Ceci
reflétait leur préoccupation grandissante face
à la confrontation qui est en train de se
développer contre le gouvernement.
Itzik Shmuli,
l’un des dirigeants des protestations et le
secrétaire général de
l’Union des Etudiants israéliens, a
signalé sa volonté de négocier un
accord avec le gouvernement Netanyahu, ce qui étranglerait
les manifestations. Un comité, mis en place par Netanyahu,
va proposer quelques réformes cosmétiques dans
les limites du budget global même si le gouvernement est
déterminé à ne pas faire de
réelles concessions aux travailleurs. Le ministre de la
Défense, Ehud Barak, a rejeté tout appel
à une réduction du budget de la
Défense.
Les organisateurs des
protestations ont rejeté tout lien entre les attaques contre
le niveau de vie et la politique anti-arabe du gouvernement, cherchant
ainsi à éviter un mouvement unifié
avec les Palestiniens. Ils insistent pour tenter de faire que le
mouvement de protestations reste « non politique »,
en limitant leurs revendications à des appels à
« la justice sociale » et à un
« Etat providence. »
En fait, les
organisateurs ont une perspective politique définie, celle
d’empêcher que les manifestations ne posent un
défi au gouvernement Netanyahu, en les canalisant
derrière le parti Kadima et l’opposition
officielle. Ils sont opposés à une lutte pour le
renversement du gouvernementale de coalition de Netanyahu, le plus
droitier de l’histoire d’Israël.
Daphne Liff,
l’une des organisatrices des protestations, a dit lors
d’une interview accordée à
Ha’aretz, « Lors du premier rassemblement
déjà j’avais dit,
‘Réglez les problèmes, tant que
c’est encore possible. Si vous ne les réglez pas,
vous devriez être viré.’ Je pense encore
qu’il est en mesure de régler les
problèmes. Mais, pour cela il a besoin de faire un virage
à 180 degrés. Il a une idéologie
capitaliste qui donne d’abord de l’argent aux
riches avec ensuite quelques retombées pour les pauvres. Ce
n’est pas le langage de cette protestation. »
De tels points de vue
représentent une impasse politique pour les manifestants et
l’ensemble de la classe ouvrière
israélienne. Leurs revendications ne peuvent être
satisfaites que par le renversement du gouvernement Netanyahu et la
lutte pour un gouvernement ouvrier fondé sur une politique
socialiste.