Le Conseil de sécurité des Nations unies
a adopté jeudi soir une résolution qui prépare le terrain pour une intervention
militaire directe des États-Unis et d'autres grandes puissances impérialistes
en Libye, sous le prétexte d'une mission « humanitaire » pour
protéger la vie des civils.
La résolution, dont les instigateurs sont
les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et le Liban, va beaucoup plus
loin que les propositions précédentes d'une zone d'exclusion aérienne. Elle
autorise l'usage de la force militaire, y compris « toutes mesures
nécessaires … pour protéger les civils et les zones habitées menacés
d'une attaque ». Parmi ces « zones » se trouve Benghazi, la
ville d'un million d'habitants, le seul château fort qui reste de la révolte
qui a éclaté contre Kadhafi il y a un mois. La seule restriction qu'impose la
résolution est l'exclusion de la présence « d'une force d'occupation
étrangère sur le territoire libyen ».
Le vote prépare le terrain pour un
bombardement de la Libye par des avions de guerre américains, français et
britanniques. Le premier ministre français François Fillon a déclaré à la
chaîne France-2 que des actions militaires pourraient être entreprises quelques
heures seulement après l'adoption de la résolution. Associated Press a cité un
membre du parlement britannique affirmant que « les forces britanniques
étaient prêtes à mener des frappes aériennes et pourraient être mobilisées dès
jeudi soir ».
Des responsables de l'armée des
États-Unis avaient déjà annoncé que l'imposition d'une zone d'exclusion
aérienne nécessiterait d'abord la destruction des défenses antiaériennes de la
Libye, ce qui signifie un bombardement intensif de la Libye, entraînant
nécessairement des « dommages collatéraux », soit la mort et la
mutilation de civils libyens.
Le Wall Street Journal a cité des
responsables du Pentagone disant que « l'utilisation de missiles de
croisière pour détruire des sites militaires et des systèmes de défense
antiaériens libyens fait partie des options envisagées … Des avions et
des drones pourraient aussi être utilisés contre les tanks, les véhicules de
transport de troupes et les positions d'infanterie du colonel Kadhafi. Ces
sorties proviendraient des bases des États-Unis et de l'Organisation du Traité
de l'Atlantique Nord dans le sud de la Méditerranée.
Témoignant jeudi devant la Commission
sénatoriale des services armés, le général Norton Schwartz, chef de l'US Air
Force, a affirmé qu'une zone d'exclusion aérienne prendrait « plus d'une
semaine » à imposer, indiquant ainsi qu'un bombardement soutenu était
prévu. Il a aussi signalé qu'en plus des avions de guerre américains basés aux
États-Unis et en Europe, d'autres allaient être rappelés des guerres en Afghanistan
et en Irak.
Comme d'autres responsables de l''armée,
Schwartz a dit que l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne ne serait
« pas suffisante » pour stopper l'avancée des forces loyales à la
dictature du colonel Mouammar Kadhafi. Au cours des dix derniers jours,
celles-ci ont progressé fermement à l'est vers Benghazi. De toute évidence, des
frappes aériennes contre les troupes au sol de Kadhafi sont en préparation. La
possibilité d'assassiner Kadhafi par bombardement a aussi été abordée.
Ces plans guerriers ne sont pas motivés
par le désir de protéger le peuple libyen ni de faire avancer la cause de la
démocratie, comme le clament leurs partisans au sein du Conseil de sécurité de
l'ONU. L'intervention imminente dans le pays riche en pétrole d'Afrique du Nord
est motivée par les profits et des impératifs géostratégiques qui n'ont rien à
voir avec les supposés prétextes « humanitaires » des grandes
puissances. L'objectif est d'exploiter la guerre civile en Libye pour imposer
un régime encore plus soumis à ces puissances et aux empires pétroliers
occidentaux qui veulent tirer profit des ressources du pays.
L'hypocrisie et le cynisme flagrants des
puissances impérialistes qui ont appuyé l'intervention ont été mis en évidence
par le choix du ministre des Affaires étrangères de la France, Alain Juppé,
pour présenter la résolution de l'ONU. Juppé, qui a évoqué le « printemps
arabe » comme l'une des « grandes révolutions qui changent le cours
de l'histoire », est récemment entré en fonction après que son
prédécesseur, Michèle Alliot-Marie, a été forcée de démissionner après un
scandale qui l'impliquait dans d'étroites relations politiques et privées avec
le dictateur tunisien évincé Ben Ali. Le gouvernement de Juppé se préparait à
envoyer de l'équipement pour la police antiémeute de son ancienne colonie
lorsque les protestations de masse ont forcé le dictateur à quitter le pays.
