Le 11
septembre 2011, l'avocat Robert Bourgi a révélé dans une longue interview au Journal
du Dimanche, qu'il a servi d'intermédiaire de 1995 à 2005 pour des
financements occultes, par des présidents africains, des partis politiques
dirigeants en France.
D'autres témoignages, notamment ceux de Loïk Le
Floch-Prigent, PDG de la société pétrolière Elf, avaient déjà révélé
l'existence de pareils financements. (Voir aussi : France: Affaire Elf, les condamnations révèlent la
corruption aux plus hauts niveaux de l'Etat.) Les déclarations de
Bourgi révèlent à nouveau les agissements d'émissaires français dans les anciennes
colonies françaises. Elles dévoilent publiquement les liens entre l'Etat
français et la politique criminelle de l'impérialisme français en Afrique.
Bourgi
raconte de façon détaillée la manière dont il récupérait d'importantes sommes
d'argent pour ensuite les donner à Chirac et Villepin. Dans l'interview, Bourgi
dit : « Par mon intermédiaire, et dans
son bureau, cinq chefs d'État africains - Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise
Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso
(Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon) - ont versé environ 10
millions de dollars pour cette campagne de 2002 ».
Bourgi cachait souvent ces fonds dans des djembé, des tambours
africains. Plus loin dans l'interview, Bourgi explique qu'il avait récolté dans
les années 1990 des fonds de plusieurs chefs d'Etat africains, dont le
dictateur zaïrois, le maréchal Mobutu Sese Seko.
Son récit confirme l'existence de réseaux corrompus reliant
les banques, les sociétés pétrolières, les forces armées françaises avec les
régimes africains. Ceux-ci continuent à fonctionner pour piller les masses
africaines après la décolonisation-et aussi les travailleurs français, en
contribuant à leur imposer des gouvernements comme celui de Chirac.
Les
commentaires de Bourgi confirment également que ces pratiques existaient de
longue date. Il se présente comme successeur de Jacques Foccart, le
« monsieur Afrique » choisi par le président Charles de Gaulle pour
gérer les relations de la nouvelle Cinquième République, fondée par de Gaulle
en 1958, avec les anciennes colonies nouvellement décolonisées.
Il
explique que Foccart, qu'il appelle son « maître », « m'a dit à
moi que ces pratiques existaient même du temps de MM. Pompidou, Giscard
d'Estaing, et Mitterrand . J'ai souvent croisé à Libreville [la capitale du
Gabon] M. [François] de Grossouvre, M. Roland Dumas », deux proches du
Président François Mitterrand.
C'est
dire que ces réseaux occultes ont fonctionné sous toutes les présidences de la
Ve République, de la première-celle de de Gaulle-et celle du président actuel,
Nicolas Sarkozy.
Il est
probable que les révélations de Bourgi sont dictées par les intérêts
fractionnels de Sarkozy dans les luttes intestines de la droite française. Le
JDD a publié l'interview de Bourgi quelques jours avant la relaxe de Villepin,
poursuivi par Sarkozy dans l'affaire Clearstream.
Les
déclarations de Bourgi arrivent au moment où l'homme d'affaires Ziad
Takieddine, proche de Balladur, a été mis en examen pour financement frauduleux
de la campagne de Balladur en 1995 en marge d'un marché de livraison de
sous-marins au Pakistan. Takieddine est aussi soupçonné d'avoir organisé dans
les années 2000 des négociations entre Sarkozy et le chef d'Etat libyen, le
colonel Mouammar Kadhafi.
En
2002, onze ingénieurs français venus superviser la construction de sous-marins
au Pakistan ont été victimes d'un attentat. Les familles des victimes avancent
l'hypothèse que Ziad Takieddine a servi d'intermédiaire dans des transactions
illicites pour financer des commissions versées à l'armée pakistanaise et des
rétro-comissions à la campagne présidentielle d'Edouard Balladur. Sarkozy était
alors ministre du Budget et préparait la campagne de Balladur.
En 1996, Chirac était président de la République.
