Les élections pour l'Assemblée
constituante en Tunisie, prévues pour l'élaboration d'une nouvelle
constitution, doivent avoir lieu le 23 octobre. Les élections suscitent
largement la méfiance des travailleurs et des jeunes tunisiens qui ne
soutiennent pas les partis en lice ou le « processus de transition
démocratique » par lequel l'élite dirigeante a réagi au renversement du
président Zine El Abidine Ben Ali.
Il y a dix mois, la classe ouvrière
avait été à l'origine de protestations de masse qui ont renversé le régime de
Ben Ali soutenu par l'Occident. Ceci avait déclenché des manifestations à
travers l'ensemble de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et qui ont entraîné
en Egypte la chute du régime Moubarak soutenu par les Etats-Unis, ainsi que des
protestations continues internationalement.
Précédant les élections du 23 octobre,
divers sondages ont montré que la moitié des Tunisiens ne soutiennent aucun
parti politique, indiquant ainsi une désillusion populaire grandissante à
l'égard de l'establishment politique et ses affirmations frauduleuses de
mener « un processus de transition démocratique. »
Selon un sondage réalisé en août par
l'Institut de sondage et de traitement de l'information statistique (Istis) et
l'agence Tunis Afrique Presse (TAP), le taux de mécontentement concernant les
partis politiques tunisiens est passé de 64 pour cent en avril à 70 pour cent
en août. Le même sondage a trouvé que plus de la moitié des Tunisiens jugeait
« incompréhensible » la transition du pays.
Bien que le gouvernement intérimaire ait
prolongé la date de clôture des inscriptions sur les listes électorale jusqu'au
14 août en lançant une vaste campagne médiatique dans tout le pays pour
encourager les gens à se faire inscrire sur les listes électorales, seule la
moitié des 7 millions d'électeurs potentiels se sont inscrits. La participation
des jeunes âgés de 17 à 35 ans et des femmes a été particulièrement faible - 17
et 13 pour cent respectivement.
En août, Mohamed Ben Joud, diplômé en
économie de 24 ans, a dit à l'agence d'information Xinhua : « Sept
mois après la fuite de Ben Ali du pays, les choses n'ont pratiquement pas
changé. Les mêmes taux élevés de chômage persistent parmi les diplômés
universitaires et les jeunes n'ont plus confiance dans les promesses de la
révolution. »
Au cours de ces derniers mois, un
certain nombre de protestations et de grèves anti gouvernement ont éclaté dans
divers secteurs industriels au fur et à mesure que des masses de gens arrivent
à la conclusion que le gouvernement fait tout pour maintenir l'ordre ancien et
est incapable de résoudre leurs problèmes sociaux. Le taux de chômage officiel
se situe à 19 pour cent et le chômage des jeunes dépasse 30 pour cent. Il
ressort des sondages d'opinion que 61 pour cent sont insatisfaits de l'économie
tunisienne.
La désillusion populaire face à
l'élection est une réfutation dévastatrice des partis petits-bourgeois jadis de
gauche, tels le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), maoïste,
d'Hamma Hammani et le mouvement ex stalinien Ettajdid. Ces forces s'étaient
opposées à une perspective de lutte pour le renversement socialiste de
l'appareil d'Etat de Ben Ali comme partie intégrante d'une lutte plus générale
contre l'impérialisme à travers l'ensemble du Moyen-Orient. Au lieu de cela,
ils ont assuré que les travailleurs pourraient obtenir les droits sociaux
qu'ils revendiquaient par le biais d'une révolution démocratique sous le
capitalisme.
Munis de cette perspective ils ont
rejoint la soi-disant Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la
révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, mise en
place par le gouvernement intérimaire dans le but de superviser les élections
pour l'Assemblée constituante.
La Haute Instance comprend le Parti
démocrate progressiste (PDP), le mouvement Ettajdid et la bureaucratie
syndicale de l'UGTT (l'Union générale tunisienne du travail, principale
béquille de l'ancien régime de Ben Ali), ainsi que la fédération des
employeurs, l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat
(UTICA).
Plus de 100 partis politiques
participeront aux élections du 23 octobre. Selon la commission électorale
tunisienne, plus de 11.000 candidats, représentants des partis politiques et
des indépendants, brigueront 217 sièges à l'Assemblée constituante. La durée du
mandat de l'Assemblée est limitée à un an, avant les élections présidentielles
et législatives prévues en octobre 2012.
