Le sommet tant annoncé de l'Union
européenne de cette semaine ne prendra aucune décision pour stabiliser l'euro et
résoudre des divergences existant entre l'Allemagne et la France. Au lieu de la
cela, 17 chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro projettent de se réunir
à Bruxelles mercredi prochain 26 octobre pour décider d'un ensemble de mesures.
Le sommet de l'UE, initialement
prévu pour le week-end dernier, était censé fournir une réponse exhaustive à la
dette européenne et à la crise bancaire en apaisant les marchés boursiers et
les marchés financiers qui avaient fortement fluctué des mois durant. Il y a
deux semaines, toutefois, le sommet avait été reporté à court terme après une
réunion à Berlin entre la chancelière Angela Merkel et le président français,
Nicolas Sarkozy.
Lors de cette réunion Merkel et
Sarkozy avaient annoncé à grand renfort de tintamarre un accord commun en
promettant de soumettre un « plan clair et convaincant » pour la
résolution de la crise d'ici la fin du mois. Depuis, toutefois, il est clair
que les divergences sont bien plus profondes qu'officiellement reconnues.
Une visite surprise mercredi 19
octobre de Sarkozy à Francfort n'a pas apporté de solution. Après deux heures
de négociations avec Merkel et d'influents représentants d'institutions
européennes, le président français est reparti bredouille.
Le point de désaccord majeur entre
Berlin et Paris est la répartition du fardeau en cas de défaillance de la Grèce
ou l'effacement de sa dette qui, selon des experts, semblent de plus en plus
inévitable. Les discussions ont porté sur le moyen de protéger d'autres pays
hautement endettés contre une contagion financière et de protéger les banques d'un
effondrement par des injections massives de capital.
Le projet général en discussion
est d'utiliser la Facilité européenne pour la stabilité financière (EFSF) dotée
de 440 milliards d'euros et qui fut lancée en mai 2010 dans le but de fournir
des prêts aux pays de la zone euro menacés de banqueroute mais, depuis, son
rôle n'a cessé d'être élargi.
D'ores et déjà, il est clair que
le montant de 440 milliards d'euros est insuffisant au cas où des pays comme
l'Espagne et l'Italie rencontreraient de sérieux problèmes. Etant donné que
l'Allemagne refuse d'augmenter sa part de 221 milliards d'euros du fonds,
divers mécanismes sont avancés pour rehausser la puissance de feu du fonds au
moyen d'un levier financier.
La France propose que l'EFSF bénéficie
d'une licence bancaire afin de pouvoir emprunter des fonds supplémentaires à la
Banque centrale européenne (BCE). Ceci lui permettrait d'accorder des prêts à
hauteur de 2 milliers de milliards d'euros.
L'Allemagne rejette
catégoriquement une telle décision. Elle craint que la BCE ne dégénère en une planche
à billets et ne soit plus à même de garantir la stabilité de l'euro. De plus,
un tel levier accroîtrait le risque que l'Allemagne ait en fait à verser les
sommes qu'elle a garanties. Les Etats européens sont responsables des pertes
encourues par la BCE et l'Allemagne en est le principal pays créanciers.
Le gouvernement allemand propose
une autre forme de levier. Au lieu d'accorder elle-même des prêts, l'EFSF devrait
être transformée en un genre de société d'assurance-crédit responsable d'un
certain pourcentage d'obligations souveraines (l'on parle de 20 à 40 pour cent)
que des pays endettés vendent sur le marché libre. Ceci ferait passer le
potentiel de renflouement à environ 1 millier de milliards d'euros.
En plus des divergences
concernant le levier du plan de sauvetage, Berlin et Paris sont incapables de
s'accorder sur l'ampleur des pertes que subiraient les détenteurs de la dette
grecque tout comme sur la manière de recapitaliser les banques exposées.
Les banques françaises sont tout
particulièrement engagées en Grèce, et Paris préconise un faible niveau de
perte sèche de l'ordre de 50 à 60 pour cent. Sarkozy veut aussi assister les
banques vulnérables grâce aux moyens du fonds de l'EFSF alors que Merkel veut
que les banques augmentent d'abord leur capital grâce à leurs propres
ressources pour ne recourir qu'en dernier lieu aux ressources de l'EFSF.
Ces questions doivent à présent
être discutées à Bruxelles dans un marathon de réunions. Vendredi 21 octobre,
les ministres des Finances du groupe euro s'étaient rencontrés, suivis samedi par
celle des ministres des Finances et des ministres des Affaires étrangères de
tous les Etats membres de l'UE. Dimanche, les chefs d'Etat et de gouvernement
des 27 Etats de l'UE doivent se rencontrer, suivis ensuite par une réunion plus
restreinte des chefs d'Etat des 17 pays de la zone euro.
Il n'est pas sûr qu'un accord soit
conclu. En plus du recours à l'EFSF, la recapitalisation des banques et la
restructuration de la dette grecque, le programme du sommet comprend une
coordination renforcée des politiques en matière économique et fiscale au sein
de la zone euro.
L'Allemagne notamment exige un prix
à payer en échange de ses milliards de garanties apportées. Elle insiste pour
que les pays recevant une aide financière renoncent à une partie de leur
souveraineté en se soumettant aux dictats de la Commission de l'UE pour ce qui
est des questions financières.
La chancelière Merkel veut
modifier le traité de Lisbonne de façon à ce que les pays accusant des déficits
excessifs puissent être poursuivis devant la Cour de Justice européenne. Le
ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, veut autoriser
l'EFSF à intervenir directement dans les budgets de pays en quête d'aide pour
organiser un défaut ordonné en cas de défaillance de paiement.
Selon le quotidien Süddeutsche
Zeitung, qui est possession des projets du ministre allemand des Affaires
étrangères, l'EFSF doit être habilitée à obliger les pays qui ne respectent pas
les directives de l'UE « à procéder à de nouvelles réductions budgétaires
ou à établir de nouvelles sources de revenus », ou bien à « soutenir
activement » l'application de « mesures administratives »,
c'est-à-dire des coupes sociales.
Si le sommet ne parvenait pas à
un accord au cours du week-end il faudrait s'attendre lundi à de vives réactions
sur les marchés boursiers et financiers. Si un compromis était trouvé, il sera
inévitablement pareil aux décisions prises lors des innombrables sommets
précédents en n'inaugurant que le prochain stade de la crise.
Les profondes divergences entre
l'Allemagne et la France indiquent le degré d'avancement de la décrépitude de
l'Union européenne. Depuis la signature en 1957 du Traité de Rome, ces deux
pays ont formé l'épine dorsale de l'UE et de l'ensemble du projet d'intégration
européenne. Les antagonismes nationaux qui ont dominé le continent jusqu'au
milieu du siècle dernier ressurgissent une fois de plus.
La question de la dette n'est que
le déclencheur de l'actuelle crise. Comparée au produit intérieur brut, la
dette de la zone euro (85 pour cent) est inférieure à celle des Etats-Unis (94
pour cent) et du Japon (220 pour cent). Mais, la rivalité entre les
Etats-nations européens et l'assujettissement de leurs gouvernements aux
dictats du capital financier excluent toute solution progressiste de la crise.