Le projet de loi proposé jeudi au sénat
américain, avec le soutien des deux partis, autorisant une guerre commerciale
des Etats-Unis avec la Chine, est une diversion cynique. Dans le contexte d'une
vague grandissante de protestations contre Wall Street, les démocrates ont pris
les devants pour essayer de fournir un bouc émissaire étranger à la crise du
capitalisme américain.
Le projet de loi a été soumis par le
sénateur Sherrod Brown d'Ohio, l'un des Etats les plus durement touchés par
l'effondrement de la production manufacturière américaine, et a bénéficié du
soutien ardent d'autres démocrates d'Etats industriels comme Debbie Stabenov du
Michigan, Charles Schumer de New York et Robert Casey de Pennsylvanie.
Douze sénateurs républicains ont rejoints
la plupart des démocrates pour fournir une majorité de 62 contre 38 pour
imposer la clôture au débat sur le projet de loi. Parmi eux figurent certain
des sénateurs les plus réactionnaires du sénat, dont six des Etats du Sud
dévastés par les fermetures des usines textile : Richard Burr de Caroline
du Nord, Thad Cochran du Mississippi, Saxby Chambliss et Johnny Isakson de
Géorgie, et Jefferson Sessions et Richard Shelby d'Alabama.
L'un des plus bellicistes au congrès, le
républicain Lindsey Graham de la Caroline du Sud, a soutenu le projet de loi
lors du vote de procédure lundi par 79 contre 19 voix pour la présenter au
sénat. Graham fait partie du groupe de près de vingt républicains à soutenir le
projet de loi tout en votant contre la fin du débat dans une tentative
d'ajouter plusieurs amendements réactionnaires.
Les démocrates et les républicains ont
rivalisé pour porter les accusations les plus insistantes contre la Chine et sa
soi-disant politique monétaire et commerciale prédatrice - comme si les entreprises
et les banques américaines étaient des victimes innocentes, et non les
organisations les plus prédatrices et impitoyables de la planète.
Brown a réagi aux mises en garde que le
projet de loi provoquerait une guerre commerciale aux conséquences désastreuses
pour l'économie mondiale en déclarant, «Cela fait dix ans que nous sommes
engagés dans une guerre commerciale. » Schumer a ajouté, « Les
critiques de notre projet de loi disent qu'elle déclencherait une guerre
commerciale avec la Chine. Et bien, j'ai une grande nouvelle à leur annoncer:
Nous nous trouvons déjà dans une guerre commerciale avec la Chine - et ça ne se
passe pas bien pour nous. »
Le président de la Réserve fédérale, Ben
Bernanke, a lui aussi semblé apporter toute son aide au projet de loi - en
abandonnant la politique de non-intervention de la Fed en usage sur les marchés
monétaires. « Pour le moment, notre préoccupation est que la politique
monétaire chinoise est en train de bloquer ce qui pourrait être un processus de
reprise plus normal de l'économie mondiale, » a-t-il dit. « Dans
une certaine mesure c'est préjudiciable à la reprise. »
Des projets de lois visant à punir la
Chine pour une manipulation monétaire présumée sont l'apanage des démocrates au
congrès, tout spécialement de ceux ayant des liens étroits avec les industries
automobiles et les bureaucrates syndicaux qui sont au service de ces
industries, tels les syndicats United Auto Workers (UAW) et l'United
Steelworkers.
Obama a accordé un soutien verbal à la
campagne antichinoise lors de la conférence de presse de jeudi en déclarant que
la Chine « s'est montrée très agressive en utilisant le système commercial
à son avantage. » en ajoutant que « la manipulation monétaire en est
un exemple. » Il a continué en disant toutefois qu'il était inutile que le
congrès adopte une législation allant à l'encontre de la règlementation de
l'Organisation mondiale du commerce qui interdit de telles actions
protectionnistes.
La Maison Blanche, ainsi qu'une grande
partie du monde des affaires américain, voient l'avantage de recourir à la
démagogie antichinoise pour détourner de Wall Street la colère populaire face à
la crise économique en choisissant un bouc émissaire étranger. Mais
l'aristocratie financière américaine reconnaît que le fait d'intensifier les
attaques verbales en actions directes contre la Chine minerait le système
commercial mondial, exacerberait la crise économique et financière mondiale et,
argument peut-être le plus important du point de vue de l'impérialisme
américain, aliénerait son principal créancier.
Si une telle législation était adoptée,
une guerre commerciale avec la Chine ne ferait rien pour inverser le déclin de
l'industrie américaine et du niveau de vie des travailleurs américains qui est
le résultat de la crise du système mondiale et pas de la politique d'un seul
pays. Les effets de choc sur l'économie mondiale détruiraient en fait les
emplois au lieu d'en créer.
