Lundi
dernier, le gouvernement intérimaire tunisien a annoncé la formation d’un
comité électoral indépendant supervisant, le 24 juillet, l’élection
d’une assemblée constituante qui aura pour tâche de superviser
l’élaboration d’une nouvelle constitution.
Cette situation est survenue après que le régime a réprimé
des protestations anti-gouvernementales provoquées par des rapports faisant
état d’une menace de coup d’Etat militaire au cas où le parti
islamiste Ennahda viendrait au pouvoir. Après que des protestations
antigouvernementales ont éclaté le 5 mai, le régime a imposé un couvre-feu qui
est encore en vigueur. Un jeune homme de 25 ans aurait été tué par les soldats
le 8 mai et 600 personnes au moins auraient été arrêtées durant les quatre
jours de protestations.
Le comité électoral a été élu par la Haute commission pour
la réalisation des objectifs de la révolution et de la transition démocratique
(Commission sur la réforme politique) du gouvernement intérimaire tunisien
présidée par le professeur Yadh Ben Achour. Cette organisation a approuvé la
création du comité en avril. Le comité électoral est composé de 13 membres dont
des avocats, des universitaires et d’autres membres des professions
libérales.
La semaine passée, le premier ministre Béji Caïd Essebsi a
dit que l’élection pourrait être reportée en raison de difficultés
techniques. S’exprimant à la télévision publique, il a dit, « Si le
comité des réformes dit qu’il y aurait des difficultés techniques, ce
serait une autre éventualité à considérer. » Il a aussi dit à l’AFP
que les élections pourraient être reportées si leur « crédibilité »
l’exigeait.
Que les élections aient lieu ou non, les masses
tunisiennes ne peuvent rien en attendre. Après le renversement du président
Zine El Abidine Ben Ali, les événements ont révélé le caractère frauduleux du
régime intérimaire et de son gouvernement de réforme. Leur rôle est
d’appliquer la politique exigée par l’élite dirigeante tunisienne
en association avec les banques mondiales et les puissances impérialistes
occidentales.
Les projets du régime de retarder peut-être
l’élection sont partagés par les marchés financiers qui craignent les
possibles conséquences d’une telle élection si la vague de grèves et de
sit-in devait se poursuivre jusqu’en juillet. Richard Segal du groupe
bancaire Jefferies a dit à Reuters : « Les marchés seraient toutefois
plus compréhensifs devant un petit retard de la date des élections et
pourraient même en être satisfaits. » Il a ajouté, « Le pays ne se
donne pas beaucoup de temps pour organiser ces nouvelles élections, aussi un
retard d’ordre technique serait-il compréhensible. »
La Tunisie a connu une explosion de grèves et de
protestations ouvrières ces dernières semaines, alors que les travailleurs
continuent de revendiquer des emplois et de meilleurs salaires. Le quotidien
traditionnel tunisien Le Temps a écrit : « La période de
transition démocratique est marquée par des mouvements incontrôlés de
revendications souvent excessives, de sit-in et de manifestations de
contestations parfois houleuses, de pillages et d’insubordination,
mouvements qui mettent à mal l’autorité de l’Etat, dissuadent les
investisseurs, menacent la cohésion sociale, fragilisent l’économie
nationale, qu’ils risquent de mettre à genoux. »
Dernièrement, British Gas Tunisia (BG), premier producteur
de gaz naturel en Tunisie, a menacé de fermer son usine après une semaine de
protestations des habitants de la région réclamant des emplois et bloquant le
déroulement des opérations de l’usine. La semaine dernière, il a été
rapporté que des manifestants avaient bloqué pendant 48 heures les employés de
BG avant d’être évacués.
Le personnel de la société Tunisie Catering, une filiale
de Tunisair, a débrayé pour revendiquer leur réintégration dans la société
mère, Tunisair. La semaine passée, le personnel a organisé des arrêts de
travail et des sit-in à l’aéroport de Tunis. La grève avait duré près
d’un mois à l’aéroport de Monastir.
La situation sociales du pays est en train de
s’aggraver alors que le chômage est endémique et que la pauvreté explose
parce que le capital nécessaire est contrôlé par les Tunisiens riches et les
grandes banques internationales terrifiées par les luttes révolutionnaires
contre la dictature.
Le journal Le
Temps cite le professeur Nouri Mzid:
« Nous sommes confrontés à une crise profonde qui affecte le marché du
travail et le statut des gens qui sont au chômage… Depuis plus de 20 ans,
la Tunisie n’a pas pu faire baisser son taux de chômage officiel, resté
autour d’une moyenne de 13 à 15 pour cent. » Dans de nombreuses
provinces tunisiennes, le taux de chômage est même plus élevé.
Selon Le Temps, « Pour la catégorie des
titulaires d’un diplôme universitaire, le taux de chômage est de
l’ordre de 36 pour cent au Kef, à Siliana, à Kairouan et à Kasserine, de
42,4 pour cent à Jendouba, de 44,4 pour cent à Sidi Bouzid, de 44,8 pour cent à
Gafsa et de 47 pour cent à Kébili. »
L’objectif du capital financier et de la machine
d’Etat tunisienne est de donner assez de temps aux syndicats et aux
divers partis petits bourgeois jadis de « gauche » pour réprimer les
luttes des travailleurs et de procurer une caution pseudo constitutionnelle
afin de couvrir le fonctionnement de la machine d’Etat de Ben Ali.
