La secrétaire d'Etat américaine,
Hillary Clinton, a solennellement annoncé dimanche que Washington « appuyait
fortement les appels » à une enquête indépendante sur le meurtre barbare
du chef d'Etat libyen évincé, Mouammar Kadhadi.
Sur quoi exactement Mme Clinton
veut-elle enquêter qu'elle ne connaît pas déjà ?
Kadhafi a été capture jeudi alors
qu'il fuyait sa ville natale de Syrte. Au cours du mois précédent, Syrte avait
subi un bombardement continu de l'OTAN et un siège brutal des soi-disant
« rebelles » qui ont détruit la ville en causant la mort d'un nombre
incalculable de civils et de blessés.
Son convoi, détecté par des
avions espions américains, fut d'abord attaqué par un drone Predator américain
qui était téléguidé depuis une base aérienne au Nevada. Un avion de
surveillance américain AWAC a ensuite fait appel à des avions de combat
français qui ont largué deux bombes de 500 livres sur les véhicules dans
lesquels se trouvaient le colonel Kadhafi et son entourage.
Les frappes aériennes ont laissé
des dizaines de morts et le dirigeant libyen blessé. Il fut ensuite pourchassé
par les « rebelles » soutenus par l'OTAN qui agissaient en accord
avec des « conseillers » des forces des unités spéciales britanniques
SAS.
Les derniers moments de Kadhafi
ont été enregistrés par un nombre de séquences vidéo agitées et filmées avec
les téléphones portables de ses assaillants. Elles montrent un Kadhafi blessé
hurlant et résistant faiblement à une horde de miliciens frénétiques qui sont
en train de le provoquer et de l'attaquer alors qu'il crie « Allahou
Akbar » - « Dieu est grand ». Il est traîné, frappé à coups de
pied et battu jusqu'au sang à coups de fusils et de poings avant d'être jeté
sur le capot d'un véhicule. Une séquence montre un pistolet près de sa tête
puis son corps sur le trottoir alors que du sang coule de l'arrière de son
crâne.
Comme l'a dit laconiquement l'un
des membres du Conseil national de transition (CNT) soutenu par l'OTAN basé à
Benghazi, « Ils l'ont battu très durement puis ils l'ont tué. »
A la question posée à Clinton par
Christiane Amanpour de la chaîne américaine ABC quant à sa « réaction
première » aux horribles séquences vidéo des téléphones portables, Clinton
a répondu, « Eh bien Christiane, vous savez, personne ne veut bien
évidemment voir un être humain dans cet état. »
Les déclarations de Clinton
avaient manifestement été bien préparées et visaient à apaiser le dégoût
provoqué dans le monde par les vues du lynchage de Kadhafi. Quant à sa
« réaction première », elle avait été révélée le jour de l'assassinat
même, lorsqu'elle avait ri en disant à un journaliste, « Nous sommes
venus, nous avons vu, il est mort. »
En effet, 48 heures à peine avant
le lynchage de Kadhafi, la secrétaire d'Etat américaine s'était envolée pour
Tripoli où elle avait déclaré que le dirigeant libyen devait être
« capturé mort ou vif, » dès que possible.
Il s'agissait difficilement d'une
boutade. La guerre Etats-Unis/OTAN contre la Libye qui a duré huit mois a été
menée dans le but d'un « changement de régime » pour renverser
Kadhafi et mettre en place un régime marionnette qui répondra plus docilement
aux attentes de Washington et de ses alliés de l'OTAN, ainsi que des grands
conglomérats énergétiques occidentaux.
En utilisant comme couverture les
soulèvements populaires survenus en Tunisie et dans l'Egypte avoisinantes, les
Etats-Unis et leurs alliés ont délibérément fomenté en Libye une confrontation
armée pour ensuite chercher à rassembler un soutien pour s'assurer de l'approbation
de l'ONU pour une intervention sous le faux prétexte de protéger la vie des
civils.
Sous cette bannière « humanitaire »,
ils ont mené une guerre aérienne incessante et criminelle contre ce pays
d'Afrique du Nord riche en pétrole tout en effectuant sans cesse des tirs de
missiles et des bombardements qui ciblaient Kadhafi et sa famille. Le 1er
mai, une frappe aérienne de missiles de l'OTAN sur la résidence de Kadhafi à
Tripoli avait tué l'un de ses fils et trois de ses petits-enfants. Tous les
moyens techniques des Etats-Unis et de l'OTAN avaient été mis en oeuvre en
Libye dans le but de localiser le dirigeant libyen pour le tuer.
