Le meurtre sauvage jeudi du dirigeant
libyen évincé, Mouammar Kadhafi, sert à souligner le caractère criminel de la
guerre que les Etats-Unis et l'OTAN mènent depuis ces huit derniers mois.
L'assassinat qui fait suite à un siège
de plus d'un mois de Syrte, ville côtière libyenne qui fut la ville natale de
Kadhafi et le centre de son soutien. L'attaque perpétrée contre cette ville de
100.000 habitants a détruit pratiquement tous les bâtiments et résulte en un
nombre incalculable de civils tués, blessés et frappés de maladie et qui sont
privés de nourriture, d'eau, de soins médicaux et d'autres produits de première
nécessité.
Apparemment Kadhafi se déplaçait dans un
convoi de véhicules pour tenter d'échapper au siège de la ville, une fois le
dernier bastion de résistance tombé aux mains des « rebelles »
soutenus par l'OTAN. Les avions de l'OTAN ont attaqué le convoi jeudi matin à 8
heures 30, laissant un bon nombre de véhicules en proie aux flammes et
l'empêchant d'avancer. Ensuite, des miliciens anti-Kadhafi armés sont
intervenus pour porter le coup de grâce.
La mort de Kadhafi semble faire partie
d'un massacre plus large qui aurait coûté la vie à un certain nombre de ses
proches collaborateurs, de combattants fidèles et de ses deux fils, Mo'tassim
et Saif al-Islam.
Alors que les détails des meurtres
demeurent quelque peu flous, des photographies et des vidéos filmées sur des
téléphones portables et publiées par les « rebelles » soutenus par
l'OTAN montrent clairement un Kadhafi blessé aux prises avec ses ravisseurs et
criant alors qu'il est entraîné vers l'arrière d'un véhicule. Son corps dénudé et
sans vie est ensuite exhibé, couvert de sang. Il est évident qu'après avoir
d'abord été blessé, peut-être lors des frappes aériennes de l'OTAN, l'ancien
dirigeant libyen a été capturé vivant pour ensuite être exécuté sommairement.
Une photographie le montre avec à la tête une blessure par balle.
Le corps de Kadhafi a ensuite été emmené
dans la ville de Misrata où il aurait été traîné dans les rues avant d'être
déposé dans une mosquée.
Le sort réservé à sa dépouille est
politiquement significatif en ce qu'il a été saisi par une faction de la milice
de Misrata qui opère sous sa propre autorité et qui n'a aucune loyauté envers
le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi que Washington et l'OTAN
ont sacré comme étant le « seul représentant légitime » du peuple
libyen.
Et donc, cet événement macabre, que le
président Barack Obama a salué dans la roseraie de la Maison Blanche comme
l'avènement d'une « nouvelle Libye démocratique », ne fait que
révéler en réalité les failles régionales et tribales qui plantent le décor
pour une période prolongée de guerre civile.
Les Etats-Unis comme la France,
revendiquent le mérite de leur rôle dans le meurtre de Kadhafi. Le Pentagone a
affirmé jeudi qu'un drone prédateur américain avait tiré un missile hellfire
sur le convoi du dirigeant libyen évincé tandis que le ministre français de la
Défense a dit que des avions de combat français l'avaient bombardé.
Les Etats-Unis et l'OTAN avaient
effectué plusieurs frappes aériennes sur la résidence caserne de Kadhafi à
Tripoli ainsi que sur d'autres maisons où ils croyaient qu'il se cachait depuis
le lancement en mars de la guerre brutale contre la Libye. L'une de ces frappes
de fin avril avait coûté la vie à son plus jeune fils et à trois de ces jeunes
petits-enfants.
Washington avait déployé des avions de
surveillance ainsi qu'un grand nombre de drones pour essayer de retrouver
Kadhafi alors que des agents du renseignement américain, britannique et
français, des soldats des opérations spéciales et des « contractors »
militaires (engagés par des sociétés privées) opérant au sol participaient
également à la chasse à l'homme.
Deux jours à peine avant le meurtre de
Kadhafi, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, était arrivée pour
une visite inopinée à Tripoli à bord d'un avion militaire lourdement armé. Une
fois sur place, elle a demandé qu'on le capture « mort ou vif. »
Selon l'Associated Press, Clinton a
déclaré « sans mâcher ses mots que les Etats-Unis aimeraient voir l'ancien
dictateur Mouammar Kadhafi mort.
