Par une série de positions
politiques prises sur les questions de la crise dans le mouvement souverainiste
et de l'intervention impérialiste du Canada en Libye, ainsi que par
les liens étroits qu'il entretient avec le parti de la grande entreprise
qu'est le Parti Québécois, le parti indépendantiste « de gauche »
de la province, Québec solidaire, montre qu'il cherche à se tailler
une place parmi les organisations politiques respectées de l'élite
dirigeante du Québec et du Canada.
Bien que les commentateurs
les plus à droite aiment à qualifier Québec solidaire (QS) d'organisation
« radicale », « gauchiste » et même « communiste », Amir Khadir, co-porte-parole
de QS et son seul député à l'Assemblée nationale, a démontré par
diverses prises de position, notamment sur la question de la crise qui
secoue le Bloc Québécois (BQ) et le Parti Québécois (PQ), que QS
est au contraire un parti qui ne remet pas en question l’ordre établi.
En mai dernier, aux élections
fédérales qui ont porté au pouvoir un gouvernement conservateur majoritaire,
le BQ, organisation sœur du PQ au niveau fédéral, a subi une défaite
historique, passant de 47 à seulement quatre députés au Parlement
canadien. Par un vote clair de protestation, l'électorat québécois,
après une longue expérience amère avec les gouvernements provinciaux
péquistes et libéraux, s'est plutôt tourné du côté d'un parti
essentiellement inconnu dans la province, le NPD (Nouveau parti démocratique)
social-démocrate.
Durant la campagne électorale,
QS avait appelé à voter contre les conservateurs du premier ministre
Stephen Harper. Autrement dit, les opposants bourgeois du Parti conservateur,
c’est-à-dire le BQ, le NPD ou le Parti libéral, étaient tous des
choix valables pour les électeurs selon QS.
Cette position n'était pas
sans rappeler l'appui donné par QS et toute la « gauche » officielle
à la coalition, formée vers la fin 2008, par le Parti libéral et
le NPD et appuyée par le Bloc Québécois. Cette coalition, qui avait
avorté lors du coup constitutionnel des conservateurs de Harper en
décembre 2008, aurait été dirigée par les libéraux, mais elle aurait
été impossible sans le soutien du Bloc. Elle s'était engagée à
mener un programme de droite, incluant la poursuite de la guerre en
Afghanistan et l’imposition de baisses massives d'impôt aux grandes
sociétés.
Dès le lendemain de la défaite
du BQ, Amir Khadir, lui-même ancien candidat pour le Bloc Québécois
en 2000, avait appelé le chef du BQ, Gilles Duceppe afin de lui proposer
de participer à la mise sur pied d'une stratégie souverainiste, afin
d'empêcher, selon Duceppe, « les fédéralistes de crier victoire ».
Dans un commentaire paru dans le quotidien Le Devoir, Khadir
avait dit qu'il était « triste » pour Duceppe et que ce dernier « ne
méritait pas ça ».
La « stratégie souverainiste »
souhaitée par Khadir est, en fait, depuis longtemps discutée et élaborée
entre Québec solidaire, le BQ et le PQ. À travers le Conseil de la
souveraineté, QS travaille étroitement avec ces formations politiques
discréditées, contribuant ainsi à redonner un vernis de gauche à
leurs programmes.
Le programme souverainiste,
c’est-à-dire la création d’un État-nation capitaliste québécois,
est la principale voie par laquelle QS cherche à rattacher les travailleurs
au BQ et au PQ, et ainsi à la bourgeoisie. Ce même programme sert aussi
à séparer les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs
de classe du reste du Canada et internationalement en semant l’illusion
que les travailleurs peuvent défendre leurs intérêts sur une base
nationaliste.
Même si QS peut critiquer
à l’occasion le PQ, le qualifiant de parti de droite, il cherche
constamment à camoufler le lien profond qui existe entre le caractère
de droite du PQ et son programme en faveur de la souveraineté du Québec,
qui est prôné par une section de la bourgeoisie québécoise. Cela
a pour effet de maintenir l’illusion que le problème central auquel
font face les travailleurs québécois est que le Québec ne soit pas
un pays. Le fait que ceux qui dirigeraient un Québec indépendant aurait
un programme tout autant de droite et procapitaliste que le PQ aujourd’hui
est camouflé par QS.
Un échange révélateur est
survenu vers la fin mai entre Khadir et Lucien Bouchard, ex premier
ministre du Québec et ex-chef du PQ et du BQ qui est maintenant à
la tête de l’Association pétrolière et gazière du Québec, lors
d’une commission parlementaire sur la question de l'exploration des
hydrocarbures dans l'estuaire du fleuve St-Laurent.
