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  WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

La « gauche » américaine et l’affaire Strauss-Kahn

Par David Walsh
30 mai 2011

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L’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et figure influente de la politique française et mondiale, pour agression sexuelle le 14 mai à New York, a déclenché toute une chaîne d’événements significatifs. Strauss-Kahn, à qui une libération sous caution avait tout d'abord été refusée, a été contraint de démissionner le 18 mai de son poste de directeur du FMI, et tous les espoirs qu'il nourrissait de devenir président de la République suite à l'élection de 2012 ont vraisemblablement été anéantis.

Personne ne sait ce qui s’est passé à l’hôtel Sofitel, ce samedi-là. Les accusations d’agression sexuelle contre Strauss-Kahn sont extrêmement graves et s’il est reconnu coupable, il devra à juste titre répondre de ses actes.

Mais, comme c’est le cas dans toutes les affaires de ce genre, le tapage médiatique n’a pas grand chose à voir avec une présentation objective des faits concernant l’affaire, à savoir une description des personnalités et des questions impliquées, cherchant dans l'ensemble à faire éclater la vérité.

Les médias américains ont entrepris d’empoisonner l’atmosphère contre Strauss-Kahn. Le New York Times, journal libéral de référence mène la meute, traitant la culpabilité du politicien français comme un fait avéré.

L’opinion publique est rapidement influencée dans de tels cas, et le directeur de la rédaction du Times, Bill Keller, sait parfaitement ce qu’il fait, en contribuant à empoisonner le réservoir à partir duquel seront finalement sélectionnés les jurés de Strauss-Kahn. L’un des tout derniers articles du Times était un papier daté du 20 mai, « Au FMI, des hommes à l’affût et des femmes sur leur garde », décrivant l’institution comme « un endroit où l’on joue férocement des coudes et qui est dirigé par des économistes masculins de type alpha. »

Du point de vue des médias américains, cette affaire est devenue la dernière occasion visant à détourner l’attention à la fois de la calamité sociale sur le plan intérieur et des guerres néocoloniales sur le plan extérieur. Les descriptions du « gros calibre » du FMI en bestial « violeur » en série, accompagnées de références anti-françaises et antisémites, sont destinées à attiser dans la population les sentiments les plus vils.

La campagne menée dans les médias new yorkais bénéficie d'un soutien honteux, quand bien même prévisible : La gauche libérale américaine (Nation) et « l’extrême gauche » (l’International Socialist Organization) se sont associés à cette campagne rétrograde.

Comme nous le disions, en dehors des allégations fournies par la police et les autorités, trop peu de choses sont connues pour que chacun puisse se forger une opinion définitive sur l’affaire.

Ce qui est toutefois bien connu, c’est le contexte de l’arrestation de Strauss-Kahn qui prend une signification particulière dans ce cas précis, et garantit qu'il ne s'agit pas d’un scandale habituel suscité par une personnalité célèbre. Les temps sont difficiles en raison de la crise économique en cours. La position du directeur du FMI est au centre d’un âpre conflit impliquant différents pays et différentes sections de l’élite dirigeante.

Il s'agit non seulement de la possibilité d'une erreur judiciaire dans ce cas précis, mais du risque, comme c’est si souvent le cas, que des changements d’une portée considérable soient effectués à l’insu de la population. Que Strauss-Kahn soit coupable ou non, diverses forces se positionneront de façon à exploiter une opportunité créée par ces événements troubles, dans le but d’atteindre publiquement des fins non déclarées.

La soi-disant « gauche » remplit une fonction cruciale. Ces éléments de la classe moyenne deviennent une partie du processus par lequel toute l’affaire est dissimulée et la population mise sur fausse piste. On peut compter sur la « gauche » pour contribuer à créer une atmosphère dans laquelle des questions cruciales peuvent être camouflées.

