Le premier ministre George Papandreou a congédié mardi l'état-major des armées grecques. Cette mesure a été prise dans le contexte d'une grande colère de la part des gouvernements du monde et des marchés financiers internationaux face à sa proposition de soumettre à un referendum populaire le plan de sauvetage de l'Union européenne qui représente des années d'austérité punitive pour les travailleurs grecs.
Le ministère de la Défense a fait une déclaration laconique par e-mail annonçant que Papandreou avait congédié le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major de l'armée de Terre, de la Marine et de l'Armée de l'air, et déchargé de leurs fonctions une douzaine d'officiers de l'Armée et de la Marine.
Cette annonce a attisé en Grèce des rumeurs sur l'imminence d'un coup d'Etat militaire. Ces craintes sont fondées sur la compréhension qu'il est impossible d'imposer, par des moyens démocratiques, les coupes draconiennes dans l'emploi, le niveau de vie et les services sociaux de base, exigées par les élites dirigeantes de l'Europe afin de payer le prix de l'annulation partielle du fardeau de la dette du pays.
S'il y a une menace de coup, il ne fait aucun doute que les causes ne proviennent pas uniquement des tensions existant à l'intérieur du pays. Cela provient plutôt des décisions prises à Berlin, Paris, Washington et l'OTAN, selon lesquelles les intérêts du capital financier requièrent une solution de style Pinochet devant les problèmes rencontrés pour imposer les décisions de l'UE à la classe ouvrière grecque qui résiste.
Tout juste sorti de son succès sanglant en Libye, l'OTAN pourrait bien être en train de préparer un nouvel exercice de « changement de régime », cette fois dans l'un de ses Etats membres.
La réaction des gouvernements du monde à l'annonce par Papandreou d'un referendum s'est caractérisée par une colère et une consternation non dissimulées. Le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel ont convoqué Papandreou à Cannes pour des pourparlers d'urgence avant le sommet du G20 qui s'y tiendra.
Le Financial Times de Londres de mardi citait un ancien ministre du gouvernement PASOK en guise d'avertissement concernant les pourparlers de Cannes, « Cela pourrait être une absence dangereuse de la part du premier ministre. »
Le grand-père de Papandreou, Georgios Papandreou, qui était aussi premier ministre, avait été évincé de son poste puis était décédé alors qu'il était assigné à résidence suite au coup militaire de 1967. Ce coup militaire avait porté au pouvoir une junte répressive qui avait gouverné le pays jusqu'en 1974, appliquant une répression massive, interdisant les partis politiques et les syndicats et perpétrant des arrestations de masse et la torture systématique.
La crise grecque s'est aggravée lundi soir après l'annonce par Papandreou de sa proposition de referendum sur le soi-disant plan de sauvetage financier adopté par les chefs d'Etat et de gouvernement européens à Bruxelles le 26 octobre. Son annonce a pris par surprise la population grecque tout comme les gouvernements des autres pays de l'Union européenne.
Ce referendum remet en question les décisions prises par le sommet de Bruxelles après des semaines de conflits féroces. Ces décisions comprennent une décote (« haircut ») ou suppression de 50 pour cent de la dette grecque des banques européennes, des mesures d'austérité draconiennes soutenues et un contrôle strict du budget de la Grèce par l'UE.
Si l'électorat grec décidait de s'opposer aux décisions du sommet, cela conduirait très probablement à la sortie de la Grèce de la monnaie unique et probablement à l'effondrement de l'euro.
La perspective même que les Grecs aient leur mot à dire sur les décisions du sommet et l'austérité brutale que ces mesures vont engendrer pour eux a provoqué une chute brutale des marchés financiers mondiaux mardi. Les cours de la bourse étaient à la baisse partout en Europe. Le DAX allemand a chuté de 5 pour cent et quelques banques européennes majeures ont perdu plus de 10 pour cent de leur valeur. L'euro aussi baissé. Aux Etats-Unis l'indice Dow Jones a chuté de près de 300 points.
