Le 11 septembre, des travailleurs et des jeunes ont
manifesté à Santiago au Chili pour marquer le 38e anniversaire du coup d'État
soutenu par la CIA, qui a renversé le gouvernement de Salvador Allende et
ouvert la voie à 17 années de dictature militaire brutale dirigée par le
général Augusto Pinochet.
La grande marche à travers la capitale chilienne a été
marquée par des affrontements répétés entre les manifestants et les carabiniers
paramilitaires : 21 personnes ont été arrêtées et plusieurs blessées. Afin
d'intimider la foule, la police a déployé des unités montées, des canons à eau
et des gaz lacrymogènes.
La manifestation a fait suite à trois mois de
manifestation par des lycéens et étudiants universitaires qui revendiquaient la
fin de l'éducation à but lucratif et une éducation supérieure gratuite pour
tous les Chiliens. Le mouvement a progressivement escaladé en une confrontation
avec le gouvernement de droite du président Sebastian Piñera et exige la
réécriture de la constitution approuvée sous la dictature de Pinochet.
La constitution est née du coup d'État militaire chilien
de 1973, l'une des défaites les plus sanglantes et tragiques subies par la
classe ouvrière internationale. Elle a institué une série de contre-réformes
capitalistes afin de renverser les mesures réformistes mises en ouvre sous le
gouvernement Unité populaire d'Allende et pointait dans la direction d'un
nouvel ordre, dont l'éducation et les soins de santé subordonnés au profit, les
pensions privatisées, etc.
La Confédération étudiante chilienne (Confech) a organisé
des manifestations à Santiago, Valparaíso et Concepción le 13 et 14 septembre
en solidarité avec la grève de 48 heures de quelque 25 000 travailleurs du
secteur de santé municipal. Les travailleurs de la santé ont débrayé pour
exiger l'amélioration des salaires, des conditions de travail et des
infrastructures, puis contre le refus du ministère de la Santé de respecter
l'entente négociée en novembre dernier. Comme dans la lutte des étudiants, il
se trouve à la racine du conflit dans le secteur de la santé le financement
inadéquat du gouvernement et la privatisation.
Précédemment, les lycéens et les étudiants universitaires
se sont joints à une grève de deux jours, le 24 et 25 août, organisée par la
principale fédération syndicale du Chili, la CUT (Central Unitaria de
Trabajadores, Centrale unitaire des travailleurs). Moins de 13 pour cent de la
main-d'ouvre chilienne est syndiquée.
Des sections des médias ont tracé des parallèles entre les
manifestations de masse et les grèves au Chili et les mouvements populaires qui
ont balayé le Moyen-Orient tôt cette année, référant à « l'hiver
chilien » (l'hiver prend maintenant fin dans l'hémisphère sud) de la même
manière que « le printemps arabe ». Il y a un fort parallèle entre
ces luttes distantes dans l'absence d'un programme clairement défini et d'une
direction révolutionnaire consciente.
Les luttes étudiantes de masse ont pris la forme d'une
confrontation non seulement avec l'administration de droite de Piñera, mais
aussi avec la coalition Concertación de « centre-gauche », dirigée
par les partis socialiste et démocrate-chrétien, qui est responsable d'avoir
poursuivi les politiques en éducation de l'époque de Pinochet.
Toutefois, les directions étudiantes et syndicales
actuelles, dominées par le Parti communiste stalinien chilien (PCCh), sont
déterminées à maintenir les mouvements de masse explosifs à l'intérieur du
cadre politique bourgeois chilien et à limiter leurs revendications à des
réformes acceptables aux yeux de l'élite dirigeante du pays.
Telle est la politique menée tant par la direction de la
CUT, qui est entre les mains du Parti socialiste et du PCCh, que par la
Confédération des étudiants du Chili (Fech), dont la représentante la mieux
connue, Camila Vallejo, est membre du Mouvement jeunes communistes. La
direction dans laquelle ils tentent de mener le mouvement étudiant est celle
des négociations avec le gouvernement Piñera, qui laisserait intacte la
constitution de Pinochet.
La réémergence de luttes ouvrières et étudiantes au Chili
a été accompagnée par la promotion d'illusion dans la période d'Allende et du
gouvernement Unité populaire qu'il dirigeait. Toute une gamme de nouvelles
organisations a fait surface avec des noms tels que Partido del Socialismo
Allendista, Movimiento Amplio Allendista el Frente Estudiantil Allendista,and
Socialistas como Allende.