Dans un article publié le 19 mai dans Nation (« DSK Déjà vu »), Katha Pollitt traite Strauss-Kahn comme étant plus ou moins reconnu coupable. Quoiqu’il en soit, sa culpabilité ou son innocence ne semblent pas être d’un grand intérêt pour Pollitt ; l’affaire ne convient que trop parfaitement à son programme politique restreint.

Elle commet de graves erreurs de logique et elle espère visiblement que des lecteurs de même sensibilité ne remarqueront pas. Pollitt écrit : « En effet, comme toute personne accusée de délit, DSK est innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie, mais l’élite politique et journalistique française ne peut-elle pas un instant se concentrer sur le délit dont il est accusé ? On peut dire ce qu'on veut des menottes et de la parade des suspects devant les caméras, cela n’est vraiment rien comparé à une violente agression sexuelle. »

Oui, mais attention. Aucun délit n’a en fait été prouvé, cela reste une allégation. Par contre, le fait d’avoir menotté, humilié et politiquement brisé Strauss-Kahn, s'est bien produit et en public. Pollitt ne s'en rend probablement pas compte, mais son raisonnement trompeur ressemble à celui de l’establishment américain sur la « guerre contre le terrorisme » et au delà : les pouvoirs de la police devraient être renforcés et ce en dépit du fait qu’ils risquent de mener à des abus de temps à autre, les éventuelles conséquences de ne pas conférer à l’Etat de nouveaux pouvoirs massifs seraient tellement catastrophiques.

Pollitt se gausse de l'idée que les poursuites contre Strauss-Kahn pourraient peut-être faire « partie d’un complot politique. » Pourquoi ? Quelle personne politiquement vigilante et attentive aux énormes dégâts causés par la CIA, le FBI, MI6, Mossad et par d’autres agences secrètes, pourrait être indifférente à ce point ? Toute personne suffisamment irréfléchie pour écarter la possibilité que Strauss-Kahn ait été piégé ou que l’affaire soit utilisée à des fins politiques, se ment à elle-même ou ment à ses lecteurs.

Pollitt, qui avait précédemment participé à la chasse aux sorcières contre Roman Polansksi et Julian Assange, propage, pour incriminer davantage encore Strauss-Kahn, des rumeurs et des insinuations sur des méfaits sexuels passés dont aucun n’a conduit à des mises en accusation. En résumé, elle opère à la manière d’un journaliste de la presse à scandale de style Murdoch.

Plus loin, elle écrit: « A présent l’avocat de DSK dit que l’acte sexuel, s’il a eu lieu, était consenti. Parce qu'il n'y a rien de plus vraisemblable qu’une femme de ménage – veuve musulmane portant le foulard, qui plus est – saisissant l'opportunité de faire une fellation à un client de l'hôtel, âgé de 62 ans, qui surgit tout nu de sa salle de bains. »

Pollitt semble se contenter de citer les allégations de la plaignante ou de la police new yorkaise. Apparemment elle est d’avis que la plaignante ne devrait pas être contestée ou questionnée.

Comment Pollitt sait-elle ce qui s’est passé dans la chambre d’hôtel ? Pour elle, un procès n'est que le moyen de ratifier la position des autorités contre l'accusé. La chroniqueuse de Nation prend pour point de départ la culpabilité du politicien français et, à partir de là, procède en remontant dans le temps.

La présomption d’innocence, le fait que la charge de la preuve incombe à l’Etat, n’est pas une question mineure qu’il suffit de reconnaître du bout des lèvres, comme le fait Pollitt. C’est l’un des fondements de tout système juridique démocratique, énoncés dans de nombreuses lois et constitutions, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) votée à l’Assemblée nationale française en août 1789, et le fruit d’une grande révolution.

