Les États-Unis, la France et la
Grande-Bretagne ont commencé les frappes aériennes et les attaques de missiles
sur des cibles libyennes samedi, amorçant une guerre d'agression qui menace de
déstabiliser l'Afrique du Nord et l'ensemble du Moyen-Orient. Les deux premiers
jours de bombardements ont déjà fait de nombreuses victimes parmi la population
libyenne, que les puissances impérialistes prétendent faussement de protéger.
La guerre est la première étape d'une
campagne menée par Washington et ses partenaires dans leur riposte criminelle
contre les mouvements populaires qui ont renversé les régimes fantoches des
États-Unis en Tunisie et en Égypte et qui menacent les monarchies
proaméricaines et les dictatures à Bahreïn, à Oman, au Yémen et en Arabie
saoudite.
Les comptes rendus de presse depuis
Benghazi, le quartier général des forces rebelles dans l'est de la Libye,
suggèrent que des centaines de personnes ont déjà été tuées dans les attaques
aériennes et de missiles. Il y avait des rapports que sept à dix carcasses de
chars fumantes se trouvaient sur une route à l'extérieur de la ville. Les troupes
de l'armée libyenne sont pratiquement sans défense contre les attaques d'armes
de haute technologie, y compris des missiles de croisière et des bombes
intelligentes.
Des avions de combat français auraient
frappé en premier avec 20 chasseurs Mirage et Rafale, attaquant les forces
armées libyennes à l'extérieur de Benghazi. La Royal Air Force a déployé des
jets Tornado GR4, qui ont parcouru 4800 kilomètres de l'Angleterre à la Libye
aller-retour, l'attaque aérienne britannique la plus grande en distance depuis
la guerre des Malouines en 1982.
Les attaques américaines comprenaient des missiles
de croisière tirés par deux contre-torpilleurs lance-missiles et trois
sous-marins, ainsi que des bombes larguées par des bombardiers furtifs B2, qui
ont fait un aller-retour de 36 heures en partant de la base Whiteman Air Force
au Missouri pour attaquer les aérodromes libyens.
Dimanche, il a été signalé que les US Air
Force F-15 et F-16 ont attaqué des troupes libyennes concentrées dans les
villes côtières qui ont fait l'objet de récents combats avec les forces
rebelles, dont Ras Lanuf, Adjibiya et Brega, ainsi qu'autour de Misurata, la
troisième plus grande ville de Libye.
Des forces militaires du Canada, de
l'Italie, des Pays-Bas et de la Norvège seraient également en action.
Les assertions du président Obama, de la
secrétaire d'État Clinton et d'autres porte-parole des États-Unis que
l'intervention militaire ne durera que « des jours, plutôt que des
semaines » n'ont aucune crédibilité. La portée des attaques contre la
Libye s'est considérablement accrue au cours des 48 premières heures d'action
militaire.
Il y a une logique à l'action militaire, et
le bombardement initial conduit inexorablement à l'envoi de « conseillers »
pour les forces rebelles libyennes, puis au déploiement des troupes
impérialistes afin occuper l'ancienne colonie italienne.
L'amiral Michael Mullen, chef d'état-major
interarmées et plus haut conseiller militaire d'Obama, a été présent à cinq
émissions d'entrevue des réseaux télévisés dimanche matin pour donner
l'évaluation du Pentagone du bombardement initial.
Sur Fox News dimanche, il a confirmé que les
frappes aériennes et de missiles étaient allées bien au-delà de ce qui était
requis pour l'application d'une zone d'exclusion aérienne sur le régime de
Mouammar Kadhafi. « Nous avons atteint beaucoup de cibles, a-t-il dit,
nous nous sommes concentrés sur son commandement et sa direction, concentrés
sur sa défense antiaérienne, et nous avons attaqué certaines de ses forces sur
le terrain à proximité de Benghazi ».