Ce n'était pas non plus la première
tentative du genre. En 1969 déjà, comme le révèle Henry Kissinger dans ses
mémoires, des discussions avaient eu lieu au sein du gouvernement américain au
sujet d'une action secrète pour assassiner Kadhafi, en raison surtout de son
nationalisme radical, son ingérence dans le contrôle américano-saoudien de la
politique pétrolière de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole)
et de sa fermeture de la plus grande base aérienne du Pentagone sur le
continent africain. En 1986, le gouvernement Reagan avait exécuté le
bombardement de la résidence-caserne de Kadhafi à Tripoli. Et, dans les années
1990, les services secrets britanniques MI6 avaient comploté avec des éléments
islamistes en vue de le tuer.
Alors qu'après la dissolution de
l'Union soviétique Kadhafi avait cherché à s'arranger avec l'Occident en
renonçant aux « armes de destruction massive » et en collaborant
activement à la « guerre mondiale contre le terrorisme » des Etats-Unis,
les puissances impérialistes n'ont ni pardonné ni oublié ses infractions
d'antan.
Quant à Hillary Clinton et au
gouvernement Obama, le fait d'appeler à une enquête sur le meurtre de Kadhafi est
de loin plus que du cynisme. C'est comme si le gouvernement Eisenhower avait
exigé une enquête sur l'assassinat de Patrice Lumumba, ou si la Maison Blanche
de Nixon avait demandé une enquête internationale sur la mort de Salvador
Allende.
La principale différence est qu'à
l'époque c'était la CIA qui était connue comme « Murder Inc. » (Cie
des assassinats) pour ses opérations secrètes. A présent, le gouvernement
américain dans son ensemble préconise ouvertement et sans complexe l'assassinat
comme un outil principal de la politique étrangère.
A trois reprises, en moins de six
mois, le président Obama était venu parader devant les caméras de télévision
pour annoncer des exécutions illégales. En mai dernier, il s'agissait de la
liquidation d'Oussama ben Laden qui, non armé, fut tué par balle par des forces
spéciales américaines. En septembre, eut lieu l'assassinat au Yémen par un
missile hellfire d'un citoyen américain, Anwar-al-Awlaki. Un deuxième citoyen
américain, Samir Khan, fut tué au cours d'une attaque. Et maintenant, Obama
revendique le mérite du lynchage de Kadhafi.
D'innombrables autres personnes
ont été assassinées de la même manière avec moins de tapage au Pakistan, au
Yémen, en Somalie et ailleurs. Deux semaines après le meurtre d'Awlaki, un
missile hellfire a coûté la vie à son fils, Abdulrahman âgé de 16 ans, et qui,
tout comme son père, était un citoyen américain né aux Etats-Unis. Cette
attaque, qui a tué huit autres personnes, la plupart d'entre eux des mineurs,
n'a pratiquement pas été signalée dans les médias américains.
Au lieu de cela, les magnats de
la presse discutent pour savoir si ces « succès de la politique
étrangère » contribueront à faire réélire le président, avec Obama se
présentant vraisemblablement aux élections avec son score record d'« assassin
en chef » qui approuve les « kill lists »(listes de personnes à
tuer) établies par le comité secret qui est effectivement devenu un nouveau
service extraconstitutionnel du gouvernement américain.
Le meurtre sauvage de Mouammar
Kadhafi est emblématique d'une politique illégale et violente de la part de
l'élite dirigeante américaine qui cherche désespérément à compenser le déclin
économique du capitalisme américain par une série sans fin de guerres et de
provocations destinées à prendre le contrôle des ressources vitales et des
marchés.
Obama et Hillary Clinton croient,
à juste titre, qu'ils n'ont rien à craindre d'une enquête des Nations unies ou
de la Cour pénale internationale sur le meurtre de Kadhafi. Néanmoins, la tentative
irresponsable de réimposer le colonialisme au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord ne résoudra pas mais, au contraire, ne fera qu'exacerber les insolubles
contradictions économiques et sociales et la crise du capitalisme américain et
mondial.
La crise entraînera la classe
ouvrière dans une lutte internationale en créant les conditions d'un règlement
de compte révolutionnaire avec les crimes de l'impérialisme américain.