Ces organisations, de par leurs négociations avec
l’organisation patronale UTICA (Union tunisienne de l’Industrie, du
Commerce et de l’Artisanat) et le régime d’Etat lui-même, sont
impliquées dans le contexte de la commission sur la réforme mise en place par
le régime intérimaire après que les protestations de masse ont évincé Ben Ali
en janvier. La commission comprend l’UTICA, des groupes de droits de
l'homme soutenus par l’Union européenne, l’UGTT (Union générale des
Travailleurs tunisiens) et les partis d’« opposition »
officiels tels le Parti démocratique progressiste (PDP) et l’ex mouvement
stalinien Ettajdid.
Bien que le Parti communiste des ouvriers de Tunisie
(PCOT) maoïste d’Hamma Hammani n'ait pas participé à la commission, il
soutient la commission et sa politique.
Le caractère pro Etat de la commission sur la réforme a
été présenté par Ben Achour lors d’une interview accordée au Monde
en avril. Parlant de la Commission, il a dit : « Un conseil de
protection de la révolution, avec des partis et des organisations de la société
civile, a été créé et conçu comme une sorte de tuteur du gouvernement, ce qui
aurait pu conduire à une crise et à un parallélisme de deux pouvoir, l’un
institutionnel, l’autre révolutionnaire. L’instance que je préside
est la synthèse de ces deux logiques. »
Mais les syndicats et les partis petits bourgeois
n’ont jamais eu l’intention d’opérer comme une alternative
révolutionnaire, et ils fonctionnent en étroite collaboration avec
l’Etat. La semaine passée, le premier ministre intérimaire, Béji Caïd
Essebsi, a rencontré les partis politiques et les responsables syndicaux qui
n’ont nullement critiqué la répression du régime à l’égard des
manifestants mais ont exprimé leur soutien au comité électoral récemment formé.
Après la réunion avec Essebsi, le secrétaire général de
l’UGTT, Abdessalem Jrad – partisan de longue date de Ben Ali
– a dit à l’agence d’information officielle tunisienne TAP
que « l’objectif ultime » de l’UGTT était
« d’aider ce gouvernement à s’acquitter, pleinement, de sa
mission difficile. » L’UGTT est elle-même une part importante de
l’establishment pro impérialiste pour avoir soutenu les réformes
de libre-marché de Ben Ali. Lorsque les protestations de masse avaient éclaté
en décembre dernier après l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un
diplômé de l’université tunisien, l’UGTT avait refusé
d’appeler à la grève contre la répression policière.
D’importants investisseurs
espèrent que l’UGTT et les partis petits bourgeois jadis de
« gauche » seront en mesure d’étrangler la classe ouvrière et
de rétablir le retour aux profits pour les patrons.
La Tunisie a été invitée à participer les 26-27 mai au
prochain G8 à Deauville. En avance sur le sommet, les banquiers internationaux,
les institutions financières, les chefs d’entreprises, les universitaires
et les responsables de divers secteurs dont le commerce, les télécommunications
et l’énergie ont appelé à investir en Tunisie. Ils ont publié
conjointement sur leur site Internet (http://investindemocracy.net)un communiqué intitulé « Investir dans la démocratie » et qui
devrait paraître avant le sommet dans le New York Times et Le Monde.
Le communiqué dit; « Nous sommes certains que
l’instauration d’institutions démocratiques sera le meilleur
rempart contre les risques de moyen et long terme. C’est pourquoi nous
sommes plus que jamais confiants dans les perspectives de développement
économique de la Tunisie. »
Il ajoute: « Les opportunités d’investissement,
les restructurations, le niveau de qualification de la main d’oeuvre, la
maîtrise des nouvelles technologies et la proximité géographique avec
l’Europe, font ainsi [que] la Tunisie… dans les années à venir,
sera l’un des centres économiques les plus attractifs de la
Méditerranée. »
Depuis que Ben Ali a quitté le pouvoir, le gouvernement
intérimaire et sa politique sont soutenus par les principales puissances
impérialistes, notamment la France, qui avait soutenu la répression exercée par
Ben Ali jusqu’au moment où son régime fut évincé.
Le 14 mai, le conseiller spécial du président français
Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a rencontré Essebsi pour préparer la
participation de la Tunisie au sommet. Après la réunion avec Essebsi, Guaino a
dit à TAP qu’elle a permis de voir « ce que le G8 pourra proposer à
la Tunisie » pour l’aider « à affronter les difficultés »
auxquelles elle est confrontée et que « la France est disposée à aider la Tunisie
par tous les moyens. »
Les entreprises françaises cherchent de plus en plus à
développer leurs investissements en Tunisie. Le 27 avril, UTICA a rencontré le
Mouvement des entreprises de France (MEDEF). L’UTICA a rapporté que la
réunion a été « une occasion pour présenter les caractéristiques de la
Tunisie nouvelle après la révolution, et rassurer les investisseurs français
ainsi que les inciter à développer davantage leurs investissements en
Tunisie. »