« "Nous espérons qu'il pourra
bientôt être capturé ou tué pour que vous n'ayez plus à le craindre plus
longtemps", a dit Clinton à des étudiants et à d'autres personnes lors
d'un genre de réunion publique dans la capitale. »
L'AP a poursuivi en remarquant:
« Jusqu'ici, les Etats-Unis évitaient généralement de dire qu'il fallait
tuer Kadhafi. »
Mais, en réalité, Washington est en
train de poursuivre une politique ouverte de meurtre d'Etat. Dans ce cas
précis, ils ont ouvertement préconisé et fourni tous les moyens pour faciliter
le meurtre d'un chef d'Etat avec lequel le gouvernement américain avait noué
d'étroites relations politiques et commerciales au cours de ces huit dernières
années.
Le corps meurtri du fils de Kadhafi,
Mo'tassim, qui a aussi été capturé vivant puis exécuté, a été exposé à Misrata.
Pas plus tard qu'en avril 2009, il avait été chaleureusement accueilli par la
secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton.
Dans son discours prononcé jeudi dans la
roseraie de la Maison Blanche, Obama s'est vanté de ce que son gouvernement avait
«liquidé » les dirigeants d'Al Qaïda, en prenant le ton d'un parrain de la
mafia, avec le charisme en moins. Parmi ses dernières victimes, figurent deux
citoyens américains, le mois dernier, Anwar Awlaki, l'imam américain d'origine
yéménite, et deux semaines plus tard, son fils Abdulrahman âgé de 16 ans et né
à Denver. Tous deux avaient été inscrits sur une « liste de personnes à
tuer » (« kill list ») par un sous-comité secret de la sécurité
nationale (National Security Council subcommittee) et assassiné par des
missiles hellfire. Abdulrahman a été déchiqueté en même temps que son cousin de
17 ans et sept autres amis alors qu'ils étaient en train de dîner.
Le meurtre de Kadhafi est l'apogée d'une
guerre criminelle qui a tué un nombre incalculable de Libyens et laissé la plus
grande partie du pays en ruines. Cette opération avait été lancée sous le
prétexte de protéger des civils et était fondée sur une fausse affirmation que
Kadhafi était en train de préparer un siège de la ville de Benghazi dans l'Est
pour massacrer ses adversaires. Cette opération s'est terminée par le siège de
Syrte orchestré par l'OTAN lors duquel des milliers ont été tués et blessés
durant la répression de toute opposition aux « rebelles ».
Dès le début, toute l'opération a été
orientée vers la recolonisation de l'Afrique du Nord et poursuivie pour le
compte des intérêts pétroliers des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la
France, de l'Italie et des Pays-Bas.
Alors que durant la décennie passée
Kadhafi avait gagné la faveur des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la
France et d'autres puissances occidentales, en signant des contrats pétroliers,
des accords sur les armes et autres pactes, l'impérialisme américain et ses
homologues en Europe continuaient de considérer son régime comme un obstacle à
leurs objectifs dans la région.
Parmi les principales préoccupations de
Washington, Londres et Paris figurent les intérêts économiques croissants de la
Chine et de la Russie en Libye et plus généralement en Afrique. La Chine a
développé un commerce bilatéral s'élevant à 6,6 milliards de dollars,
principalement dans le secteur pétrolier, alors que 30.000 travailleurs chinois
étaient employés dans un large éventail de projets d'infrastructure.
Entre-temps, la Russie a développé d'importants accords pétroliers, des ventes
d'armes s'élevant à des milliards de dollars et un projet de 3 milliards de
dollars pour relier Syrte à Benghazi par rail. Il y avait aussi eu des
discussions sur l'ouverture à la flotte russe d'un port méditerranéen près de
Benghazi.
Kadhafi avait provoqué la colère du
gouvernement de Nicolas Sarkozy en France de par son hostilité au projet d'une
union méditerranéenne, destinée à reconditionner l'influence de la France dans
les anciennes colonies du pays et au-delà.
De plus, d'importants conglomérats
énergétiques américains et d'Europe occidentale toléraient de plus en plus mal
ce qu'ils considéraient être des clauses difficiles exigées par le gouvernement
Kadhafi, ainsi que la menace de voir la société pétrolière russe Gazprom
bénéficier d'une part importante de l'exploitation des réserves du pays.