Le parti islamiste droitier Ennahda
arrive en tête dans les sondages pour l'Assemblée constituante avec 23 pour cent
des votes, suivi des partis de centre-gauche - le Parti démocrate progressiste
(PDP) avec 10 pour cent et le parti social-démocrate Ettakatol avec 9 pour
cent.
Un sondage effectué en septembre a
révélé qu'Ennahda obtiendrait 80 sièges, le PDP 40, l'Ettakattol 30, l'ex
mouvement stalinien Ettajdid 6 et le PCOT 3 sièges.
L'Ennahda cherche à exploiter par des
mesures réactionnaires la colère massive contre la pauvreté et le chômage
croissant au sein de la classe ouvrière. Sa montée dans les sondages est le résultat
de la politique traitre menée par l'UGTT et des forces petites bourgeoises
comme le PCOT qui ont trahi les luttes révolutionnaires des travailleurs en
promouvant la commission des réformes et les élections - qui, en fait, ne
jouissent d'aucun soutien populaire.
Ces derniers jours, la violence a éclaté
entre le régime intérimaire et des groupes islamistes protestant contre une
décision réactionnaire prise par des responsables de l'université de Sousse
interdisant à une étudiante portant le voile intégral de s'inscrire à
l'université. Ennahda profite de cette décision totalement anti-démocratique
des fonctionnaires de l'université pour accroître son influence.
Ennahda s'efforce aussi de dissimuler le
caractère réactionnaire de son programme en revendiquant à la fois son
allégeance à l'islam et à la démocratie. Le dirigeant d'Ennahda, Rachid
Ghannouchi, a dit à Reuters : « Ennahda respecte toutes les valeurs
de la démocratie et de la modernité. Notre parti peut trouver un équilibre
entre la modernité et l'islam. »
Le but d'une telle rhétorique est de
rendre l'islamisme acceptable à l'impérialisme occidental qui se demande à
présent s'il devrait compter sur Ennahda pour la défense de ses intérêts en
Tunisie.
En commentant une réunion récente qu'il
a eue avec des diplomates occidentaux, Ghannouchi les a rassurés en disant
qu'il adhérerait à la politique exigée par les puissances impérialistes :
« Nous maintiendrons les relations avec nos partenaires traditionnels
comme l'Europe, mais nous allons aussi tenter de diversifier nos partenariats
afin de nous ouvrir aux Etats-Unis et à l'Amérique latine, à l'Afrique et à
l'Asie, et particulièrement aux marchés arabes. »
Le magazine d'information en langue
française Jeune Afrique a remarqué : « Selon une source à l'ambassade
des Etats-Unis à Tunis, les Américains seraient prêts à soutenir une coalition
entre les Islamistes et les Destouriens [les sociaux démocrates précédemment au
pouvoir], seules forces politiques capables, selon eux, de diriger efficacement
le pays après l'élection d'une Assemblée constituante. »
Le PDP était le parti d'opposition
officiel sous Ben Ali qui était même allé jusqu'à signer en 1988 le pacte
national avec le régime Ben Ali. Il soutenait la politique de libre marché de
Ben Ali qui a massivement plongé les travailleurs tunisiens dans la pauvreté.
Le PDP est à présent en train de mener une campagne en prétendant faussement
vouloir doubler les investissements étrangers par l'assouplissement de la
législation commerciale - en d'autres termes, par le contrôle la classe
ouvrière en maintenant les salaires à un niveau de pauvreté.
Après la fuite de Ben Ali du pays, le
PCOT, qui opère comme le principal pilier de l'ordre bourgeois en Tunisie, a
joué un rôle clé dans la trahison des luttes de la classe ouvrière et a promu
le régime intérimaire dans le but d'initier des mesures démocratiques.
Le PCOT a signé un communiqué conjoint
avec d'autres partis politiques, dont le PDP et Ennahda, pour soutenir, après
les élections du 23 octobre pendant une période d'un an, le maintien du régime
intérimaire, et ce jusqu'aux élections législatives de l'année prochaine.
Lors d'une récente réunion électorale,
le dirigeant du PCOT, Hamma Hammani a qualifié les élections pour l'Assemblée
constituante « de phase cruciale sur la voie de la réalisation du
processus de transition démocratique permettant de rompre avec l'ancien
régime. »
Ceci est un mensonge. Le régime
intérimaire est en soi composé d'anciens responsables de Ben Ali, dont Essebsi
le premier ministre même. La promotion par le PCOT du « processus
démocratique » soutenu par les impérialistes vise à supprimer les luttes
révolutionnaires et à maintenir la classe ouvrière dans les limites de l'ordre
bourgeois.