Le soudain limogeage de l’état major grec mardi soir dans le contexte
d’une vague de protestations internationales concernant une proposition de
référendum sur le plan de sauvetage de l’UE présente toutes les
caractéristiques d’une action prise pour anticiper la menace d’un coup d’Etat
militaire
Une mesure d’une telle envergure politique n’aurait pas été prise à la
légère. Pour le moins, l’on doit supposer que le premier ministre George
Papandreou avait de bonnes raisons de croire que son gouvernement et
éventuellement lui-même étaient confrontés à un danger imminent de la part
de l’armée du pays.
Le ministre grec de la Défense, Panos Beglitis, un allié politique proche
de Papandreou, avait convoqué les quatre officiers les plus haut placés de
l’armée grecque – les chefs de l’état-major, armée de terre, marine et armée
de l’air – à une réunion hâtive pour annoncer qu’ils étaient démis de leurs
postes et remplacés par d’autres membres de la haute hiérarchie militaire.
Le mois dernier, le ministre de la Défense, Beglitis avait été cité par
le site Internet EU Observer pour avoir décrit la hiérarchie
militaire grecque comme étant « un Etat dans l’Etat ».
Le gouvernement grec devrait rendre public ce qu’il sait sur les complots
de cet « Etat dans l’Etat » et qui sont ses alliés. Compte tenu du bilan du
parti Pasok de Papandreou, toutefois, ceci est extrêmement improbable. La
dernière chose que ce dernier et ses partisans pseudo-gauches veulent, c’est
alarmer les travailleurs sur les dangers auxquels ils sont confrontés.
Un certain nombre de quotidiens en Europe ont soulevé la question de
savoir si le limogeage de l’état-major visait à éviter un coup d’Etat
militaire. Parmi ces quotidiens se trouvaient à la fois le Telegraph
et le Daily Mail en Grande-Bretagne. Parmi les articles abordant plus
clairement l’affaire figurait celui de Gabor Steingart, rédacteur du
principal quotidien économique allemand, Handelsblatt.
Sous le titre « Si j’étais Grec », Steingart reconnaît que le soi-disant
plan de sauvetage de l’économie grecque est en réalité un autre renflouement
des banques aux dépens des travailleurs grecs qui seront obligés de le payer
par le biais de la destruction massive de leurs emplois, des salaires et des
conditions sociales. Ces mesures ne feront qu’aggraver la dépression et
l’endettement du pays en jetant les bases pour des exigences d’austérité
encore plus terribles à l’avenir.
En comparant le plan au traitement de « choc » appliqué dans l’ancienne
Union soviétique, Steingart écrit : « Si j’étais Grec, je ferais partie de
ceux qui sont alarmés et inquiets. Je me méfierais de cette machine
militaire qui avait gouverné le pays jusqu’en 1974 et qui attend son
occasion pour se venger. L’expérience d’un grand nombre de pays nous a
enseigné : Le Dr Choc est un ennemi de la démocratie. »
La manière dont cette affaire a été dissimulée – ou plutôt censurée dans
la presse – dans les médias américains est révélatrice. Ni le New York
Times ni le Washington Post, deux publications faisant fonction
d’organes de presse « officiels » au sein de l’establishment
politique américain n’ont pas imprimé le moindre mot sur cet extraordinaire
remaniement du commandement militaire grec.
Mardi, le site internet du Times affichait un article sur la Grèce
prédisant que le gouvernement Papandreou était sur le point de chuter.
L’évaluation aurait clairement servi à expliquer et à justifier un coup
d’Etat ayant eu lieu dans les conditions d’un effondrement politique. Mais,
apparemment, ce que les rédacteurs du Times escomptaient ne s'est pas
produit. Ceci rappelle la satisfaction prématurée du journal au sujet du
renversement de courte durée du président du Venezuela, Hugo Chavez en 2002.
A présent, le silence des médias suggère que les rédacteurs du Times
et du Post recherchent désespérément une ligne politique sur ce
qu’ils considèrent être un sujet très sensible.
Une chose est sûre, si un coup d’Etat militaire avait été en préparation
en Grèce, il n’aurait pu, compte tenu des enjeux, être accompli qu’avec le
consentement des principales puissances européennes – l’Allemagne, la France
et la Grande-Bretagne – et bien sûr, des Etats-Unis.
Alors que l’histoire de la Grèce abonde d’interventions militaires dans
le domaine politique – pas moins de huit coups d’Etat au 20ème
siècle – la dernière junte militaire à avoir saisi le pouvoir le 21 avril
1967 et à avoir régné jusqu’en 1974, portait clairement le cachet «Fabriqué
aux Etats-Unis ».
