Mercredi 6 juillet, le président du parti
grec SYRIZA (la coalition des radicaux de gauche), Axis Tsipras, a lancé un
appel urgent à l'élite politique et financière européenne pour une
restructuration des prêts accordés à la Grèce. Tsipras a averti que si ce
n'était pas le cas, elle courait le danger de voir se développer des formes de
troubles sociaux potentiellement incontrôlables.
Alexis Tsipras à Berlin
Les commentaires de Tsipras ont révélé
très clairement le caractère bourgeois de SYRIZA qui est opposé à une
perspective socialiste et s'efforce désespérément d'empêcher le développement
de tout mouvement indépendant de la classe ouvrière grecque et européenne
susceptible de défier le statu quo politique.
Tsipras a fait ses remarques à Berlin lors
d'une réunion organisée par le parti allemand La Gauche (Die Linke) avec lequel
SYRIZA entretient des liens étroits. Ces deux organisations ont joué un rôle
majeur dans la mise en place en 2003 du groupe de la gauche européenne au Parlement
européen. La Gauche européenne consiste en un certain nombre d'organisations
staliniennes, beaucoup d'entre elles collaborant étroitement au sein de
coalitions nationales avec des groupes soi-disant de « gauche » tels
SYRIZA en Grèce ou le Bloc de gauche au Portugal (Bloco de Esquerda, BE).
Le président de longue date de la Gauche
européenne a été le membre influent du parti Die Linke, Lothar Bisky, qui a
récemment abandonné ses fonctions et remis son poste au secrétaire national du
Parti communiste français, Pierre Laurent. En plus de son poste de député au
parlement grec, Tsipras est également président de Synapsismos (le plus grand
parti au sein de SYRIZA) et vice-président du groupe parlementaire de la Gauche
européenne.
A Berlin, au siège de Die Linke, Tsipras
s'est adressé à une assemblée composée principalement de cadres staliniens
vieillissants. Il a été présenté à l'auditoire par un vétéran stalinien et
membre du parti Die Linke, Diether Dehm, qui est actuellement le trésorier de
la Gauche européenne.
En Grèce, Tsipras et SYRIZA ont des
relations de longue date avec le parti dirigeant, le PASOK, notamment par le
biais des liens que Tsipras entretient avec la bureaucratie syndicale.
L'automne dernier, Tsipras avait demandé à
Spyros Papaspyrou, président du syndicat de la fonction publique ADEDY et
membre du PASOK, de se présenter aux élections locales à Attica, banlieue
d'Athènes, comme candidat soutenu par SYRIZA. Papaspyrou avait décliné l'offre.
Tsipras s'était alors adressé à Alexis Mitropoulos, membre fondateur de PASOK
et professeur de droit, dont les activités en faveur du PASOK remontent aux
années 1980 lorsqu'il collaborait étroitement avec Andreas Papandreou, père de
l'actuel premier ministre grec.
Tsipras ne s'est pas attardé sur les multiples
liens existant entre son organisation et le PASOK. Au cours des 40 minutes de
son intervention à Berlin, il n'a pas mentionné le gouvernement grec ou le
PASOK. Au lieu de cela, il a en grande partie limité ses commentaires à une
série de statistiques décrivant la manière dont les institutions financières
internationales avaient cherché à exploiter la crise en Grèce.
Après son discours, Tsipras a rapidement
rendu le micro et quitté la tribune, sans attendre qu'on lui pose des questions
et sans participer à la discussion.
Tout en refusant d'aborder le rôle du PASOK,
Tsipras a clairement indiqué à Berlin que la perspective de SYRIZA se fondait
entièrement sur un appel lancé à l'élite bancaire et financière en faveur d'une
restructuration de leurs prêts à la Grèce. Tsipras a mis en garde que
l'alternative serait un soulèvement social encore plus violent.
En parlant de la colère publique massive
contre les mesures d'austérité introduites par le gouvernement PASOK en 2009,
en 2010 et à nouveau il y a à peine un mois, Tsipras a déclaré, « Je ne
peux pas être sûr que la population grecque continuera de supporter ce fardeau.
La Grèce ressemble à une poudrière et le danger existe que la Grèce ne
s'effondre avant qu'on ne trouve une solution à ses problèmes. »
Afin de désamorcer la situation, Tsipras a
demandé aux pays européens et à l'élite financière d'élaborer un projet basé
sur le plan Marshall d'après-guerre pour sauver la Grèce. Tsipras a rappelé à
l'auditoire qu'en 1953 le gouvernement américain avait été prêt à effacer les
dettes allemandes dûes aux Etats-Unis et a réclamé des mesures identiques pour
la Grèce aujourd'hui.
A Berlin, Tsipras a réclamé le rejet de tout
nouveau prêt de la troïka (FMI-UE-BCE) tout en montrant clairement que son
organisation ne s'attendait pas à ce que des banques européennes et
internationales effacent leurs dettes grecques. Tsipras a expressément demandé
à la Banque centrale européenne d'effacer 60 pour cent de ses obligations
grecques. Ce faisant, il a indiqué que SYRIZA appuierait les exigences de
mesures d'austérité exprimées par la BCE si cette dernière était disposée à
annuler au moins en partie son portefeuille d'investissement grec.