Ce qui est encore plus dangereux c'est
qu'une telle action serait une progression vers un conflit militaire flagrant
avec la Chine, puissance militaire et économique montante qui représente une
menace à la suprématie de longue date de l'impérialisme américain dans la
région de l'Asie et du Pacifique.
Mais le fait que les mesures américaines
de guerre commerciale renferment de tels dangers n'exclut pas leur application.
L'idée que des considérations « rationnelles » l'emporteront, ignore
les leçons de l'histoire. Après tout, d'innombrables arguments avaient été
avancés avant la Première Guerre mondiale selon lesquels l'Allemagne et la
Grande-Bretagne n'entreraient jamais en guerre du fait de leurs liens
économiques étroits.
Les relations internationales ne sont
pas gouvernées par la rationalité mais par des intérêts matériels. Depuis
l'entrée en fonction d'Obama, son gouvernement a instauré une série de mesures
contre la Chine. Et, en ce qui concerne le commerce, il est poussé par des voix
influentes venant de l'establishment libéral.
Le chroniqueur du New York Times,
Paul Krugman, qui est parfaitement conscient du rôle qu'ont joué les conflits
commerciaux pour créer les conditions de la Deuxième Guerre mondiale, fait
partie de ceux qui ont encouragé les mesures contre la Chine. Dans une rubrique
publiée le 2 octobre et intitulée « La Chine face à ses responsabilités »
il a insisté en disant que « l'on peut et l'on devrait prendre des mesures
contre les pays qui laissent leur monnaie sous-évaluée. [et] c'est
essentiellement cela qui nous conduit vers la Chine. »
Krugman reconnaît qu'être
« ferme » avec la Chine pourrait « déclencher une guerre
commerciale » mais dit que de tels risques sont « exagérés. »
Alors que Krugman et les démocrates au
sénat battent le tambour de la guerre économique, les républicains de la
Chambre des représentants répandent des stéréotypes de la Terreur rouge, selon
lesquels la « Chine communiste » est engagée à renforcer ses
préparatifs militaires et l'espionnage systématique des Etats-Unis. Le
président de la Commission du renseignement à la Chambre des Représentants,
Mike Rogers, du Michigan, a dit mardi lors d'un débat que l'espionnage cyber de
Beijing a « atteint un niveau intolérable » et il a réclamé une
action conjointe entre les Etats-Unis et l'Europe « pour mettre un terme à
ce fléau »
Un rapport du Pentagone, publié cette
semaine, a mis en lumière la dépendance de l'industrie d'armement américaine
qui est basée sur les métaux de terres rares uniquement disponibles auprès de
fournisseurs chinois. La Chine produit actuellement 96 pour cent de minerais de
terres rares. Ce sont 17 éléments qui jouent un rôle crucial dans les produits
électroniques de haute technologie indispensable dans les guerres modernes. Le
rapport, publié mardi, a dit qu'il était « essentiel qu'une source non
chinoise stable » soit établie pour de tels minerais.
Des rapports précédents du Pentagone
mettaient en avant une menace présumée de la croissance économique chinoise et
de sa puissance militaire, notamment pour l'hégémonie américaine sur les vastes
territoires des îles au Sud et à l'Est du continent asiatique, de l'Australie
et d'Indonésie au Japon. L'impérialisme américain ne pourra tolérer
indéfiniment la croissance d'un tel rival et aura recours à la soi-disant
menace pour les « emplois américains » dans le cadre d'une campagne
de propagande pour mobiliser le soutien populaire pour une action militaire.
Dans ce contexte, le rôle le plus
dangereux est joué par le chauvinisme débridé des démocrates. Le sénateur
Schumer est peut-être le plus éhonté en déclarant dans un communiqué, « Il
est clair que je n'ai pas l'intention de hisser le drapeau blanc pour
l'industrie manufacturière américaine et les emplois américains. »
« Je sais que la production
industrielle américaine peut concurrencer avec succès la Chine, sur le plan
national, en Chine et partout dans le monde - mais seulement si le jeu est
équitable, » a-t-il affirmé. Les implications de cette argumentation sont
profondément réactionnaires et pas uniquement parce qu'elle mène au soutien à
une guerre impérialiste.
L'appel de Schumer à « un jeu
équitable » signifie abaisser les salaires et le niveau de vie des
travailleurs américains à ceux de la Chine. C'est ce que le patronat américain
veut dire par rendre les entreprises américaines « compétitives »
avec leurs rivales outre-mer.
La seule alternative à une telle
politique de réduction des salaires est l'unité internationale de la classe
ouvrière - américaine, chinoise, européenne, japonaise et internationale - dans
une lutte commune afin d'élever le niveau de vie de la population laborieuse à
un niveau décent. Ceci n'est possible que par la lutte pour mettre fin au
capitalisme et à l'Etat-nation en soi, et pour créer une société socialiste
mondiale offrant une égalité authentique de niveau de vie et d'emplois pour
tous.