Le premier ministre égyptien Ahmed Chafik a démissionné le 3
mars pour essayer d’éviter une « marche » d’un million de
personnes, prévue aujourd’hui par les manifestants anti-régime qui exigent
un changement et critiquent sa longue histoire passée au service de
l’ancien président Hosni Moubarak.
Chafik, un ancien commandant de la force aérienne égyptienne (tout comme
Moubarak) et ministre de l’Aviation civile, a été nommé premier ministre
par Moubarak lui-même le 29 janvier dans le but de désamorcer le mouvement de
masse grandissant contre la dictature. Mais la population a refusé de voir dans
cette nomination un changement politique réel et a poursuivi les protestations
et une puissante vague de grèves qui ont finalement obligé Moubarak a quitté le
pouvoir le 11 février.
Lors de réunions avec les groupes de jeunes et les organisateurs des protestations,
Chafik n’a rien fait pour cacher son mépris pour les revendications
élémentaires qui motivent les luttes de masse en Egypte : la liberté
politique, des salaires et des niveaux de vie plus élevés et la fin de la
corruption officielle. Il s’est moqué des manifestants lors des réunions
en proposant de leur « donner des bonbons » s’ils quittaient la
place Tahrir. Il a aussi défendu les forces de sécurité de l’Etat
égyptien contre des accusations quant à leur recours à la torture.
Gaby Osman, un jeune manifestant de la place Tahrir, a dit au New York
Times: « Ahmed Chafik et Hosni Moubarak collaborent. Il est devenu
premier ministre grâce à Hosni Moubarak, et nous entendons des rumeurs
qu’il appelle Moubarak au téléphone pour lui demander ce qu’il doit
faire pour faire semblant de faire quelque chose pour les gens. »
Ces derniers jours, les manifestants avaient commencé à revenir sur la place
Tahrir – une place centrale que les manifestants avaient tenue contre les
nervis de Moubarak afin de l’obliger à quitter le pouvoir – dressant
des tentes alors qu’avaient lieu les préparatifs pour la manifestation
d’aujourd’hui contre Chafik. Il y eut des appels à continuer les
manifestations après aujourd’hui, jusqu’à l’effondrement du
gouvernement Chafik.
Hier, le Conseil suprême des Forces armées qui est au pouvoir, la dictature
militaire de fait qui a pris le contrôle de l’Etat égyptien après
l’éviction de Moubarak, a annoncé sur Facebook qu’il avait accepté
la démission de Chafik. Il a dit qu’il avait confié la formation du
nouveau gouvernement à l’ancien ministre des Transports, Essam Charaf.
Dans une brève allocution prononcée lors du conseil des ministres, Chafik a
alors annoncé sa démission en reconnaissant qu’il ne pouvait pas
continuer face à l’opposition de masse. Des responsables de l’Etat
ont alors quitté le conseil en silence en refusant de répondre aux questions
des journalistes.
Charaf, le nouveau premier ministre, a fait des études d’ingénieur
civil à l’université Purdue aux Etats-Unis et il est membre du Parti
national démocratique (NDP) de Moubarak. Après avoir démissionné pour protester
contre la corruption au sein du ministère des Transports en décembre 2005, il
avait pris un poste de professeur à l’université du Caire. Il a aussi été
membre du comité politique du NDP.
Charaf avait rejoint les protestations anti-Moubarak le 8 février, peu de
temps avant l’éviction de Moubarak. Il est l’un des dirigeants
influents du NDP qui sont proches de certains partis d’opposition. Il a
acquis une réputation de critique de la politique de Moubarak sur
l’infrastructure et sur ses étroits liens avec Israël.
Mais, lorsqu’on lui a demandé de décrire les réformes qu’il mettrait
en œuvre en tant que premier ministre, Charaf n’a suggéré
qu’un changement de forme restreint du régime existant, un changement du
nom des Forces de sécurité de l’Etat en Forces de sûreté de l’Etat.
Il a aussi proposé de refaçonner la place Tahrir pour la faire ressembler
davantage au Hyde Park de Londres.
Il y a des revendications de la population en général pour la dissolution
des forces de sécurité de l’Etat en raison de leurs attaques brutales
contre les manifestants durant les protestations anti-Moubarak. C’était
le sujet d’un rapport officiel d’une commission gouvernementale
d’établissement des faits, publié hier.
Ce rapport révèle que des tireurs embusqués de la police avaient tiré sur
des manifestants depuis les toits des immeubles surplombant la place Tahrir
– dont la Mugama [un édifice gouvernemental], l’hôtel Ramses Hilton,
l’université américaine du Caire et le ministère de l’Intérieur.