Le soi-disant « coup d'Etat des colonels » fit suite à deux années
d’instabilité politique qui avait débuté avec l’éviction par le roi grec
Constantin du gouvernement de Georgio Papandreou – le grand-père de l’actuel
premier ministre – après qu’il eut lui-même tenté de remplacer le
commandement militaire.
Le dirigeant du coup, le colonel Georgios Papadopoulos, était un ancien
collaborateur de l’occupation nazie de la Grèce dans les années 1940 et qui
avait rejoint l’armée grecque durant la période de l’après-guerre et qui
avait bénéficié aux Etats-Unis d’une formation dans le domaine du
renseignement. Il devint le principal agent de liaison entre la CIA et le
KYP, l’agence de renseignement grecque fondée et financée par les
Etats-Unis. Papadopoulos lui-même avait été à la solde de la CIA pendant 15
ans.
Le coup d’Etat avait été organisé conformément aux directives d’un plan
d’urgence de l’OTAN connu sous le nom de « Prométhée. » Ce plan aurait été
conçu pour prévenir une mainmise communiste grâce à une prise de contrôle de
l’armée et l’internement de tous ceux considérés être des éléments
subversifs.
La junte imposa la loi martiale en abolissant les droits démocratiques.
Elle jeta très vite quelque 10.000 personnes en prison, dont des dirigeants
politiques, des syndicalistes, des militants sociaux, des étudiants et
d’autres suspectés de s'opposer à son programme contre-révolutionnaire. Des
milliers furent torturés. La police de la junte battait les prisonniers
politiques avec des tuyaux en caoutchouc, leur administrait des chocs
électriques, leur faisait subir des tortures sexuelles et des viols et leur
arrachait les ongles. L’un des tortionnaires les plus infâmes de la junte
aurait eu sur son bureau une enseigne rouge-blanche et bleue de l’aide
américaine et aurait dit à ses victimes, « Derrière moi il y a le
gouvernement, derrière le gouvernement il y a l’OTAN, derrière l’OTAN il y a
les Etats-Unis. Vous ne pouvez nous combattre, nous sommes des Américains. »
Ces crimes hideux furent perpétrés avec l’aide et l’approbation directes
du gouvernement démocrate libéral du président Lyndon B. Johnson.
Durant sa première conférence de presse donnée après sa prise du pouvoir,
Papadopoulos avait défendu la répression brutale déclenchée par la junte en
disant. « Nous avons à faire à un patient qui se trouve sur la table
d’opération. Il ne peut être guéri de sa maladie sans être ligoté à la table
d’opération. »
Il n’y a pas de doute qu’un tel raisonnement rencontre beaucoup d’intérêt
de nos jours au sein des cercles financiers internationaux où la proposition
de Papandreou de soumettre à référendum un plan d’austérité drastique a été
dénoncée somme étant « irresponsable », sinon insensé.
Le premier ministre grec a fait cette proposition sur la base de ses
propres calculs politiques qui n’ont rien à voir avec la démocratie.
Toutefois, l’idée même que la population laborieuse puisse être autorisée à
voter sur la possibilité d’accepter des coupes sociales massives pour
renflouer les banques a provoqué la colère intense et la consternation de
l’aristocratie financière dans tous les pays.
Le caractère brutal de ces mesures et l’énorme inégalité sociale qu’elles
renferment ne peuvent pas être appliquée par des moyens démocratiques. Le
« patient » doit être « ligoté à la table d’opération. »
En 1974, la dernière fois que l’armée dirigeait la Grèce, durant une
période de soulèvement économique et politique qui avait balayé le monde,
l’Espagne et le Portugal, deux des autres pays cités comme les prochains
dominos susceptibles de s’effondrer dans la crise actuelle de la dette
souveraine européenne, étaient également dirigés par des dictatures
militaires fascistes. Il en était de même de la plupart des pays d’Amérique
latine.
Les événements en Grèce signalent que l’ère des colonels et des généraux
est de retour. Dans les conditions de la plus profonde crise du capitalisme
mondial depuis la Grande dépression des années 1930, les vieux mécanismes de
la démocratie bourgeoise ne sont plus en mesure de contenir plus longtemps
les antagonismes de classe et les tensions internationales qui ne cessent de
croître.
La menace de la dictature se manifeste d'abord dans les économies
capitalistes plus faibles, mais c’est comme une maladie qui se propage des
extrémités vers le cœur. Il n’existe pas un pays au monde où les
travailleurs peuvent se permettre l’illusion que « cela ne peut pas se
produire ici. »
(Article original paru le 3 novembre 2011)