L’offensive diplomatique en Asie du président américain Barack Obama, qui
a été affichée de manière très claire durant son voyage de la semaine
passée, a obligé l’élite dirigeante chinoise à reconsidérer sa position
économique et stratégique en Asie-Pacifique. Ce qui c’était passé tout
spécialement au sommet de l’Asie orientale à Bali a été un coup majeur porté
contre les efforts diplomatiques entrepris par la Chine au cours de la
dernière décennie durant laquelle elle a dépensé des sommes considérables en
prêts et en aide accordés tout autant à l’Asie qu’à l’Afrique et à d’autres
pays.
Lors du sommet de l’APEC à Honolulu, Obama a recueilli un large appui
pour l’établissement d’une zone de libre-échange de partenariat
transpacifique (TPP) visant à contraindre la Chine à accepter les conditions
commerciales américaines. A Canberra, il a conclu des accords pour le
déploiement de troupes américaines dans le Nord de l’Australie. Au sommet de
Bali, le premier ministre chinois Wen Jiabao a été isolé et incapable
d’empêcher qu’ait lieu une discussion sur la question des eaux contestées de
la Mer de Chine méridionale initiée sur l’insistance d’Obama.
Beijing a été rabroué alors même que le commerce de la Chine avec
l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) atteignait 292 milliards
de dollars en 2010 – éclipsant le commerce entre les Etats-Unis et l’ASEAN à
hauteur de 178 milliards de dollars. Selon Wen, le commerce entre la Chine
et l’ASEAN était escompté atteindre le chiffre de 400 milliards de dollars
cette année. Les événements à Bali ont remis en question l'hypothèse
antérieure de Beijing selon laquelle son influence politique grandirait
parallèlement à l’essor de ses relations économiques.
Le cas le plus frappant est celui des Philippines. Le président Benigno
Aquino III a rendu visite à la Chine en août et obtenu des accords
d’investissement s’élevant à plusieurs milliards de dollars, dont
l’établissement d’usines. Toutefois, le même Aquino est en train de tisser
des liens militaires plus étroits avec les Etats-Unis et mène l’offensive
contre la Chine dans la Mer de Chine méridionale. Il a invité des grands
groupes occidentaux à exploiter les ressources énergétiques qui existent
dans les zones maritimes contestées.
Le soutien pour le TPP à Bali, y compris de la part du Japon, a été un
revers pour les projets de Beijing de créer un bloc commercial basé sur
l’ASEAN Plus trois (Chine, Japon et Corée du Sud). Un commentaire paru lundi
dans le People’s Daily a exprimé la colère de Beijing : « Si les pays
asiatiques ne coopèrent pas plus étroitement en réduisant leur dépendance
excessive de l’économie occidentale, l’Asie deviendra une « région inondée »
chaque fois que se produira une tempête financière. »
La débâcle de Beijing à Bali doit nécessairement obliger le Parti
communiste chinois (PCC) à reconsidérer sa doctrine actuelle sur la « montée
pacifique » de la Chine qui avait été associée avec la mise en place du
président Hu Jintao en 2002-03. La « montée pacifique » de la Chine au cours
de la dernière décennie avait été rendue possible parce que le gouvernement
Bush, qui avait adopté initialement une ligne dure à l’égard de la Chine,
s’était engagé dans la « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan
et en Irak. Alors que Washington s’enlisait dans ces deux guerres, Beijing
élargissait ses liens économiques et son influence diplomatique en Asie et
internationalement.
La doctrine de la « montée pacifique » fait toutefois l’objet de
critiques croissantes à Beijing en raison du « basculement » agressif
d’Obama loin du Moyen-Orient pour affronter la Chine sur chaque question –
d’une monnaie chinoise soi-disant sous-évaluée, à la soi-disant obstruction
à la « liberté de navigation » dans la Mer de Chine méridionale.
La discussion a commencé en début d’année après les premiers
bombardements de la Libye par l’OTAN et qui mettaient en danger des dizaines
de milliards de dollars d’investissement chinois. En plus de la poursuite de
son programme en Afrique du Nord, le gouvernement Obama a utilisé la guerre
en Libye pour donner une leçon à la Chine : à savoir que la puissance
militaire américaine pouvait rapidement être déployée en Afrique et dans
d’autres parties du monde afin de miner le pouvoir économique de la Chine.
Certaine sections de l’élite dirigeante chinoise ont exigé un renforcement
militaire pour contrer les Etats-Unis.
A Beijing, les querelles de factions sur la question de la « guerre » ou
de la « paix » ont ressurgi au sujet de la Mer de Chine méridionale – une
région à proximité de la Chine et particulièrement importante au point de
vue économique et stratégique.