En plus de l'appel pour une restructuration
de la dette grecque, Tsipras a aussi proposé l'émission d'euro obligations -
émises ensemble par plusieurs pays de la zone euro - pour financer
l'investissement en Grèce et en Europe, ainsi qu'un contrôle public accru des
banques.
En tout, les propositions de Tsipras ne sont
rien d'autre qu'une reprise des options politiques qui sont discutées au plus
haut niveau hiérarchique de l'élite politique et financière.
L'organe de presse le plus connu du capital
financier international, le Financial Times, a longtemps argumenté en
faveur d'une restructuration de la dette grecque pour éviter un défaut de
paiement du genre de celui de la banque Lehman Brothers qui avait provoqué la
crise financière de 2008. Une certaine restructuration de la dette grecque est
la politique du gouvernement allemand et continue de faire partie du programme
politique du PASOK qui est présentement en train d'imposer des réductions en
Grèce. Elle est aussi une revendication majeure du parti d'opposition grec,
Nouvelle démocratie.
Quant à la proposition en faveur d'euro
obligations, c'est la politique officielle du parlement européen. Vers la fin
juin, Olli Rehn, le commissaire européen chargé de l'économie qui a argumenté à
maintes reprises en faveur de coupes brutales dans les dépenses de la Grèce, a
annoncé que le parlement européen à Bruxelles présenterait bientôt ses propres
projets pour l'émission d'euro obligations.
Rehn a dit sans ambiguïté que pour l'élite
dirigeante européenne le principal avantage des euro obligations est qu'elles
faciliteraient l'application de mesures d'austérité de même type dans les
économies très divergentes d'Europe. Parallèlement, elles seraient un puissant
mécanisme pour le renforcement de la compétitivité de l'euro et des intérêts
financiers européens par rapport au dollar et à la domination des marchés
financiers américains.
La récente proposition avancée par Tsipras -
en faveur d'un contrôle plus important exercé sur les banques - fait aussi
l'objet d'un vaste débat au sein de l'élite politique et financière, notamment
sous la forme d'exigences pour une plus grande régulation étatique et une
surveillance des opérations financières.
Au total, les propositions faites par
Tsipras à Berlin n'affecteraient pas la domination de la vie politique et
économique par les banques et l'élite financière. Le programme de Tsipras est
identique à celui de la bureaucratie syndicale et de vastes couches au sein du
gouvernement PASOK au pouvoir. D'importantes parties du programme économique de
Tsipras pourraient aussi être approuvées par Nouvelle Démocratie.
En fait, il existe des précédents en ce qui
concerne la collaboration entre ces deux organisations. Durant la période de
crise de 1989 à 1990, un gouvernement de coalition de Nouvelle Démocratie et
Synapsismos avait joué un rôle clé dans la démobilisation des travailleurs -
ouvrant la voie à l'application de coupes sociales durant l'effondrement des
régimes staliniens en Union soviétique et en Europe de l'Est.
Tsipras propose de toute évidence ses
services et ses relations avec la bureaucratie syndicale afin de rejoindre un
futur gouvernement grec, soit dans une coalition avec le PASOK soit avec
Nouvelle Démocratie. Une telle coalition laisserait en place l'ensemble des
mécanismes et des institutions du capitalisme financier moderne tout en
essayant d'appliquer plus efficacement les mesures d'austérité et ce en dépit
d'une opposition populaire générale.
Les exigences de Tsipras à l'adresse de
l'élite politique européenne ne sont pas du domaine exclusif de SYRIZA. Ses
propositions sont partagées par tous les partis composant la Gauche européenne
- notamment du parti allemand Die Linke qui a joué un rôle influent dans
l'élaboration du programme de l'organisation européenne de tutelle.
Ce faisant, Die Linke a pu se baser sur sa
longue histoire d'application de mesures d'austérité tout en sauvegardant les
intérêts des banques. Le parti Die Linke (anciennement le Parti du Socialisme
démocratique, PDS) avait formé il y a dix ans, après l'effondrement de la
grande banque Berliner Bankgesellschaft, une coalition avec le parti
social-démocrate SPD au Sénat de Berlin.
Depuis lors, il a joué un rôle crucial dans
l'imposition de mesures d'austérité et de coupes brutales dans les dépenses
sociales afin de rembourser des milliards aux actionnaires de BBG. Ceci a
produit une aggravation considérable de la pauvreté et du déclin social dans la
capitale allemande.
A cet égard, Die Linke a une longueur
d'avance sur son homologue grec. Lors de la réunion à Berlin, une déclaration
d'une page de Die Linke a été diffusée. Préparée par les experts financiers du
parti, elle proposait la création d'une agence de notation européenne. A un
moment où de nombreux chefs d'Etat européens, dont la chancelière allemande,
critiquent le monopole de la notation des agences de notation américaines, Die
Linke réagit immédiatement pour satisfaire le vou de ses maîtres politiques en
réclamant une agence européenne dans le but de rivaliser avec les agences
américaines existantes.