Deux anciens policiers de haut rang ont attesté que les policiers ne tireraient
pas sur les manifestants sans la permission du gouvernement.
La commission a également recueilli des preuves auprès de 120 témoins oculaires
qui ont dit que la police avait tiré à balles réelles sur les manifestants au
Caire et à Gizeh. Des témoins oculaires ont aussi rapporté que c’était
des nervis pro-Moubarak et pas les manifestants qui avaient mis le feu au
quartier général du NDP. La commission a aussi rapporté qu’elle avait vu
des preuves sur vidéo de deux véhicules blindés de la police tirer sur les
manifestants ou essayer de les écraser.
De nombreux manifestants ont dit à la presse qu’ils continueraient les
protestations d’aujourd’hui malgré la révocation de Chafik en
signalant que leurs revendications allaient au-delà d’un changement
d’identité du premier ministre. Un manifestant à dit au Washington
Post, « Ils veulent que les manifestations de demain et celles à venir
cessent. Mais nous préparons encore une manifestation demain. La manifestation
de demain n’est pas seulement pour Chafik. »
Les partis d’« opposition » officiels ou semi-officiels toutes
tendances politiques confondues tentent d’utiliser l’entrée en
fonction de Charaf pour mettre fin aux protestations et pour semer
l’illusion qu’il appliquera un changement social par le haut. Dans
un bref message sur Twitter, l’ancien responsable de l’ONU,
Mohammed El Baradei a remercié l’armée d’avoir mis en place Charaf.
Ayman Nour du parti libéral Al-Ghad a salué la nomination de Charaf au
gouvernement par l’armée comme un « une bonne mesure» et
s’attend à ce qu’il licencie d’autres ministres et qu’il
réorganise les forces de sécurité. Le dirigeant du parti nationaliste
Al-Karama, Hamdeen Sabbahy, a fait l’éloge de Charaf en disant
qu’il « représentait la révolution égyptienne et pas
Moubarak. »
Les Frères musulmans ont dit à l’agence de presse allemande DPA
qu’ils « allaient attendre afin de voir » avant de le juger.
En fait, en tant que responsable toléré par l’armée, la principale
tâche de Charaf sera de défendre les intérêts du corps des officiers –
c’est-à-dire une politique pour le rétablissement de l’ordre et les
intérêts de l’élite patronale égyptienne dont les gros bonnets de
l’armée font partie intégrante.
Une autre question clé à être débattue au gouvernement est la réouverture de
la bourse égyptienne. Celle-ci avait une fois de plus été reportée, par rapport
à la date prévue du dimanche 6 mars, à une date indéterminée et que Charaf
déterminera. La bourse est restée fermée depuis le 27 janvier, par crainte
d’un krach suite à l’appréhension des investisseurs de voir leurs
marges bénéficiaires touchées alors que les travailleurs organisaient des
grèves pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de vie.
Toute tentative de créer les meilleures conditions possibles pour la réouverture
du marché boursier – à savoir, les meilleures conditions pour
l’exploitation des travailleurs – lancera le gouvernement Charaf
tête baissée dans un affrontement avec les revendications révolutionnaires des
masses égyptiennes.
Un autre signe de la relation étroite existant entre la direction de
l’armée et le capitalisme égyptien est l’énorme fortune personnelle
amassée par Moubarak. Bien que n’ayant eu formellement que sa solde de
moins que 10.000 dollars par an pour vivre, Moubarak a amassé une fortune atteignant
des dizaines de milliards de dollars. Il est supposé avoir au moins 7 mille
milliards de dollars déposés sur des comptes à Londres, Chypre et Genève.
Un tribunal du Caire va entamer le 5 mars une enquête sur la fortune de
Moubarak. Lundi, le procureur général Abdel Meguib Mahmoud a ordonné la saisie
des avoirs de Moubarak en lui interdisant ainsi qu’à sa famille de voyager.
Une période de temps considérable est passée depuis que Moubarak a été
obligé de quitter ses fonctions et selon certaines informations il aurait déjà
fui le pays. Selon certaines autres sources il serait encore dans sa villa de
la station balnéaire de Charm-El-Cheik.
Le journal égyptien Al-Akbar a toutefois rapporté que Moubarak serait traité
à Tabouk, en Arabie saoudite pour un cancer du pancréas et du colon.
D’autres rapports indiquent que la femme de Moubarak, Suzanne Sabet, et
ses fils Alaa et Gamal ont tenté dimanche dernier de fuir l’Egypte en
passant par l’aéroport de Charm-El-Cheik.