La position de la faction pour la « paix » a été démontrée en juin par un
commentaire fait par Wu Jiangmin, président de l’Institut de recherche des
relations internationales de Shanghaï. Il a suggéré que la « retenue » du
gouvernement chinois au sujet des eaux contestées était « une expression de
confiance en soi. » Il s’est opposé aux appels à recourir à la force pour
régler les différends territoriaux en affirmant que compte tenu de la
croissance rapide du commerce dans la région, il y avait entre la Chine et
les pays d’Asie du Sud-Est « davantage d’intérêts communs » que de conflits.
De plus, a-t-il insisté, la Chine devait maintenir un environnement
pacifique pendant les 30 ou 50 prochaines années avant de pouvoir apparaître
comme une puissance entièrement modernisée.
Wu a exprimé des vues présentes au sein de l’élite capitaliste et de la
bureaucratie syndicale chinoises, notamment parmi ceux dont les fortunes
dépendent de la Chine agissant comme le principal centre régional de
fabrication dont les pièces, les matières premières et les biens
d’investissement proviennent de l’ensemble de l’Asie. Ces éléments craignent
qu’une confrontation ouverte avec l’Amérique puissent avoir de sérieuses
répercussions économiques sur la Chine.
Dans le camp adverse se trouvait Long Tao, un analyste stratégique auprès
du Comité du fonds de l’énergie chinoise, qui a appelé Beijing à donner une
leçon aux Philippines, en suivant l’exemple de la guerre en 2008 de la
Russie contre la Géorgie soutenue par les Etats-Unis. « Le coup décisif de
la Russie dans la question de la Mer caspienne en 2008 avait montré que des
actions venant de pays plus grands peuvent causer une onde de choc pendant
un petit moment mais fournissent à sa région une paix à long terme, » a-t-il
écrit.
Ceux qui se prononcent en faveur d’une défense agressive des intérêts
commerciaux et géostratégiques de la Chine reflètent la frustration existant
au sein de l’élite capitaliste du pays au sujet d’un manque de statut de la
Chine dans l’ordre de la zone Asie-Pacifique né de la domination des
Etats-Unis de l’après-Deuxième guerre mondiale. Ils sont tout à fait
conscients que les décisions des Etats-Unis de renforcer les relations
militaires en Asie du Sud-Est et en Australie visent à améliorer leur
contrôle des voies de navigation clé dont la Chine dépend pour ses vastes
importations d’énergie et de matières premières en provenance du
Moyen-Orient et d’Afrique.
Comme le faisait remarquer un article paru le 22 novembre dans le
World News Journal chinois: « Le but de l’ingérence de l’armée
américaine dans la Mer de Chine du Sud est d’asseoir le contrôle américain
sur ce passage en or. Pour la Chine, le détroit de Malacca est sa planche de
salut pour l’approvisionnement pétrolier. Darwin est tout proche à la fois
du détroit de Malacca et des lignes de navigation internationales dans
l’Océan indien. Le déploiement américain de l’armée ici cherche
indubitablement à établir une mainmise sur le point de passage des voies
maritimes pour l’approvisionnement en énergie de la Chine. »
L’avancée d’Obama en Asie consolide la faction pro « guerre » à Beijing.
Song Xiaojun, figure nationaliste éminente et analyste stratégique, a
déclaré que parce que l’Australie s’était alignée sur les Etats-Unis plutôt
que sur la Chine, Beijing devrait pointer ses missiles nucléaires
stratégiques sur l’Australie. Un autre analyste militaire influent Ma
Dingsheng a affirmé sur la chaîne de télévision Phoenix, émettant à Hong
Kong, que compte tenu du commerce florissant entre l’Australie et la Chine
« il vaudrait mieux garder l’Australie hors de portée de la guerre. »
Toutefois, parce que « l’Australie joue un rôle dans l’approvisionnement des
ports et des bases aériennes [des Etats-Unis], le pays est à présent un nid
qui doit être ciblé. »
Quant aux Philippines, un article paru dans le Global Times,
journal chinois belliqueux et appartenant à l’Etat, a appelé la semaine
dernière à ce que le pays soit puni économiquement afin d’empêcher qu’un
autre pays ne s’inspire des Philippines contre la Chine. » L’article propose
de reporter les accords d’investissement chinois conclus avec les
Philippines, de réduire les importations en provenance du pays et d’imposer
un boycott des voyages en provenance et à destination de ce pays. Le journal
a appelé à une guerre contre les Philippines en cas de besoin dans le but de
« choquer » les pays voisins.
Ces discussions qui ont lieu au sein des cercles dirigeants chinois
soulignent l’irresponsabilité de la tentative du gouvernement Obama de
réaffirmer la domination américaine en Asie. Elle place la région et le
monde dans une voie dangereuse menant à la confrontation et à la guerre.
(Article original paru le 25 novembre 2011)