L’ambassadrice américaine aux
Nations unies, Susan Rice, qui a travaillé pour ajouter la formulation
« toutes mesures nécessaires », autorisant un assaut militaire de
durée indéterminée sur la Libye, a louangé l’adoption de la résolution,
déclarant « L'avenir de la Libye devrait être décidé par le peuple de la
Libye ».
Cela est incontestable. Latâchederenverserladictaturede droitede laclique
de Kadhafiestcelle
des travailleurset desopprimésde laLibye, qui
l'avaientcommencée. L'objectif de l'intervention soutenue par les Américains, cependant,
est précisémentd'arrêter touterévolutionvéritable etfaire en sorte quetout régimequiremplace celui de Kadhafine serve pasles intérêtsdu peuplelibyen, maisplutôtles exigencesde Washingtonet des grandes sociétés
pétrolières. LesÉtats-Unisespèrentutiliserla Libye, en outre, en
tant quebase d'opérations pourréprimer
les mouvementsrévolutionnairesdestravailleursdans toute la région.
Au vote du Conseil de sécurité, dix étaient en faveur et
cinq se sont abstenus. Les pays qui se sont abstenus sont la Russie, la Chine,
l'Allemagne, le Brésil et l'Inde. Bien qu’en tant que membres permanents
du Conseil la Russie et la Chine avaient le pouvoir de défaire la résolution en
votant « non », ils ont choisi de ne pas le faire, assurant que l'ONU
puisse continuer de remplir sa fonction qui consiste à entériner sans discuter
les demandes des grandes puissances impérialistes.
Dansleursdéclarations expliquantleurabstention, cependant, lesambassadeurs descinq paysont précisé quel'attaqueimminentesur laLibyen'a rienàvoir
avec un quelconqueconsensus parla« communauté internationale » pourprotégerle peuple libyen, maisestplutôtlerésultatd'uncomplot élaboréen secretentreWashington, Londres et Paris.
L’ambassadeur russe à l'ONU,VitalyTchourkinea
déclaréque lamesure« ouvre la porte à des interventionsmilitaires à grande échelle » eta
soulignéque des questions avaientétésoulevées lors des discussionsprécédant larésolutionsur la façon dontelle serait appliquée,
parquelles forces militaires eten vertu dequelles règlesd’engagement, maisil y n’avait eu« aucune réponse ».
L’ambassadeur indien HardeepSinghPuria noté que bien que le Conseil de sécuritéeutnomméun envoyéspécial sur lasituationenLibye, il
n’avaitreçu« aucun rapport sur lasituationsurleterrain » eta agien dépit du
« peu d'informationscrédibles ».
Il a ditqu’il n’y avait euaucune explication quant àla façon dontla résolutiondevait êtreappliquée, « par quiet avecquelles mesures concrètes ».
Il s'est dit préoccupépar le sort dela « souveraineté, de l'unitéet de l'intégritéterritoriale » de la Libye.
Singha égalementexprimédes réservessurune série denouvellessanctionséconomiques, qui visent, parmi d’autres entités,la sociétépétrolière nationale deLibye. Ila ditque les mesurespourraientperturber le commerce etl'investissementdes Étatsmembres.
L'ambassadeurd'Allemagne,
PeterWittig, a averti quel'autorisationde
l'usage de la force militaireaugmentait
« la probabilitéde pertedevie à grandeéchelle »
eta déclaréque
les forcesarméesde l'Allemagnene prendraient paspart àl'intervention.
L’ambassadeur de Chine, LiBaodong, président
par intérimdu Conseil desécurité,a également exprimédes réserves, maisa ensuite justifié la décision de Pékin
de ne pas opposer son veto en invoquantlevotede laLigue arabe
du week-end dernier qui demandait aux
Nations uniesd’instaurerunezone d'exclusion aérienne.
L'OTAN aégalementdéclarécevotecomme légitimant en quelque sortel'interventionen démontrant qu'il y avait « un
appui régional ». La réalitéest
quela Liguearabeelle-mêmeestcomposéed'un ensemble dedictatures, monarchiesetémiratsquine représentent nullementles désirsou les intérêts dupeuplearabe. Beaucoup
d'entre eux sont activement engagés dansla répression violente dessoulèvements
populaires.
