Mardi matin, le conseil des grâces de l'État de Géorgie a refusé la clémence
pour Troy Davis, ouvrant ainsi la voie à l'exécution du détenu de 42 ans
condamné à mort par injection létale à 19 heures ce soir à la prison d'État de
Jackson.
C'est la quatrième fois en autant d'années que Troy Davis fait face à son
exécution. À moins d'une intervention de dernière minute par la Cour suprême des
États-Unis, hautement improbable, l'État de Géorgie va tuer un homme dans des
conditions où la prépondérance écrasante des preuves pointe à son innocence.
La décision a scandalisé les partisans de Davis, qui se sont rassemblés pour
manifester en Géorgie et ailleurs mardi pour protester contre la décision du
conseil. Plus d'un million de personnes ont signé des pétitions demandant
l'arrêt de l'exécution, et la demande de clémence a été soutenue par un large
éventail de personnalités, dont l'ancien président Jimmy Carter, le Pape et
William Sessions, l'ancien directeur du FBI.
La perspective de l'exécution d'un innocent a provoqué une révulsion
internationale. Bianca Jaggar, ambassadrice au Conseil de l'Europe sur la peine
de mort, a commenté la décision de la commission des libérations
conditionnelles en ces mots : « Exécuter Troy Davis dans ces
circonstances serait une parodie. L'exécution d'un homme innocent équivaut à un
meurtre sanctionné par l'État. »
La décision de la commission des libérations conditionnelles survenait après
l'audience qui a duré toute la journée lundi et au cours de laquelle ont été
entendues les déclarations des avocats de Davis et des témoins dans la matinée,
suivies dans l'après-midi des arguments des procureurs et des déclarations de
membres de la famille de Mark MacPhail, le policier pour lequel Davis a été
reconnu coupable de meurtre.
Davis a été reconnu coupable et condamné à mort en 1991 pour l'assassinat en
1989 de MacPhail, qui cumulait un deuxième emploi comme garde de sécurité à
l'époque. MacPhail était intervenu pour arrêter le passage à tabac d'un
sans-abri dans le terrain de stationnement d'une succursale de restauration
rapide près d'une station de bus à Savannah, en Géorgie. Il n'existe aucune
preuve physique qui relie Davis au crime et l'arme utilisée pour l'assassiner
n'a jamais été retrouvée.
Depuis le procès en 1991, sept des neuf témoins de l'accusation ont rétracté
leur témoignage, plusieurs affirmant avoir livré un faux témoignage par suite
d'intimidation policière. Plusieurs de ces témoins sont venus témoigner à
l'audience de lundi, de même que l'un des trois jurés ayant voté pour la peine
de mort à l'endroit de Davis, mais qui a depuis déclaré que si c'était à
refaire, il agirait autrement maintenant.
Brenda Forrest, l'une des jurées au procès, a déclaré au comité des
libérations conditionnelles de la Géorgie que bien qu'elle ait initialement
recommandé la peine de mort, elle ne soutenait plus ce verdict et la sentence.
« Je ressens catégoriquement que, dans ces circonstances, M. Davis ne peut
plus être exécuté », a-t-elle dit, selon l'Atlanta Journal-Constitution.
Une autre témoin de la défense à l'audience de lundi, Quianna Glover, a
déclaré avoir entendu Sylvester « Redd » Coles - la première personne
à avoir identifié à la police Davis comme étant le tueur, et l'un des deux
témoins soutenant toujours la version de l'accusation - avoir confessé qu'il
avait tué McPhail. De nombreux témoins ont également déclaré sous serment que
c'était bien en fait Coles qui avait assassiné McPhail.
Le conseil des grâces et des libérations conditionnelles, composé de cinq
membres, a rejeté le témoignage de ces témoins de la défense comme les autres,
en déclarant : « Le Conseil a examiné l'ensemble des informations
présentées dans cette affaire et bien délibéré sur celle-ci. Après quoi la
décision a été prise de refuser la grâce. » Le conseil n'a pas fourni une
ventilation des votes de ses membres.
Après que la décision a été annoncée, Brian Kammer, l'un des avocats de
Davis, a déclaré : « Je suis profondément choqué et déçu par l'échec
de notre système de justice, incapable à tous les niveaux de remédier à une
erreur judiciaire. » Lors d'une conférence de presse mardi, les partisans
de Davis ont dit qu'ils lançaient une dernière offensive pour arrêter son
exécution, faisant appel au District Attorney du comté de Chatham pour qu'il
annule l'arrêt de mort de Davis.