Pour justifier sa décision, Papandreou a dit mardi: « Les citoyens sont la source de notre force. Les citoyens seront appelés à dire un grand 'oui' ou un grand 'non' au nouvel accord de prêt. C'est un acte suprême de démocratie et de patriotisme pour que le peuple prenne ses propre décisions. Nous avons confiance dans le peuple. Nous croyons en la participation démocratique. Nous n'en avons pas peur. »
Etant donné que Papandreou a imposé, durant ces deux dernières années, une succession de plans d'austérité, en dépit de l'opposition populaire farouche, ce soudain engagement à la participation démocratique sonne pour le moins creux. Papandreou est visiblement arrivé à la conclusion qu'il ne peut poursuivre sa désastreuse politique d'austérité qu'en prenant un risque majeur.
Les plans d'austérité de ces deux dernières années ont décimé le niveau de vie de larges sections de la population grecque. La résistance s'est tout autant accrue. Le mois dernier, des centaines de milliers de personnes ont participé à une grève générale de deux jours à l'appel des syndicats qui craignaient de ne plus pouvoir maîtriser la situation. En qualité de chef du gouvernement, Papandreou n'a guère de soutien. Au parlement sa majorité n'est plus que de deux voix.
La colère concernant les mesures d'austérité est si profonde que de nombreux députés du PASOK n'osent plus apparaître en public. « On ne peut même plus quitter son domicile pour aller à la taverne, » dit un député du PASOK qui souhaite garder l'anonymat, cité par le Guardian. « On vous traite de porc ou de traitre pour avoir voté des mesures qu'aucun d'entre nous ne voulait voir voter. Ce n'est pas une vie. »
Jusqu'à présent, le parti conservateur Nouvelle Démocratie (ND) a refusé de soutenir la politique de Papandreou, malgré la pression considérable exercée par les autres partis conservateurs d'Europe pour qu'il le fasse. Au contraire, le ND cherche à exploiter la crise pour prendre la place du gouvernement PASOK.
Avec sa proposition de referendum, Papandreou met au défiNouvelle Démocratie, les syndicats et les nombreuses organisations de pseudo-gauche qui les entourent. Il est tout à fait conscient qu'ils soutiennent par principe sa politique européenne et qu'ils craignent autant que lui un mouvement révolutionnaire contre les mesures d'austérité. En demandant un grand « oui » ou un grand « non » au plan de l'UE, il cherche à les forcer à prendre une position claire.
Ceci explique la réaction furieuse du dirigeant de ND Antonis Samara. «C'est de la folie pure, » a-t-il dit du projet de referendum de Papandreou. « Il cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix, en posant le dilemme que soit les Grecs votent pour qu'il reste au pouvoir, soit c'en est fini pour eux de de l'Europe. » C'était une mesure stratégique de longue date de l'élite dirigeante grecque de faire que la Grèce entre dans l'Europe et qui est à présent compromise par Papandreou. « Nous ferons l'impossible pour arrêter une tel développement, » a dit Samara avec insistance.
Papandreou projette de remettre de l'ordre dans son propre parti vendredi soir par un nouveau vote de confiance. Il a annoncé qu'il combinerait le vote parlementaire sur le referendum avec une motion de confiance. Il parie sur le fait que la peur de perdre leur siège lors d'une nouvelle élection remettra dans le rang les députés du PASOK.
Durant le referendum qui pourrait se tenir en janvier, Papandreou fera du chantage à l'électorat avec la menace de la faillite de l'Etat. Ils devront choisir entre « une restructuration brutale au sein de la zone euro ou la faillite de l'Etat avec la réintroduction de la drachme, » comme le dit Spiegel Online. S'ils votent contre les mesures d'austérité de l'UE, c'est la menace de l'effondrement économique, d'une inflation massive, de la perte des économies et, étant donné le chaos politique qui en découlera, c'est la menace d'une dictature.