Alain Juppé, son premier ministre, déclara la suspension de versements au
Pakistan. Les attentats pourraient avoir été commandités par des responsables
pakistanais pour se venger de la suspension de la transaction. (Voir
également : France : Sarkozy impliqué dans l'enquête sur l'attentat de
Karachi en 2002).
Ces affaires révèlent le caractère criminel de la politique
extérieure française, dictée par de petites officines pétrolières et politiques
hostiles aux masses en France et en Afrique. Ceci acquiert une importance
particulière avec la crise économique mondiale et les soulèvements
révolutionnaires des travailleurs en Tunisie et en Egypte-auxquels la France a
répondu en lançant une série de guerres et d'interventions impérialistes en
Afrique.
La bourgeoisie française a justifié son intervention militaire
en Lybie en invoquant la défense de la population libyenne face à Kadhafi, avec
qui les responsables français et occidentaux avaient pourtant entretenu des
rapports étroits. En fait, cette intervention a pour objectif de mettre en
place un régime plus docile aux intérêts de l'impérialisme français, menacé par
les soulèvements ouvriers en Afrique. Total-firme française succédant à
Elf-espère obtenir une part importante des réserves pétrolières libyennes.
Dans
le même temps, durant les mois de mars-avril, la France intervenait également
dans une guerre civile en Côte d'Ivoire, pour écarter du pouvoir le président
Laurent Gbagbo-dont la résidence à Abidjan fut bombardée par les forces
françaises.
Le
fonctionnement de ces réseaux occultes tout au long de la Ve République, sous
des présidents du Parti Socialiste comme de droite, révèle également les bases
corrompues de la démocratie bourgeoise en France.
Ce
n'est pas un phénomène contre lequel la classe ouvrière peut lutter en donnant
le pouvoir aux partis de la « gauche » bourgeoise ou
petite-bourgeoise, qui mèneraient une réforme des institutions créant une VIe
République. Ces différentes formations sont des satellites politiques du PS,
qui est entièrement impliqué dans ces réseaux impérialistes.
Une
vraie lutte contre les réseaux pétroliers et mafieux de l'impérialisme français
en Afrique doit se fonder sur le prolétariat international, dans une lutte
révolutionnaire contre tous les impérialismes occidentaux en Afrique.
Il
est important de remarquer le rôle crucial des réseaux africains de
l'impérialisme français dans les fondations même de la Ve République actuelle.
La dissolution de la IVe République survint en 1958 après le début d'une
tentative de putsch par des milieux militaires alors pro-gaullistes en Algérie,
en pleineguerre d'indépendance contre l'impérialisme français.
Les
gaullistes Delbecque, Soustelle, et Neuwirth ouvraient alors à développer
l'influence en Afrique du Nord du parti du général de Gaulle. De Gaulle avaitmaintenu ses liens avec les structures de l'impérialisme français en
Afrique depuis ses séjours en Afrique comme chef de la Résistance pro-capitaliste
pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Une
manifestation à Alger le 13 mai organisée par le général Raoul Salan devint une
tentative de putsch contre la IVe République : alors qu'une descente de
parachutistes à Ajaccio mettait la pression sur le gouvernement, celui-ci
abdiquait en faveur de de Gaulle.
De
Gaulle justifia son instauration de la Ve République par sa décision de «
saisir l'occasion historique que m'offre la déconfiture des partis pour doter
l'Etat d'institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps
modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent
soixante-neuf ans » -- c'est-à-dire, depuis la Révolution française en
1789.
En fait, les milieux dirigeants français en Algérie allaient
bientôt se retourner contre lui, notamment lors du putsch des généraux en 1961,
dirigé contre le vote des Français pour l'auto-détermination en Algérie.
Comme le démontrent les affaires actuelles, les réseaux
internationaux de l'impérialisme français, qui jouèrent un rôle central dans la
formation de la Ve République, continuent toujours à fonctionner et à
encourager une politique anti-démocratique et anti-ouvrière.