Troy Davis, qui a toujours clamé son innocence, a passé 20 ans dans
l'antichambre de la mort. L'évolution de son cas au cours de ces deux décennies
a exposé un système judiciaire faisant fi des droits juridiques et
démocratiques fondamentaux.
Comme cela apparaît maintenant clairement, l'accusation de Davis lors de son
procès en 1991 reposait sur des témoignages acquis grâce à l'intimidation de la
police qui faisait pression pour sa condamnation à la peine de mort. Beaucoup
de ceux qui ont témoigné contre Davis ont été menacés par la police d'être
jugés comme complices dans l'assassinat ou d'être envoyés en prison s'ils ne l'identifiaient
pas comme étant le tireur.
Pendant la procédure d'habeas corpus de Davis contre l'État de 1991 à 1996,
période pendant laquelle il a fait appel de sa condamnation à mort, Davis
n'avait pas d'avocat assigné à son cas. La raison en est que la Géorgie est
l'un des rares États qui ne fournissent pas de conseiller juridique aux
prévenus indigents pour de telles procédures.
La loi de 1996 contre le terrorisme et pour la peine de mort effective (Antiterrorism
and Effective Death Penalty Act - ATEDP), signée par le président démocrate
Bill Clinton, a joué un rôle majeur dans la prévention de Davis d'obtenir un
nouveau procès. Cette loi impose en effet des restrictions sévères aux
condamnés à mort demandant réparation devant les tribunaux fédéraux. Plus
précisément, parce que Davis n'est pas parvenu à obtenir une audience sur ses
allégations d'innocence devant les tribunaux de la Géorgie, il ne pouvait en
obtenir une à l'échelon fédéral.
En août 2009, suite à une requête en habeas corpus déposée directement
auprès du tribunal de grande instance au nom de Davis, la Cour suprême
américaine a ordonné à la cour de première instance du gouvernement fédéral
d'examiner son cas. La Cour suprême a ordonné à la Cour fédérale
« d'entendre des témoignages et de tirer des conclusions à partir des
faits » pour déterminer si de nouvelles preuves pouvaient établir
l'innocence de Davis.
En juin 2010, le tribunal fédéral de district à Savannah, en Géorgie, s'est
réuni sous le juge William Moore. L'audience a entendu plusieurs anciens
accusateurs de Davis venir témoigner qu'ils avaient été contraints par la
police d'impliquer Davis. Alors que Moore a statué que ces rétractations
« jetaient certains doutes minimes supplémentaires quant à sa
condamnation », il a maintenu que la nouvelle preuve restait insuffisante
pour justifier la tenue d'un nouveau procès.
En mars de cette année, la Cour suprême américaine a rejeté sans émettre de
commentaires un autre appel de Davis pour un nouveau procès. La date
d'exécution de ce soir a été fixée plutôt ce mois-ci.
Alors que 51 membres du Congrès américain se sont opposés publiquement à
l'exécution de Troy Davis, il n'y a eu aucun effort significatif des
politiciens des deux partis des grandes entreprises pour y mettre fin. Barack
Obama n'a fait aucun commentaire sur l'exécution imminente, et son attaché de
presse a acheminé les questions des médias à propos de cette affaire au
département de la Justice.
Obama est un partisan déclaré de la peine de mort. Il a écrit dans ses
mémoires que, bien qu'il pense que la peine capitale « fait peu pour
dissuader les criminels », il la soutient néanmoins dans les cas « si
odieux et crapuleux que la communauté est justifiée à exprimer la pleine mesure
de son indignation en rendant l'ultime châtiment ».
Ces dernières années, la Cour suprême américaine a statué que
les exécutions des déficients mentaux et des personnes mineures reconnues
coupables de crimes sont inconstitutionnelles. Mais elle n'a fait cette
déclaration que pour maintenir le système de la peine capitale dans son
ensemble, une pratique barbare proscrite par la grande majorité des pays
industrialisés.
Le sang de l'exécution de Troy Davis est sur les mains de
l'establishment politique. Ce dernier est impliqué non seulement dans son
assassinat par l'État, mais également dans la mort des 1 267 personnes qui
ont été exécutées depuis que la Cour suprême a rétabli la peine de mort en
1976.