Le ministre des finances Evangelos Venizelos, l'homme fort derrière Papandreou, a exprimé cette menace sans mâcher ses mots. « Est-ce que les Grecs veulent rester dans l'Europe, dans la zone euro avec l'euro dans un pays qui fait partie du monde développé, ou bien veulent-ils retourner dans les années 1960? » est la question qu'il a posée au parlement. La menace est sans équivoque. Dans les années 1960, les colonels grecs avaient pris le pouvoir par un coup militaire et mis en place une dictature brutale qui avait duré sept ans.
Si Papandreou parvient à obtenir la majorité en intimidant l'électorat par la menace du chaos et de la dictature, il utilisera sa victoire pour criminaliser toute opposition à ses mesures d'austérité. C'est pour cette raison que le Financial Times Deutschland qualifie la décision de Papandreou de « très risquée, mais correcte. » Le journal écrit que comme il était quasiment impossible que le gouvernement réussisse à appliquer ces mesures dans le climat hostile actuel, une victoire au referendum est « l'unique chance de retirer la légitimité des opposants. »
Papandreou n'est à même d'oser prendre un tel risque que parce qu'il n'existe aucun mouvement politique qui exprime une alternative. Les syndicats, les staliniens et les diverses organisations de pseudo-gauche actifs en Grèce soit soutiennent le gouvernement PASOK comme étant un moindre mal, soit promeuvent un nationalisme frondeur. Ils font généralement les deux en même temps.
Un bon exemple en est Syriza, proche du parti Die Linke (La Gauche) allemand. En conformité avec divers journaux de droite et de gauche, il a mis en avant l'idée que la Grèce est une nation opprimée suite au sommet de Bruxelles: « La Grèce sera gouvernée par ses créanciers » (a dit le député Syriza, Dimitris Papadimoulis), elle sera « officiellement transformée en un protectorat européen » (Eleftheros Typos), sa « dignité nationale sera amputée » (Vradyni), elle sera « occupée en permanence par l'UE et le FMI » (Avriani) et écrasée par les « tanks allemands » (Eleftherotypia).
Ce type de propagande nationaliste divise la classe ouvrière internationale, supprime la solidarité entre travailleurs confrontés à des attaques similaires dans d'autres pays européens et promeut une atmosphère d'unité nationale qui peut facilement être exploitée par les éléments les plus droitiers.
Nonobstant l'objectif réactionnaire du referendum de Papandreou, c'est une expression de plus de la crise et de l'instabilité énormes du capitalisme européen et international. Une semaine à peine après le sommet de Bruxelles qui était censé résoudre la crise de la dette européenne, les décisions qui y ont été prises sont déjà obsolètes. Il est peu probable que la décote draconienne (« haircut ») programmée pour janvier soit jamais appliquée.
Avec chaque retard, le danger s'accroît que d'autres pays, dont le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et l'Italie, ne fassent aussi faillite. La simple annonce du referendum par le premier ministre grec a provoqué la tourmente des marchés. L'unique réponse des gouvernements européens à ces problèmes, c'est davantage d'austérité encore plus draconienne et la menace de répression.
La résistance à ceci s'accroît partout, et c'est là que se trouve la réponse à la crise. Les travailleurs européens doivent s'unir et lutter conjointement contre ces attaques envers leurs droits sociaux et démocratiques. Ils doivent rompre avec les partis politiques et les syndicats qui les divisent et les mettent les uns contre les autres et les subordonnent à l'intérêt national.
Ils doivent lutter pour un programme socialiste. Les banques et les grandes entreprises doivent être nationalisées sans compensation et subordonnées au contrôle démocratique. Pour réorganiser la vie économique dans l'intérêt de la grande majorité, il est nécessaire de porter au pouvoir des gouvernements ouvriers et de construire les Etats socialistes unis d'Europe.