La présomption d’innocence n’est pas directement mentionnée dans la Constitution américaine mais des spécialistes du droit affirment que les Cinquième, Sixième et Quatorzième amendements, avec l'accent mis sur le droit de l’accusé de ne pas s’incriminer soi-même, au « respect scrupuleux de la loi », à un « jury impartial » et le droit de confronter son accusateur vont dans ce sens. Pollitt traite la présomption d’innocence comme un obstacle.

Des personnes ou des couches sociales entières qui sont indifférentes ou hostiles à l’égard des principes démocratiques fondamentaux au nom du « féminisme » ou autre, jouent un rôle politique détestable en servant de complément à l’Etat capitaliste au moment même où celui-ci met en place son appareil de répression.

Les arguments avancés par Sherry Wolf (« Loin d’être un socialiste ») de l’International Socialist Organization, qui sont affichés sur le site internet socialistworker.org, ne sont en rien meilleurs à ceux de Pollitt ; ils sont simplement plus hystériques.

Wolf, rédactrice associée de l’International Socialist Review, magazine théorique de l’ISO, reconnaît à peine du bout des lèvres la présomption d’innocence. Elle sait ce qui s’est passé dans la chambre d’hôtel de Strauss-Kahn ; sa politique identitaire petite bourgeoise est son guide infaillible.

Strauss-Kahn, annonce-t-elle à ses lecteurs, est « un misogyne en série qui a violé une femme de chambre dans un hôtel – il n’est pas en prison pour avoir eu une relation extra-conjugale. En admettant que toutes les subalternes féminines auxquelles il a eu à faire ne sont pas des menteuses, Strauss-Kahn n'est qu’un gros porc arrogant qui détient un énorme pouvoir et qui a réussi à passer entre les mailles du filet pour des délits qui, dans la plupart des Etats, sont passibles d’une peine d’emprisonnement allant de 25 ans à la perpétuité.

La libération sous caution a été refusée à Strauss-Kahn « probablement parce que ses adversaires politiques qui contrôlent actuellement le gouvernement français ont donné le feu vert pour l’écarter, » écrit Wolf : « 'Tant pis', comme disent les Français – je dirais plutôt, manque de pot. »

En général, aux Etats-Unis, l'utilisation de de ce type de rhétorique sécuritaire « de gros dur » assortie d’obscénités est du ressort de l’extrême droite. Toute publication de gauche est habituée à ce genre de chose, aux lettres hostiles à caractère anticommuniste, pleines de vulgarités, d’idées rétrogrades et de venin.

Mais à vrai dire, à partir de quelle perspective politiquement sérieuse peut-on considérer Wolf comme étant de gauche ? Elle propage quelques critiques de « gauche » à l’égard du Parti socialiste français ; toutefois, le gros de sa rubrique est consacré à la diffamation, effectuée sur un ton fortement subjectif et moralisateur. Un exemple :

« Lorsque les journalistes du New York Daily News sont obligés de faire une pause et de cesser un instant de casser du Musulman pour détruire, à la Une de leur journal, celui qui représente l’espoir politique-clé de votre parti, en le qualifiant de ‘Pervers’, il est temps de réévaluer la situation. Dominique Strauss-Kahn est accusé du – n'ayons pas peur des mots – VIOL d’une femme de chambre dans sa suite à 3.000 dollars la nuit à l’hôtel Manhattan, traumatisant ainsi une femme dans l'exercice de son travail, anéantissant sa propre carrière politique et ébranlant la politique française. »

Wolf présente comme un fait avéré que « l’une des plus influentes personnalités de la finance et de la politique internationales a agressé une journaliste qui essayait de l’interviewer pour un livre, a, lors d’une conférence, manipulé pour qu’elle couche avec lui, une économiste du FMI qui travaillait sous ses ordres, et maintenant a violé une femme de chambre venue nettoyer sa chambre d’hôtel. »

Elle conclut: « Dans les semaines à venir nous verrons les institutions qu’il [Strauss-Kahn] représente et ses anciens partisans détaler pour sauver leur peau, mais, pour le moment, nous pouvons bien prendre un peu de plaisir à la démolition politique, sociale et personnelle d’un tel homme. Utilisons sa chute pour mettre en lumière les organisations qui l’ont protégé toutes ces années durant.

