La visite au Moyen Orient de
la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, qu’est venue
couronner une promenade sur la place Tahrir au Caire, est d’une
hypocrisie sans pareil. Elle souligne la détermination de Washington de stabiliser
à nouveau les dictatures soutenues par les Etats-Unis en Egypte et en Tunisie
et d’entraver la propagation des luttes révolutionnaires ailleurs dans la
région.
Entourée par une armée de gardes du corps américains et
égyptiens, Clinton a paradé brièvement sur la place centrale du Caire où des
millions d’Egyptiens avaient défié le régime il y a à peine 18 jours
jusqu’à ce que Moubarak soit obligé de partir. En s’adressant aux
médias qui l’accompagnaient, elle a déclaré, « Voir l’endroit
où s'est produite cette révolution, qui a eu tant de signification pour le
monde, est quelque chose d’extraordinaire pour moi. » Elle a ajouté
que c’était « absolument passionnant de voir l'endroit où cela
s'était produit. » Après quoi, elle a qualifié sa visite de « vraiment
exaltante et émouvante. »
Clinton doit croire que la population égyptienne souffre
de grave perte de mémoire à court terme. Cela ne fait guère que sept semaines
qu’elle adressait son plein soutien à Hosni Moubarak. C’était le 25
janvier, date qui avait marqué le début des luttes révolutionnaires qui ont
forcé l’éviction du dictateur haï soutenu par les Etats-Unis.
Alors que de milliers de jeunes Egyptiens affrontaient
dans le centre du Caire la violence armée de la police anti émeute et des
troupes paramilitaires, Clinton avait déclaré à Washington : « Notre
évaluation est que le gouvernement égyptien est stable et cherche des moyens de
répondre aux besoins et aux intérêts légitimes du peuple égyptien. »
A peine une semaine plus tard, alors que les manifestations
continuaient de se propager à travers l’Egypte, la secrétaire
d’Etat américaine louait le régime Moubarak pour avoir servi de
« partenaire aux Etats-Unis pendant plus de trois décennies, » et
pour avoir « essayé de stabiliser une région qui représente de nombreux
défis. » A ce moment précis, Moubarak tentait de « stabiliser »
Le Caire en lançant des voyous armés contre les manifestants.
Un autre signe manifeste du soutien des Etats-Unis pour
Moubarak, a été la nomination par Clinton de l’ancien ambassadeur en
Egypte, Frank Wisner, comme envoyé spécial du gouvernement Obama au Caire.
Wisner avait passé les deux années précédentes comme membre influent du groupe
de pression de Washington pour le régime égyptien et Moubarak.
Au fur et à mesure que les protestations de masse
grandissantes mettaient la capacité de survie de Moubarak de plus en plus en
doute, Clinton devenait la principale avocate d’une « transition
ordonnée » sous la poigne d’Omar Suleiman, chef du renseignement militaire
de longue date et premier tortionnaire du pays.
A chaque étape, la politique des Etats-Unis énoncée par
Clinton a été minutieusement calibrée en fonction des évaluations changeantes
de la capacité de Moubarak – et en fin de compte de Suleiman – de
réprimer le mouvement de masse et de préserver intact le régime soutenu par les
Etats-Unis. A la fin, Clinton et le président Barak Obama ont publié des
communiqués en faveur du retrait de Moubarak mais une fois seulement
qu’il s'était déjà produit.
Dans une allocution tenue mardi à l’ambassade des
Etats-Unis, Clinton a décrit le soulèvement populaire en Egypte comme
« l’un des plus importants tournants de l’histoire » en
proclamant, « Personne n’a le droit de s’emparer de cette révolution,
personne n’a le droit de revenir en arrière. »
Qui croit-elle tromper ?
L’objectif même de son voyage, et de la politique américaine en général,
est de renforcer la mainmise des sections les plus réactionnaires de la société
égyptienne – l’armée et la riche élite – pour s’assurer
que tout régime résultant des soulèvements de masse respectera les intérêts de
l’impérialisme américain et de son principal allié, Israël.
Durant son voyage, Clinton a annoncé un plan d’aide
économique destiné à promouvoir les investissements étrangers et à ouvrir plus
largement l’Egypte au capital international. Sa plus importante réunion
au Caire a été celle avec le maréchal Mohammed Tantawi, chef suprême du Conseil
supérieur des Forces armées qui a pris le pouvoir après l’éviction de
Moubarak.
L’objectif de Tantawi et de ses collègues officiers
est de préserver le régime dictatorial dominé par l’armée – et donc
l’aide américaine de près de 2 milliards de dollars par an – et
dont ils ont si généreusement profité. C’est pourquoi, ils appuient un
référendum qui conférerait à ce régime une façade constitutionnelle. Dans le même temps, ils durcissent la répression.