Sur plusieurs programmes télévisés, il fut demandé à
Mullen d'expliquer l'attitude deux poids deux mesures de l'administration
Obama, qui prétend attaquer la Libye dans le but d'empêcher que Kadhafi
« massacre ses propres citoyens », tout en soutenant les autres
régimes du Moyen-Orient qui mènent tout autant une répression sanglante, les
plus notoires étant le Bahreïn et le Yémen.
« Tous ces pays sont, je pense, différents », a
dit Mullen à NBC, mettant l'accent sur les intérêts stratégiques de
l'impérialisme, et non sur la duperie humanitaire utilisée pour tromper l'opinion
publique américaine. « Nous avons eu une belle relation avec le Bahreïn
pendant plusieurs, plusieurs décennies. Nous avons une de nos principales bases
navales là-bas. »
Lors de l'émission Meet the Press de NBC, Mullen a
exhumé un des stratagèmes les plus vieux et les plus discrédités de la
propagande, prétendant que toutes morts causées par les attaques des États-Unis
et des alliés étaient la faute du chef libyen. Il a dit : « Ce que
Kadhafi a fait - il s'est servi de boucliers humains dans certains cas, et
aussi. a dit que nous avons causé des morts et des blessés civils. »
Les porte-parole du gouvernement américain ont mis de
l'avant de telles affirmations après chaque atrocité commise par les bombes et
les missiles américains au cours du dernier quart de siècle. La seule nouveauté
est que le plus haut responsable de l'armée américaine est en train d'annoncer,
par anticipation, que lorsque des centaines de personnes mourront des suites
des gestes militaires américains, le blâme devra être jeté sur les victimes.
Mullen a aussi suggéré que les frappes aériennes
américaines ne seraient pas uniquement destinées à des cibles ouvertement
militaires, mais aussi aux lignes d'approvisionnement de Kadhafi et à ses
capacités logistiques. Cela veut dire que les ressources économiques de la
Libye - à l'exception de l'industrie pétrolière, que les puissances
impérialistes souhaitent conserver intacte - sont des cibles probables pour les
bombes et les missiles.
Mullen a nié que l'attaque visait à assassiner Kadhafi et
sa famille. Mais quelques heures après ses entrevues télévisées, les
journalistes à Tripoli ont rapporté d'énormes explosions près de l'enceinte où
vit la famille de Kadhafi dans la capitale libyenne. Des batteries
antiaériennes ont ouvert le feu à travers la ville, répondant à une nouvelle
attaque aérienne, encore plus importante.
Bien que l'administration Obama se soit donné beaucoup de
mal pour décrire l'assaut sur la Libye comme l'entreprise commune d'une
« large coalition », cherchant à se distinguer de la décision
unilatérale de l'administration Bush d'aller en guerre contre l'Irak, il n'y a
pas de doute que l'impérialisme américain joue le rôle de leader et le rôle
décisif.
Un commandant américain, le général Carter Ham, chef du
commandement du Pentagone pour l'Afrique (AFRICOM), est responsable des
opérations en Libye, donnant des directives aux avions de guerres français et
britanniques, aux sous-marins britanniques, aux vaisseaux italiens ainsi qu'à
un déploiement d'avions de guerres, de sous-marins et de bombardiers
américains.
De plus, malgré les affirmations d'Obama qu'il n'y a
« pas de bottes sur le terrain », il y a peu de doute que les forces
d'opérations spéciales britanniques, américaines et d'autres pays ainsi que
leurs agents secrets sont déjà en action en Libye, aidant à diriger le feu
contre des cibles critiques, particulièrement la direction politique libyenne
et les commandants d'unité de l'armée libyenne.
Dimanche matin, sur la chaîne de télévision nationale, le
dictateur libyen Mouammar Kadhafi a fait le serment qu'il allait résister,
qualifiant l'attaque américano-européenne de « agression coloniale de
croisade qui pourrait déclencher une autre grande guerre de croisade ». La
télévision d'État libyenne a rapporté qu'un hôpital de Tripoli avait été touché
par le bombardement, entraînant 48 morts et plus d'une centaine de blessés.
