La junte militaire égyptienne, soutenue par les
États-Unis, a répondu avec une violence à grande échelle suite à l'assaut de
l'ambassade israélienne par des manifestants à Gizeh, près du Caire, le 9
septembre. Des unités des Forces centrales de sécurité égyptiennes (FCS) ont
réprimé des manifestants devant l'ambassade israélienne vendredi soir, tuant
trois manifestants et en blessant plus de 1000.
Les FCS ont lancé leur attaque après que des dizaines de
manifestants ont réussi à faire une brèche dans le mur entourant l'ambassade et
à pénétrer dans le lobby celle-ci.
Les manifestants auraient lancé des objets et des
documents par les fenêtres, y compris du matériel « confidentiel »
montrant des liens étroits entre les régimes égyptien et israélien. Cette
collaboration, qui est profondément impopulaire auprès des Égyptiens, a
provoqué des difficultés dès les débuts de la révolution.
La colère populaire contre l'état sioniste s'est intensifiée
après le meurtre de six soldats égyptiens le 18 août au cours d'une attaque à
la frontière par les Forces de défense d'Israël. Plusieurs manifestations qui
revendiquaient l'expulsion de l'ambassadeur israélien ont pris place devant
l'ambassade durant les dernières semaines.
Deux diplomates et six gardes israéliens auraient été à
l'intérieur de l'ambassade lorsque les manifestants ont pénétré dans le
bâtiment. Ils se sont cachés dans une salle sécurisée derrière une porte en
acier. Un commando spécial égyptien s'est rendu à l'ambassade afin d'évacuer
les diplomates après que l'ambassadeur israélien Yitzhak Levanon a téléphoné à
un membre du conseil militaire.
Plus tard, les Forces spéciales égyptiennes ont amené le
personnel de l'ambassade à l'aéroport, y compris Levanon et sa famille,
quittant le pays dans un avion de l'armée de l'air israélienne. Seul
l'ambassadeur adjoint israélien est demeuré en Égypte. Il se trouve
actuellement à l'ambassade américaine.
Les manifestations et l'attaque sont survenues après que
des milliers de manifestants ont marché vers l'ambassade israélienne vendredi,
suivant une journée de protestations de masse pacifiques contre le Conseil
suprême des forces armées (CSFA) à la Place Tahrir au Caire et dans d'autres
villes égyptiennes importantes. Après six mois de régime militaire et une
semaine de grèves de masses, il y a un fort sentiment parmi les travailleurs
que l'oppression sociale et politique reste largement la même que celle de
l'époque précédant le renversement du dictateur soutenu par les États-Unis,
Hosni Moubarak.
Confrontée à une nouvelle montée d'opposition de la classe
ouvrière, qui a été la principale force sociale dans l'évincement de Moubarak,
la junte est profondément préoccupée. Déjà avant les manifestations, le CSFA a
publié une déclaration menaçante envers les manifestants. Dans son 74e
communiqué, elle prévient que « les excès contre les forces armées, ses
installations, ou d'autres installations gouvernementales constitueraient une
menace pour la sécurité nationale. Cette menace sera combattue avec fermeté et
les coupables seront punis ». Le Conseil a aussi rendu publiques six
directives pour le gouvernement du premier ministre Essam Sharaf à suivre
immédiatement.
Parmi ces directives, il y avait des appels
à lutter contre les « réseaux de télévision satellite qui incitent à la
violence et à des protestations », des appels à « mettre un terme à
toutes grèves » et des appels pour faire respecter la loi antigrève de la
junte.
Quelques heures après que les FCS ont
attaqué les manifestants, la junte a déclaré l'état d'alerte et a demandé une
réunion d'urgence composée du premier ministre Essam Sharaf, de membres de son
cabinet et du CSFA.
Plus tard dimanche, le ministre égyptien de
l'information, Oussama Heikal, a fait une déclaration à la télévision pour
résumer la réunion. Il a annoncé que des « moyens
dissuasifs »seraient utilisés, en insistant sur le fait que les gestes
principaux consisteront en la pleine mise en vigueur de la loi d'urgence.
Il a aussi dit que l'Égypte demeure fidèle
envers les traités et les accords internationaux, faisant une allusion évidente
au traité de paix avec Israël. Il a ensuite demandé aux forces politiques en
Égypte de « prendre leur responsabilité pour leur rôle dans le présent laxisme
sur la sécurité et la morale ».
Dimanche, le quotidien d'État Al-Ahram
a rapporté que la police militaire avait déjà arrêté 130 manifestants qui
seraient parmi ceux qui ont pris d'assaut l'ambassade. Selon l'agence de
nouvelles basée au Caire, MENA, ils seront référés à un tribunal d'exception de
la loi d'urgence après avoir été interrogés.
