La signification du « glissement » vers la région Asie-Pacifique amorcé
par Barack Obama a été mise en évidence la semaine passée. Sur tous les
fronts, diplomatique, économique et militaire – le gouvernement Obama est en
train d’affronter de manière agressive la Chine, en aiguisant fortement les
tensions dans la région et dans chaque pays de la région.
L’annonce d’Obama, en vue de nouveaux arrangements pour la création de
bases destinées aux marines américains dans le Nord de l’Australie ainsi que
d’un plus grand accès pour les bâtiments de guerre et les avions de combat
américains, fait partie d’un renforcement militaire général dans la région
dans le but de maintenir la domination américaine et d’amoindrir l’influence
grandissante de la Chine. L’impérialisme américain, n’étant plus en mesure
d’exercer le pouvoir économique tel qu’il le faisait autrefois, est en train
de déployer impitoyablement sa puissance militaire dans une confrontation
avec la Chine qui aura éventuellement des conséquences bien plus
désastreuses que les guerres en Afghanistan, en Irak et en Libye.
La déclaration d’Obama faite jeudi devant le parlement australien selon
laquelle il avait pris « une décision délibérée et stratégique » de
recentrer la politique étrangère américaine sur l’Asie-Pacifique reflète un
processus qui est en cours depuis deux ans. Dans un discours prononcé il y a
un an à Hawaï, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, avait
employé un jargon militaire pour résumer sa tâche. Elle avait parlé de
« diplomatie déployée en projection » pour « entretenir et renforcer la
direction américaine » en déployant « nos atouts diplomatiques… dans tous
les coins et toutes les capitales de la région Asie-Pacifique. »
Obama assiste présentement au forum de l’Asie orientale à Bali où, malgré
les objections de la Chine, il a l’intention de promouvoir de manière
provocante les « intérêts nationaux » américains dans la Mer de Chine
méridionale. Sous le prétexte de défendre « la liberté de navigation », les
Etats-Unis encouragent les pays de l’Asie du Sud Est à faire valoir, dans
ces eaux stratégiques clé, les droits de leurs rivaux face à la Chine – en
contribuant à étendre les capacités navales des Philippines et en organisant
des manœuvres navales communes avec le Vietnam. Le résultat en a été une
série d’incidents navals survenus au cours de l’année dernière, impliquant
les Philippines, le Vietnam et la Chine, et qui ont dangereusement accru les
tensions régionales.
Il n’y a rien d’anodin dans l’offensive diplomatique d’Obama. La décision
de son gouvernement de renforcer les alliances américaines et d'en établir
de nouvelles partout en Asie-Pacifique a déjà fait des victimes politiques.
Un facteur important dans le coup d’Etat au sein du Parti travailliste
australien (Australian Labor Party, ALP) de juin 2010 qui avait destitué de
son poste Kevin Rudd et mis en place Julia Gillard comme premier ministre
avait été l’hostilité de Washington à l’égard des tentatives de Rudd d’agir
comme intermédiaire pour apaiser les tensions entre les Etats-Unis et la
Chine.
Rudd, qui s’est lui-même déclaré être « solide comme un roc » sur la
question de l’alliance Etats-Unis/Australie, ne peut en aucun cas être
qualifié d’« anti-américain. » En gérant le jeu d’équilibre précaire entre
le plus important partenaire commercial de l’Australie, la Chine, et son
allié stratégique de longue date, Rudd avait proposé d’établir un nouvel
organisme régional – la Communauté Asie-Pacifique – en tant que forum pour
empêcher qu’« une ligne de faille stratégique Etats-Unis/Chine à travers
l’Asie de l’Est » ne se transforme en un conflit qui deviendrait « une
catastrophe pour tout le monde. »
Obama, toutefois, voulait disposer d’un fidèle serviteur politique à
Canberra et pas d’un conciliateur indépendant. Une série de dépêches de
WikiLeaks témoigne de la frustration grandissante de Washington alors que
les initiatives diplomatiques de Rudd contrecarraient les tentatives d’Obama
d’intensifier, et non pas d’atténuer, la pression sur la Chine. Rudd avait
déjà fait couler le projet de dialogue quadrilatéral pour renforcer la
coopération militaire entre la région des « quatre démocraties » –
Etats-Unis, Inde, Japon et Australie – que la Chine avait dénoncé comme une
« OTAN asiatique » dirigée contre elle.