Kadhafi continue pendant ce temps d'implorer les
puissances impérialistes de rétablir l'alliance qu'il a forgée avec elles en
2004, lorsqu'il a mis un terme à son programme de recherche nucléaire, cédé le
matériel et les installations nucléaires aux États-Unis et accepté de
dédommager les victimes de l'attentat terroriste de 1988, l'explosion d'un
avion de ligne au-dessus de Lockerbie en Écosse.
Il a déclaré à nouveau que seuls des partisans d'al-Qaïda
faisaient partie des rebelles libyens. Il a d'ailleurs écrit à Obama en
s'adressant à lui comme s'il était son « fils » et en offrant sa
collaboration dans la lutte des États-Unis contre le terrorisme.
Au même moment, le ministre du Pétrole de la Libye,
Choukri Ghanem, a annoncé que les réserves pétrolières du pays pouvaient encore
être exploitées par l'Occident et a exhorté les grandes sociétés pétrolières à
ramener ses techniciens et son personnel administratif dans le pays. Il a
affirmé que malgré la guerre ouverte, la Libye allait remplir ses obligations
envers les compagnies étrangères, y compris son plus récent contrat de 900
millions de dollars avec BP.
La férocité des premières attaques aériennes contre la
Libye a consterné et mis en colère la population de par l'Afrique du Nord et le
Moyen-Orient. Des responsables de la Ligue arabe, qui la semaine dernière
cédait aux pressions de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis et
appelait à l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne en Libye, ont dit
dimanche qu'ils reconsidéraient maintenant leur appui.
Cinq pays arabes (le Maroc, l'Irak, la Jordanie, le Qatar
et les Émirats arabes unis) ont délégué des représentants à la rencontre samedi
à Paris pour ratifier la décision d'employer la force militaire. Seul le Qatar a accepté de participer directement.
L'Union africaine, qui regroupe 53 pays sur le continent,
y compris la Libye, l'Égypte et la Tunisie, a condamné publiquement la guerre
lors d'une réunion de son comité sur la Libye à Nouakchott, la capitale de la
Mauritanie. Trois membres de l'Union africaine - l'Afrique du Sud, le Nigeria
et le Gabon - ont voté en faveur de la résolution du Conseil de sécurité de
l'ONU jeudi qui donnait le feu vert à une attaque.
D'importantes divisions règnent au sein du camp
impérialiste aussi. Cela est démontré par l'abstention de l'Allemagne au vote
du Conseil de sécurité onusien, tout comme pour la Russie, la Chine, le Brésil
et l'Inde.
Malgré leur engagement militaire commun, des tensions
considérables existent entre les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne,
chacun de ces pays tentant de se réserver un rôle majeur dans une Libye
post-Kadhafi et en Afrique du Nord en général.
Selon plusieurs articles, l'administration Obama ne se
serait décidée à promouvoir une campagne militaire que le mardi 15 mars, tard
le soir. Le Wall Street Journal a écrit : « On dit que de
nombreux facteurs ont motivé le changement d'orientation, y compris
l'inquiétude de l'administration face au fait d'être en décalage avec les
changements qui se répandent à travers le monde arabe et d'être surpassée par le
Royaume-Uni, et particulièrement la France . »
Ce qui se cache derrière la guerre contre la Libye n'est pas
le front commun de la « civilisation » contre la
« barbarie », comme le prétendent les représentants de
l'administration Obama. Il s'agit plutôt de la lutte de puissances
impérialistes rivales pour la domination d'une des grandes réserves de pétrole
du monde et le contrôle d'une zone stratégique clé et d'une base d'opération
contre les mouvements de masse qui éclatent à travers l'Afrique du Nord et le
Moyen-Orient.