« Au revoir, Monsieur le Porc ! Parti socialiste (PS) et FMI, j’accuse ! » [en français dans le texte]

En réalité, Wolf ne se préoccupe pas de la plaignante ni de son sort. Sans rien savoir de ce qui s’est passé le 14 mai, Wolf a décidé de faire tout ce qui est en son pouvoir limité pour détruire la réputation et la vie de Strauss-Kahn. S’il était condamné, même à tort, et s’il se voyait infliger une peine de décennies de prison, elle serait satisfaite. Ce n'est pas une socialiste mais quelqu’un qui manque de l'humanité la plus élémentaire.

La violence de langage de Wolf est presque détraquée. L’on pourrait croire que la dirigeante de l’ISO cherche en partie à intimider tous ses lecteurs, dont une partie des adhérents de sa propre organisation qui seraient peut-être tentés de soulever des questions dérangeantes et troublantes sur l’affaire Strauss-Kahn.

Des arguments vraiment de gauche sont fondés, sans exception, sur des faits avérés, sur la logique et la raison. On a l’impression que pour Wolf, il faut que Strauss-Kahn soit coupable et que si, par un terrible retournement de situation, il s’avérait être innocent, le monde serait terriblement désajusté.

Le subjectivisme, le mépris d’une argumentation rationnelle et l'indifférence envers les principes démocratiques, qui s'expriment dans les commentaires de Wolf sont liés et servent à des fins politiques réactionnaires. Des individus comme Wolf et Pollitt prennent un virage à droite accéléré.

Le magazine Nation est, bien sûr, déjà un partisan du gouvernement Obama, avec sa poursuite de la guerre impérialiste en Libye et sa proposition de mesures d’austérité. L’ISO, dont les quasi alliés en France, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), soutiennent aussi le bombardement « humanitaire » de la Libye, ne vaut guère mieux.

Katha Pollitt conclut son papier en déclarant que « Les hommes puissants agressent les femmes en toute impunité, avec le consentement des amis, des épouses, des acolytes politiques, une presse servile et une culture profondément hostile aux femmes. Dites-moi à nouveau que le travail des féministes est terminé. »

Dans ce contexte, le « féminisme » est séparé de la lutte pour les droits démocratiques, dont le droit de vote, de l’égalité des salaires, du droit à l’avortement. Il devient un jouet vindicatif entre les mains des femmes de la classe moyenne supérieure, qui entretiennent apparemment de la rancœur, voire de la jalousie, à l’égard des « hommes puissants ». En fait, il s’agit d’une grave déformation du féminisme dans son contexte historique.

Ceci n’a rien à voir avec une tradition socialiste ou progressiste. Une marxiste comme Rosa Luxembourg avait compris que le « manque de droits pour les femmes n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple » Les socialistes considèrent la lutte en faveur de ces droits comme faisant partie intégrante des efforts entrepris pour l’unification et le renforcement de l’ensemble de la population laborieuse pour l’élever au niveau de sa tâche historique à savoir régler son compte au capitalisme.

La politique identitaire de type Pollitt-Wolf, tout comme nous l’avions écrit au sujet de l’affaire Assange, est devenue un moyen par lequel l’élite américaine ou ses partisans régissent et manipulent l’opinion publique en leur faveur en changeant de sujet, et en passant « des grandes questions sociales, que sont en premier lieu, l’oppression de classe et l’inégalité sociale, à des préoccupations périmées et d’apitoiement sur soi-même. » (Voir, "The Nation joins the campaign against Julian Assange")

Il s’agit là d’éléments conformistes droitiers et que leurs propres arguments discréditent. La seule question est de savoir jusqu’où ils iront.

(Article original paru le 23 mai 2011)

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