Les forces de sécurité ont aussi pris
d'assaut les bureaux d'Al-Jazira au Caire dimanche ; la chaîne a fait un
reportage en direct sur les affrontements entre la police et les manifestants à
l'ambassade d'Israël.
La junte égyptienne se sert clairement de
ces évènements dans le cadre de ses efforts pour désorienter et réprimer les
luttes croissantes de la classe ouvrière ainsi que pour maintenir son pouvoir.
Dans une entrevue avec la chaîne satellite Al-Arabiya, Heikal prétend que la
« révolution de janvier a été une révolte authentique, pacifique qui a
tenté de renverser et remplacer le vieux régime. Les évènements actuels en
Égypte cherchent à détruire le pays et à l'amener dans le chaos. »
Heikal sait très bien que c'est un mensonge.
La révolution égyptienne n'était pas pacifique : plus de 1000 manifestants
ont été tués par le régime militaire jusqu'à maintenant. La junte et le
gouvernement intérimaire sont des extensions du régime de Moubarak, qui
défendent les intérêts d'une couche étroite et riche de l'élite dirigeante
égyptienne et des impérialistes qui la soutiennent. La junte a arrêté des
milliers de travailleurs et de jeunes, les traînant devant des tribunaux militaires
tout en réprimant les manifestations et les grèves.
Les reportages décrivant la répression à l'ambassade
israélienne établissent clairement l'étroite collaboration qui existe entre la
junte égyptienne, l'impérialisme américain et l'État d'Israël (qui fait face à
des protestations de masse contre l'inégalité sociale en Israël même). Il
semblerait que les forces de sécurité égyptiennes n'aient amorcé leur attaque
qu'après l'intervention des États-Unis et d'Israël. Selon le quotidien
israélien Haaretz, le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta,
aurait contacté le chef du Conseil suprême, le maréchal Mohammed Hussein
Tantawi, pour exiger que cesse l'attaque contre l'ambassade.
« Il n'y a pas de temps à perdre », aurait dit
Panetta à Tantawi lors d'un appel à 1 h du matin, le mettant en garde contre
une situation tragique qui pouvait avoir de « très graves
conséquences ».
Avant de contacter Tantawi, Panetta aurait reçu un appel
du ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, l'exhortant à intervenir.
D'autres sources ont rapporté que le premier ministre israélien Benjamin
Netanyahou et d'autres hauts représentants israéliens ont suivi, de Jérusalem,
les événements en direct, à l'aide des caméras de surveillance situées à
l'ambassade. Il y aurait eu aussi des pourparlers entre Netanyahou et le
président des États-Unis Barack Obama.
Durant une conférence de presse tenue samedi, Netanyahou a
remercié les gouvernements américain et égyptien et leurs forces spéciales. Il
a déclaré que le Moyen-Orient vit un « séisme historique » et a
comparé la situation à celle existant après la Première Guerre mondiale,
lorsque la région était en grande partie divisée entre l'impérialisme
britannique et français selon les conditions dictées par les accords de Sykes-Picot
de 1916. Netaneyahou a insisté sur le fait qu'il était nécessaire d'agir
calmement et de manière responsable, car « les événements qui se déroulent
ici sont causés par de puissantes forces sous-jacentes ».
Il a ajouté qu'Israël allait maintenir la paix avec
l'Égypte, améliorer les relations avec la Turquie et reprendre les pourparlers
directs avec les Palestiniens tout en promouvant ses propres intérêts. Il vise
ainsi à « empêcher un désastre pour l'État Israël ».
La classe dirigeante israélienne s'inquiète en effet de
plus en plus de la montée de l'opposition sociale dans son propre pays, ainsi
que des tensions croissantes entre Israël et la Turquie au sujet de la guerre
d'Israël à Gaza et de l'attaque survenue l'an dernier contre le bateau turc MV
Mavi Marmara.
La réaction de la junte égyptienne à l'appel de Panetta
souligne à quel point celle-ci ne souhaite couper ses liens à Israël, pas plus
qu'elle n'en est capable. Non seulement la junte égyptienne est dirigée par des
généraux qui ont maintenu durant des années les politiques pro-Israël de
l'Égypte, mais en plus, après Israël, l'Égypte est le pays recevant le plus
d'aide étrangère des États-Unis. Comme le gouvernement de Netanyahou lui-même,
la principale préoccupation de la junte est de réprimer l'opposition venant de
la classe ouvrière envers le pouvoir capitaliste à travers le Moyen-Orient.