Celui qui est le plus politiquement constant dans la
promotion de ces illusions est le Parti communiste chilien. Avec l'aide de
différents groupes révisionnistes pablistes, il fait de son mieux pour
désorienter une nouvelle génération qui entre en lutte. Il sème la confusion
sur les questions touchant à la trahison politique au Chili qui a mené à une
défaite stratégique pour la classe ouvrière.
Les travailleurs chiliens ont payé un prix terrible pour
cette trahison. Des milliers de personnes ont été tuées et torturées par la
dictature militaire et un million de Chiliens ont été forcés de fuir leur pays.
La dictature a implanté la destruction en bloc du niveau de vie des travailleurs
et de leurs droits démocratiques et sociaux. Cela a créé les fondations pour
une poussée de dérégulation et de privatisation radicale qui est devenue connue
dans les milieux capitalistes internationaux sous le nom de « miracle
chilien ».
Le cour du document est une glorification de
la politique du Front populaire, introduite par le Comintern stalinien à la
suite de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne. Cette politique cherchait
à allier les partis communistes avec des partis purement bourgeois au nom de la
lutte contre le fascisme. Le prix de ces alliances était la suppression directe
des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière, et cela a eu des
conséquences des plus tragiques en Espagne.
Il est remarquable que près de deux
décennies après la dissolution de l'Union soviétique et la liquidation des
anciens partis communistes partout dans le monde, les staliniens chiliens
invoquent cet héritage discrédité. C'est parce qu'avec ou sans la bureaucratie
stalinienne de Moscou, cela correspond au rôle joué par le PCCh aujourd'hui,
qui est de subordonner la classe ouvrière aux partis bourgeois.
Aujourd'hui, comme les staliniens chiliens
le disent clairement, cette perspective se traduit en un appui pour le
« processus national, populaire et révolutionnaire » qui a porté au
pouvoir les régimes bourgeois qui vont de Chavez au Venezuela jusqu'au Parti
des travailleurs qui gouverne le Brésil.
L'histoire du PCCh présente le gouvernement
Unité populaire comme étant la « plus grande conquête du mouvement ouvrier
chilien jusqu'à maintenant ». Le PCCh cite de meilleures conditions
économiques pour la classe ouvrière ainsi que la nationalisation ou la
« chilianisation », comme on l'appelait, des secteurs miniers et autres.
Ces mesures avaient en fait débuté sous le prédécesseur d'Allende, le chrétien
démocrate Eduardo Frei.
Allende fut poussé au pouvoir par une vague
de militantisme de la classe ouvrière dans les années 1970. La question
décisive est de comprendre pourquoi ce mouvement puissant de la classe ouvrière
fut défait, entraînant la répression horrible de la dictature de Pinochet
seulement trois ans plus tard.
Il est bien connu que la CIA, travaillant en
étroite collaboration avec la droite chilienne et l'armée, a implanté un
programme pour déstabiliser et renverser le gouvernement Allende. Dans des mots
bien connus, Henry Kissinger avait déclaré : « Je ne vois pas
pourquoi nous devrions regarder sans rien faire un pays devenir communiste, car
son propre peuple est irresponsable. »
Mais pourquoi la classe ouvrière
n'était-elle pas préparée à défaire ce complot contre-révolutionnaire ? Le
PCCh tente de répondre à cette question par un double langage réactionnaire. Il
prétend qu'il lui manquait le « développement théorique » et la
« vision » pour « aller de l'avant avec la même force qu'elle
l'avait fait dans les sphères économiques et sociales pour implanter des
changements qui devaient être faits dans la superstructure de la société :
l'État, les forces armées, le système judiciaire, etc. »
Cela n'est que mensonge. Le
« développement théorique » et la « vision » du Parti
communiste chilien furent fondés sur la perspective stalinienne du Front
populaire et de la « route parlementaire vers le socialisme », ce qui
faisait du PCCh le défenseur le plus déterminé de l'État bourgeois et l'ennemi
le plus vicieux de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Il se
positionnait à la droite du gouvernement Unité populaire, utilisant les trois
ans entre l'élection et le coup militaire pour désorienter, démoraliser et
désarmer - autant littéralement que politiquement - la classe ouvrière
chilienne.