L’éditorialiste du journal Australian, Greg Sheridan, a fait
remarquer le week-end dernier qu’Obama avait annulé deux voyages en
Australie – le deuxième entraînant « l’annulation de la fonction de premier
ministre de Kevin Rudd. » Tout en attribuant le lien à une « inattention
politique » de la part d’Obama, le coup d’Etat contre Rudd – comme Sheridan
le sait pertinemment – avait été exécuté par une poignée de figures du Labor
et des syndicats jouissant des liens les plus proches avec Washington. A
tout le moins, Obama était au courant et avait approuvé tacitement
l’éviction de Rudd – en annulant une visite prévue et qui l’aurait conduit à
Canberra quelques jours à peine avant le retrait de Rudd.
La servilité obséquieuse de Gillard s'est affichée tout au long de la
visite de 24 heures d’Obama en Australie la semaine dernière tout comme le
furent les tensions persistantes avec Rudd, qui est maintenant le ministre
australien des Affaires étrangères. Quelques jours avant l’arrivée d’Obama,
Gillard avait fait connaître son intention d’invalider une interdiction
imposée par Rudd et frappant la vente de minerai uranium australien à
l’Inde. Gillard n’avait pas informé Rudd à l’avance de sa décision bien que
celui-ci ait été sur le point de partir pour l’Inde. La décision de vendre
de l’uranium à l’Inde, qui est survenue de toute évidence à la demande d’Obama,
n’est pas seulement une aubaine pour les compagnies minières mais supprime
aussi un obstacle aux relations militaires indo-australiennes et aux
tentatives d’Obama de ressusciter le Quadrilatère sous une forme ou une
autre.
L’implacabilité avec laquelle Rudd a été destitué souligne ce qui est en
jeu dans l’offensive d’Obama contre la Chine. De par la région, les élites
dirigeantes sont aux prises avec le même dilemme que leurs homologues
australiens – comment trouver un équilibre pour leurs liens économiques avec
la Chine et qui sont en plein essor face aux exigences de plus en plus
insistantes de la puissance militaire dominante de s’aligner sur elle à
chaque occasion, pour ce qui est des questions commerciales, de
l’implantation de bases militaires et de la planification stratégique. Au
milieu de la crise économique mondiale grandissante, Washington ne tolérera
aucune indépendance, même limitée, de la part d’alliés telle l’Australie
alors qu’ils cherchent à renforcer l’hégémonie militaire et économique
américaine dans l’ensemble de la région Indo-Pacifique.
Le ministre indonésien des Affaires étrangères, Marty Natalegawa, qui
accueille aujourd’hui le sommet des pays d’Asie de l’Est, a exprimé les
craintes ressenties à Jakarta lorsqu’il a critiqué la décision de stationner
des marines américains à Darwin, tout près du Sud de l’archipel indonésien.
Natalegawa a prévenu que la Chine réagirait très vraisemblablement en
renforçant ses propres capacités militaires, aboutissant ainsi à « un cercle
vicieux de tensions et de méfiance dans la région… le défi que nous devons
tous relever est de veiller à ce que la situation ne dérape pas
complètement. »
En ouvrant des bases militaires australiennes, des ports et des
aérodromes aux troupes, aux avions de combat et aux bâtiments de guerre
américains, le gouvernement Gillard a placé l’Australie et la classe
ouvrière australienne aux premières lignes d’un quelconque conflit entre les
Etats-Unis et la Chine. Le danger très réel est que les accrochages
diplomatiques de l’impérialisme américain mèneront à des affrontements dans
une région qui abonde en dangereuses poudrières – de la Péninsule coréenne
et de Taïwan aux frontières contestées entre l’Inde et la Chine.
Seule la classe ouvrière internationale est capable de mettre un terme
aux fléaux du militarisme et de la guerre. Ceci requiert une lutte unifiée
des travailleurs en Asie, en Amérique et internationalement pour abolir le
système capitaliste et sa division du monde en Etats-nations rivaux qui a
déjà produit deux guerres mondiales dévastatrices au cours du siècle
dernier.
(Article original paru le 19 novembre 2011)