Le 9 mars, des policiers et des soldats en civil ont été
envoyés sur la place Tahrir pour la débarrasser des manifestants qui
demandaient au régime militaire de se conformer aux revendications faites lors
du soulèvement de masse. Durant une attaque qui a duré plusieurs heures, des
centaines de manifestants ont été battus à coup de gourdins, de câbles
métalliques et de barres de fer. Des centaines de personnes ont été
interpellées et torturées. Au moins 190 d’entre elles sont toujours en
garde à vue, menacées de comparaître devant une cour martiale et d’être
accusées de terrorisme.
La Coalition de la Jeunesse pour la Révolution, qui
représente une demi-douzaine d’organisations qui avaient mobilisé les
jeunes Egyptiens pour les manifestations de masse sur la place Tahrir, a
refusé, à juste titre, l’invitation du Département d’Etat à un
« dialogue » avec Clinton.
Dans un communiqué expliquant sa décision, la coalition a
souligné que le gouvernement américain ne cherchait qu’un
« dialogue » qui soit « fondé sur ses propres intérêts en Egypte
et au Moyen Orient, même si cela va à l’encontre de la volonté des masses
égyptiennes. »
Le communiqué fait de plus remarquer que le gouvernement
américain figurait parmi « les alliés et les amis personnels les plus
importants du président Moubarak déchu et des responsables de haut rang de
l’ancien régime, » et qu’il demeurait le principal allié
« de nombreux régimes répressifs non démocratiques de la région. »
En effet, au moment même où Clinton proclamait son
enthousiasme pour la « démocratie » et la « révolution » au
Caire, deux étroits alliés de Washington dans la région – le monarque
al-Khalifa de Barheïn et la dictature du président Ali Abdullah Saleh au Yémen
– menaient une répression sanglante contre des manifestations de masse
dans leur propre pays.
A Bahreïn, où est basée la Cinquième Flotte américaine,
des forces de sécurité soutenues par des troupes d’Arabie saoudite et des
Emirats arabes unis ont chassé des centaines de milliers de manifestants de la
Place de la Perle en faisant usage de grenades lacrymogènes, de balles en
caoutchouc et de munitions réelles. Les hélicoptères Apache fournis par les
Etats-Unis ont été déployés contre les manifestants pendant que les forces de
sécurité envahissaient les hôpitaux, en attaquant les médecins et les
infirmières qui soignaient les blessés. Dans une flambée de violence sectaire,
des soldats ont été envoyés dans des villages chiites où ils ont tiré à la
chevrotine sur des centaines de personnes.
Au Yémen, où les forces de sécurité ont reçu 250 millions
de dollars de fonds américains, les soldats et les nervis du régime ont à
plusieurs reprises ouvert le feu sur des manifestants qui revendiquaient
l’éviction de Saleh après 32 ans au pouvoir. Plusieurs dizaines de
personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées.
Tel est le vrai visage de l’impérialisme américain
au Moyen Orient et qui a déjà montré dans sa guerre en Irak qu’il est
prêt à tuer des centaines de milliers pour imposer son hégémonie sur la région
et sur ses ressources énergétiques.
La chute de Moubarak a représenté une immense victoire
pour le mouvement de masse des travailleurs égyptiens et des opprimés, et un
revers humiliant pour l’élite dirigeante égyptienne et
l’impérialisme américain. Les événements ultérieurs en Egypte et partout
dans la région ont toutefois clairement montré que la chute de Moubarak a
signifié non pas la fin mais le début seulement de la révolution.
Le pouvoir reste entre les mains du commandement de
l’armée et d’une élite dirigeante corrompue soutenue par Washington
et qui est déterminée à poursuivre une stratégie de la contre-révolution en
Egypte et partout au Moyen Orient.
Cette stratégie peut être vaincue et les revendications
– pour les droits démocratiques, l’égalité sociale, un meilleur
niveau de vie et la fin de la répression – qui ont fait descendre des
millions dans la rue ne peuvent se concrétiser que par la mobilisation
indépendante de la classe ouvrière pour mener les masses opprimées dans une
lutte pour le pouvoir et la transformation socialiste de la société.
Le succès de cette révolution dépend en dernière analyse
de son extension au-delà des frontières de l’Egypte en unissant la lutte
des travailleurs égyptiens à celle des travailleurs à travers le Moyen Orient
et dans les pays capitalistes avancés. La tâche la plus cruciale est la
construction de partis du Comité international de la Quatrième Internationale
partout dans la région.