Les efforts des travailleurs pour contrer les lockouts
réactionnaires des employeurs en mettant sur pied des comités industriels et
pour se défendre contre la menace d'un coup d'État fasciste en tentant de bâtir
des organisations indépendantes de défense ont été impitoyablement anéantis par
le gouvernement Allende et les staliniens. Une loi de contrôle des armes a été
promulguée dans le but d'effectuer des fouilles et des saisies d'armes dans les
usines et les quartiers ouvriers, tandis que la loi martiale était instaurée
dans les zones ouvrières les plus militantes.
Les staliniens exigèrent que la classe ouvrière se
subordonne à l'armée, tandis qu'Allende invitait les généraux à faire partie de
son cabinet. Quelques mois seulement avant le coup d'État fasciste de l'armée,
le secrétaire général du PCCh de l'époque, Luis Corvalán, se portait garant du
« caractère entièrement professionnel des institutions armées ».
Cette trahison avait été facilitée par la liquidation
antérieure du mouvement trotskyste au Chili. Ayant le plein appui de
l'organisation pabliste internationale dirigée par Ernest Mandel, ce mouvement
s'est dissout dans le groupe centriste MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire),
qui propageait des illusions dans le castrisme et la politique de guérilla,
tout en adoptant une position opportuniste de « soutien critique »
envers le gouvernement Allende. Comme s'intensifiait considérablement la lutte
des classes dans les mois précédant le coup d'État, le MIR a même abandonné son
opposition électorale au gouvernement de l'Unité populaire, ne présentant ainsi
aucune alternative révolutionnaire à la trahison des directions staliniennes et
sociales-démocrates qui se préparait.
Les successeurs modernes du pablisme au Chili jouent
aujourd'hui un rôle semblable. Deux organisations, le Parti révolutionnaire des
travailleurs (PRT) et le Parti des travailleurs révolutionnaires (PTR), toutes
deux successeures du mouvement argentin dirigé par le défunt Nahuel Moreno, ont
tenté à leur façon de subordonner le soulèvement de la jeunesse chilienne au
stalinisme.
Balançant entre le scepticisme à l'égard du pouvoir
révolutionnaire de la classe ouvrière et la vénération de sa spontanéité, le
PTR a rendu public le 25 août un document appelant les étudiants et les
travailleurs à faire pression sur le Parti communiste, le Parti socialiste et
les syndicats afin que ceux-ci abandonnent le réformisme et mènent plutôt la
lutte étudiante dans une voie révolutionnaire.
De la même manière, encourageant les masses et demandant
que soit reconstruit la CUT, le PRT (qui a aussi servi de meneuse de claques
pour l'assaut impérialiste contre la Libye) a, dans une déclaration publiée le
7 août, appelé les travailleurs et les étudiants à forcer la CUT et d'autres
organisations de la classe ouvrière [qu'ils n'ont pas nommées] à rompre avec la
bourgeoisie et à adopter une stratégie révolutionnaire.
Peu importe les différences qui existent entre eux, le PRT
et le PTR entretiennent l'illusion fatale parmi les étudiants et les
travailleurs que ces partis historiquement discrédités, responsables d'avoir
subordonné la classe ouvrière à l'État capitaliste sous Allende, et ainsi
d'avoir pavé la voie à Pinochet, vont devenir des organisations
révolutionnaires sous une pression accrue des masses.
Le rôle de la fausse gauche est encore plus ouvertement
représenté par l'ISO (International Socialist Organization) aux États-Unis, qui
a réagi aux événements au Chili en se joignant aux médias bourgeois pour
célébrer la chef étudiante stalinienne Camila Vallejo. Appuyant dans les faits
la décision qui fut prise le mois dernier par la direction de la fédération
étudiante, dont Vallejo est à la tête, d'entrer dans des négociations avec le
gouvernement de droite de Piñera, l'ISO affirme : « Mais le président
millionnaire et la chef étudiante communiste auront bien peu en commun. »
Au contraire, la politique stalinienne de subordonner le
mouvement de la classe ouvrière à l'État capitaliste offre à Piñera un outil
politique indispensable pour étouffer les protestations de masse.
En acceptant passivement le droit des staliniens à prendre
la direction de ce mouvement et en nourrissant l'illusion que ce parti
contrerévolutionnaire peut être poussé vers la gauche, cette fausse gauche,
dont font partie les pablistes chiliens et l'ISO, ne fait que paver la voie à
de nouvelles défaites.