Devant Bouchard, Khadir a déclaré :
« C'est sûr que, pour les indépendantistes que nous sommes, il est
assez inconcevable qu'on puisse servir les intérêts d'une nation tout
en travaillant ardemment à protéger des intérêts de multinationales
étrangères qui cherchent en fait à spolier nos ressources naturelles…Malheureusement,
vous n'avez pas été fidèle à cet engagement que nous devons avoir
comme serviteur du bien public...»
Bouchard a répliqué en affirmant :
« Vous n’avez aucun droit de porter des jugements sur ma fidélité
au Québécois! » Bouchard a poursuivi en mettant l’accent sur la
nécessité « pour la nation québécoise et pour le Québec de recevoir
des investissements… Il faut absolument que nous nous assurions que
le développement du Québec, que le développement de la nation québécoise
puisse s’effectuer en particulier avec la contribution des investissements
privés qui viennent de corporations… »
Cet échange mérite d’être
examiné attentivement. Les propos de Khadir montrent que le programme
de Québec solidaire n’est pas de s’opposer aux profits capitalistes,
mais plutôt de leur donner une couverture prétendument de gauche en
les critiquant de manière nationaliste. Québec solidaire défend les
profits s’ils sont réalisés par des capitalistes québécois et,
implicitement, cela serait plus facile à réaliser si le Québec était
une nation et qu’il pourrait se doter de mesures protectionnistes.
Bouchard, quant à lui, joue
très bien et très consciemment son rôle de défenseur des intérêts
des capitalistes québécois. La forme que cela prend dans le langage
démagogique de toute l’élite dirigeante du Québec est la défense
des « intérêts du Québec » ou de la « nation québécoise ».
Conséquemment, Bouchard a
tout à fait raison d'affirmer qu’il n’y a pas de contradiction
entre la défense des intérêts du Québec et son rôle en tant que
chef de l’Association pétrolière et gazière du Québec, qui représente
une section des capitalistes ou des « investissements privés qui viennent
de corporations ». À la différence de Khadir, cependant, il trouve
naturellement nécessaire que, dans une économie mondialisée où toutes
les classes dirigeantes de chaque nation entrent en compétition pour
l’accès aux marchés, aux ressources et aux profits, les capitalistes
québécois doivent faire en sorte que des capitalistes étrangers investissent
au Québec, dans la mesure où ce sera aussi profitable pour les capitalistes
québécois.
Des divisions existent au sein
même des capitalistes sur la manière de défendre leurs intérêts.
Une section de la bourgeoisie québécoise, représentée par le PQ,
prônela souveraineté comme la meilleure façonde promouvoir les intérêts
de la bourgeoisie québécoise. Une autre section, représentée par
le Parti libéral et des formations encore plus à droite, comme l’Action
démocratique du Québec, préfère, du moins pour le moment, demeurer
dans la fédération canadienne.
Bien que ces deux programmes
soient bien différents, ils se rejoignent sur ce point fondamental :
la nécessité de mener une attaque tous azimuts contre les conditions
de vie des travailleurs afin de mieux positionner la bourgeoisie, tant
au Québec qu'à travers le Canada, dans le marché capitaliste, dans
un contexte de crise économique mondiale.
Dans la suite de la discussion,
Khadir avait fait référence aux politiques du déficit zéro déclenchées
par Bouchard et le PQ vers la fin des années 1990 : « M. Bouchard nous
doit collectivement des excuses pour les erreurs qu'il a commises quand
il a coupé dans les dépenses sociales, quand il a mis à la retraite
des médecins, des infirmières, des enseignants. Quand il a mis la
clé dans SOQUIP [Société québécoise d'initiatives pétrolières]. »
Khadir ne fait que rappeler
indirectement quelle est la véritable orientation de classe du PQ,
qualifiant d'« erreurs » des politiques qui sont au contraire la norme
dans l'histoire des gouvernements péquistes.
Montrant une fois de plus sa
proximité avec le PQ et le mouvement indépendantiste, dont la crise
est justement le résultat de leurs politiques de droite, QS n'a pas
rejeté l'idée de former une alliance avec l'ex-député péquiste
Pierre Curzi. Ayant démissionné récemment en même temps que d'autres
députés d'importance, Curzi fait partie de l'aile la plus chauvine
du parti. C'est lui entre autres qui a poussé pour que la loi 101 (une
loi chauvine forçant l'utilisation de la langue française) soit appliquée
aux cégeps.
« On a toujours été prêt
à considérer les offres respectueuses de nos principes, et à travailler
sur des enjeux et des objectifs communs », a dit Khadir sur la possibilité
d'une alliance avec Curzi. QS s'était opposé à ce plan d'imposition
de la loi 101 dans les cégeps, affirmant que, pris « isolément »,
ce projet n'était pas « intéressant ». Il voudrait cependant que la
portée de la loi 101 soit accrue afin que celle-ci puisse être appliquée
à de plus petites entreprises.