Des facteurs politiques se sont ajoutés
à ces motifs économiques et géostratégiques. Le rapprochement de Kadhafi vers
l'Occident avait permis à Washington et à Paris de cultiver certains éléments
au sein du régime qui étaient prêts à collaborer à une mainmise impérialiste du
pays. Faisaient partie de ceux-ci, des figures telles Mustafa Abdul Jalil,
l'ancien ministre de la Justice de Kadhafi, à présent le président du CNT
soutenu par l'OTAN, et Mahmoud Jibril, l'ancien responsable pour le
développement économique qui est actuellement le chef du conseil exécutif du
CNT.
Avec les soulèvements populaires
survenus en Tunisie et en Egypte - aux frontières occidentales et orientales de
la Libye - les Etats-Unis et les alliés de l'OTAN ont vu une occasion de donner
suite à un projet qui avait été développé depuis un certain temps déjà pour un
changement de régime en Libye. Disposant d'agents qui travaillaient sur le terrain
ils ont décidé d'exploiter et de détourner les manifestations anti-Kadhafi pour
fomenter un conflit armé.
Afin de se préparer à une prise de
contrôle impérialiste directe, ils ont suivi une procédure bien établie,
calomniant le dirigeant du pays et promouvant l'idée que seule une intervention
extérieure pourrait sauver les civils innocents d'un massacre imminent.
La soi-disant destruction imminente de
Benghazi a été utilisée pour obtenir le soutien à la guerre impérialiste de
toute une couche de personnes jadis de gauche, de libéraux, d'universitaires et
de défenseurs des droits de l'homme, qui ont pesé de tout leur poids moral et
intellectuel en faveur d'un exercice d'agression impérialiste et de meurtre.
Des figures telles le professeur
d'histoire du Moyen-Orient de l'université du Michigan, Juan Cole, qui avait
émis des critiques limitées envers l'invasion de l'Irak par le gouvernement
Bush, étaient devenues de fervents promoteurs de la mission
« humanitaire » du Pentagone et de l'OTAN en Libye. De représentants
d'une couche sociale de la classe moyenne supérieure ils sont devenus une
nouvelle base pour l'impérialisme, et se sont totalement compromis,
politiquement et moralement. Ils n'ont absolument pas été gênés par le non
respect de la loi durant toute cette entreprise et l'accumulation de preuves de
meurtre et de torture d'immigrants et de Libyens noirs aux mains des soi-disant
rebelles.
Leur tentative de décrire le changement
de régime en Libye comme étant une révolution populaire devient de plus en plus
grotesque au fur et à mesure que les jours passent. Le régime fantoche instable
qui est en train de prendre forme à Benghazi et à Tripoli a été mis en place
par un bombardement incessant et massif de l'OTAN, par le meurtre et la
violation systématique du droit international.
La Libye sert d'avertissement au monde
entier. Tout régime qui entraverait les intérêts américains, qui
contreviendrait aux grandes entreprises ou qui ne se soumettrait pas aux
puissances de l'OTAN peut être renversé par la force militaire et voir ses
dirigeant assassinés.
D'ores et déjà, les médias américains
qui ont organisé une célébration hideuse du bain de sang devant Syrte, hurlent
pour que l'OTAN répète son intervention libyenne en Syrie. Clinton, quant à
elle, a averti jeudi les dirigeants pakistanais qu'un soutien insuffisant à la
guerre américaine en Afghanistan impliquerait qu'ils en paieraient
« chèrement le prix. »
Il n'y a pas de doute que de futures
opérations sont en projet avec des guerres plus grandes qui se précisent,
entraînant des conséquences catastrophiques. Le gouvernement Obama a déjà
averti l'Iran que tout restait « envisageable » en ce qui concerne un
complot fabriqué pour l'assassinat à Washington de l'ambassadeur saoudien. Et,
étant donné que l'intervention libyenne visait en grande partie à contrer
l'influence chinoise et russe dans la région ainsi que mondialement, la Chine
et la Russie elles-mêmes sont perçues comme de futures cibles.
Les événements sanglants de Libye et les
motifs économiques qui les sous-tendent fournissent une nouvelle leçon quant au
caractère véritable de l'impérialisme. La crise qui s'empare du capitalisme
mondial représente une fois de plus une menace de guerre mondiale. La classe
ouvrière ne peut confronter cette menace que par la mobilisation de sa force
politique indépendante en se réarmant avec le programme de la révolution
socialiste mondiale afin de mettre un terme au système capitaliste qui est la
source du militarisme.