Bien que Washington ait mis
l’accent sur le fait que l’intervention contre la Libye devrait
inclure la participation directe des pays arabes, il semble que leur
implication sera minimale. Suite à la visite au Caire par la secrétaire
d’État américaine Hillary Clinton, un porte-parole du ministère des
Affaires étrangères égyptien a dit à Reuters : « L’Égypte ne
figurera pas parmi ces États arabes. Nous ne serons pas impliqués dans toute
intervention militaire. Pas d’intervention, point à la ligne. »
Jeudi, la Ligue arabe pouvait nommer
seulement deux pays prêts à joindre l’attaque dirigée par l’OTAN et
les États-Unis : le Qatar et les Émirats arabes unis. Ces deux pays sont
dirigés par des dynasties royales et sont des participants directs dans
l’intervention de l’Arabie saoudite à Bahreïn pour écraser les
mouvements de masse qui luttent contre la monarchie en place. Tandis que les
forces de sécurité ont tué des protestataires dans les rues, ont envahi des hôpitaux
et ont mené un règne de terreur dans les villages chiites, aucun des prétendus
champions de la démocratie en Libye n’a proposé d’intervention des
Nations unies à Bahraïn, le siège de la Ve flotte américaine.
Le gouvernement Kadhafi a averti que
toute attaque sur la Libye « va mettre en danger tout le trafic aérien et
maritime dans la mer Méditerranée et les établissements civils et militaires
vont devenir la cible de la contre-attaque libyenne ».
La secrétaire d’État américaine
Clinton a établi le nouveau ton américain véhément envers la Libye dans une
déclaration faite en Tunisie où elle dénonce Kadhafi comme « un homme qui
n’a pas de conscience et qui menace toute personne qui lui barre la
route. … C’est sa nature, tout simplement. Il
y a des êtres comme ça. »
Pas plus loin qu’en avril 2009, la
même Hillary Clinton avait chaleureusement accueilli le fils de Kadhafi et le
ministre de la sécurité nationale au département d’État américain, où
elle avait déclaré : « Nous chérissons profondément la relation entre
les États-Unis et la Libye. Nous avons plusieurs opportunités pour approfondir
et élargir notre coopération et je suis impatiente de développer cette
relation. »
Comme ses homologues européens, Clinton,
il y a seulement quelques mois, tentait de se faire bien voir par le régime de
Kadhafi pour profiter des revenus du pétrole et renforcer la collaboration avec
sa police secrète dans le cadre de la « lutte mondiale contre le
terrorisme » menée par Washington.
Maintenant, sous le couvert d’une
montée de la propagande liée aux droits humains, des sections des médias
qualifiant les gestes répressifs du régime de Kadhafi de
« génocide », Washington, avec l’appui de l’impérialisme
britannique et français, intervient dans une guerre civile en Libye
qu’ils ont en grande partie provoquée.
Aucun discours sur l'urgence de
« sauver des vies » ne peut masquer le fait que ce qui prend place
est du banditisme impérialiste sur toute la ligne, comparable aux tentatives de
partitionner le Congo et le Nigéria pendant la seconde moitié du 20e siècle.
Dans ces deux cas, comme en Libye, la force motrice derrière les interventions
était le contrôle de ressources stratégiques.
Les justifications données pour
l’intervention en Libye sont remplies de contradictions grotesques.
Washington, qui prétend être indigné par le massacre de civils libyens et
dévoué à sauver des vies, est lui-même responsable du massacre de centaines de
milliers de personnes en Irak et en Afghanistan. De plus, la veille du vote à l’ONU,
Washington a mené le meurtre impitoyable de quelque 40 civils dans une attaque
de drone au Pakistan.
Les États-Unis et leurs alliés
n’ont montré aucun signe qu’ils cherchent une résolution leur
permettant d’utiliser la force militaire en Côte d’Ivoire, où un
conflit comparable à celui qui survient en Libye se déroule. L’explication
évidente est que le cacao n’est pas considéré comme ayant la même
importance stratégique que le pétrole.
Également, bien qu’il prétende que
l’intervention en Libye est nécessaire pour assurer le triomphe de la
démocratie au Moyen-Orient, Washington continue de soutenir les régimes à
Bahreïn et au Yémen tandis qu’ils abattent les protestataires qui
demandent des droits démocratiques.
Il y a un aspect d’extrême
imprudence dans l’intervention des États-Unis et de l’OTAN. Que
produira-t-elle? Une variante probable serait la partition de la Libye et la
résurrection de Cyrenaica, le territoire colonial établi par l’Italie à
Benghazi en 1920. Tout élément qui prendrait le pouvoir dans un tel régime
serait un fantoche de droite de l’impérialisme, comparable à Karzaï en
Afghanistan ou Maliki en Irak et mènerait inévitablement des massacres encore
plus sanglants contre le peuple libyen.