Position de QS sur l'intervention
impérialiste en Libye
Même si QS fait certaines
critiques, il a montré à plusieurs reprises qu'il est prêt à s'associer
avec un consensus établi par toute l'élite dirigeante ou une section
de celle-ci. Cela a été clairement montré par leur position sur l’intervention
de l’OTAN en Libye, une position qui a exposé les limites de leur
prétendu gauchisme.
Québec solidaire s'est rangé
derrière la position militariste de l'élite dirigeante canadienne
et a appuyé le déclenchement de la guerre impérialiste contre la
Libye. En mars, Khadir avait donné son appui à l'intervention : « Si
vraiment les Occidentaux veulent aider, ça implique des risques. Il
faut que les interventions soient mieux ciblées. »
Malgré l'apparente méfiance
exprimée par Khadir sur les prétendues visées humanitaires des États-Unis
et de ses alliés, il a tout de même donné son appui aux forces « rebelles »
et au Conseil national de transition, le gouvernement libyen alternatif
autoproclamé qu'il a tenté de faire passer pour les représentants
de la volonté populaire : « Il faut absolument respecter la volonté
du peuple libyen qui dit : "Cette révolution-là nous appartient."»
Le Conseil national de transition a été créé, avec l'aide des puissances
impérialistes, par d'anciens responsables haut placés du régime dictatorial
de Kadhafi, des islamistes d'Al-Qaïda et d'anciens agents de la CIA.
Maintenant, alors que l'intervention
des États-Unis et de l'OTAN en Libye s’embourbe en raison des échecs
des rebelles à provoquer un changement de régime, notamment par les
tentatives d’assassinat extrajudiciaire de Kadhafi et de membres de
sa famille, le site web de Québec solidaire demeure silencieux sur
la question de la guerre en Libye.
Dans chacune de ses décisions
et malgré certaines critiques, QS s'intègre au cadre de la politique
officielle et ne traverse pas les frontières de la politique bourgeoise.
Cela est très bien accueilli par les sections les plus conscientes
de l’élite dirigeante.
Le quotidien La Presse,
le meilleur baromètre de l'opinion de l'élite dirigeante au Québec,
a pris la mesure de QS. À propos d'Amir Khadir, André Pratte, l'éditorialiste
en chef du journal, avait écrit que « Chaque société a besoin de
gens comme ça, incorruptibles, idéalistes, imperméables à la critique.
Il arrive qu'ils jouent un rôle essentiel, qu'ils soient les seuls
à combattre une injustice ou à dénoncer une infamie. » Autrement
dit, des politiciens qui peuvent redonner une certaine crédibilité
à un système politique duquel est profondément aliénée la classe
ouvrière et qui peuvent jouer un rôle pour empêcher un mouvement
populaire qui viendrait mettre en danger l'ordre capitaliste.
Loin de représenter une alternative
politique qui défendrait les intérêts indépendants de la classe
ouvrière, QS est prêt à s'allier aux forces les plus réactionnaires
pour faire la promotion de l'indépendance du Québec.
En 1995, lors du référendum
pour la souveraineté du Québec, l'ADQ, le PQ, l'Union des forces progressistes
(l'ancêtre de QS) et Gauche socialiste (organisation pabliste qui fait
actuellement partie de Québec solidaire), se sont unis dans la « coalition
arc-en-ciel » pour appeler à un vote pour le « oui ».
Dans une analyse qui conserve
toute sa validité aujourd'hui, le Parti internationaliste ouvrier (POI),
qui allait devenir le Parti de l'égalité socialiste, avait appelé
à voter « non » lors du référendum, expliquant : « Le réseau populaire
pour le Oui et d'autres groupes critiquent le PQ pour ne pas avoir de
''projet de société'' et affirment qu'un Québec indépendant pourrait
servir de levier contre les pressions du capital international.
« La vérité, c'est que le
PQ a élaboré un projet social très clair et explicite : l'établissement
d'un Québec indépendant dans le but de mieux positionner et soutenir
les capitalistes québécois dans la guerre commerciale mondiale. »
La classe ouvrière doit rejeter
tant la perspective du nationalisme québécois que celle du nationalisme
canadien, qui servent ultimement les intérêts de l'une ou l'autre
section de la bourgeoisie au pays. Elle doit s'opposer au programme
nationaliste de QS en avançant sa propre solution à la crise du système
capitaliste : une lutte commune des travailleurs du Québec, du Canada
et de l'Amérique du Nord pour bâtir un parti indépendant de la classe
ouvrière, armé d'un programme socialiste et internationaliste.