Un rapport de l'Economist Intelligence Unit
[le service de recherche et d'analyses du journal The Economist,
ndt] prédit une croissance massive sur toute la planète de la production
d'énergie nucléaire au cours de la décennie à venir. La prise en compte du
désastre de Fukushima, considéré maintenant comme le pire accident industriel
de l'histoire, devrait être minime.
Toujours selon ce rapport, la décision de
l'Allemagne de fermer ses centrales nucléaires sera plus que compensée par un
accroissement de la production nucléaire dans d'autres pays. The Future of
Nuclear Energy annonce une croissance de 27 pour cent de la production
d'ici à 2020. Les réacteurs prévus en Chine, en Inde et en Russie ajouteront
cinq fois la capacité nucléaire que la décision allemande supprimera de la
production mondiale.
Il faut 15 ans pour construire une centrale
nucléaire, l'augmentation prévue reflète la production estimée des
installations déjà en construction. Seize nouveaux réacteurs ont été démarrés
en 2010. Dix d'entre eux en Chine et les autres en Russie, en Inde et au
Brésil. Même le Japon a repris la construction d'une nouvelle centrale
nucléaire, après avoir pris des mesures anti-sismiques supplémentaires. À
partir de 2015, un nouveau réacteur entrera en activité chaque mois quelque
part dans le monde.
Cette extension massive de l'industrie
nucléaire a lieu en dépit du fait qu'aucune des questions de sécurité inhérente
à la production d'énergie nucléaire n'a été abordée. Rien que cette semaine, il
y a eu une explosion dans une centrale nucléaire française. La centrale de
Tricastin a été récemment critiquée par l'Autorité de sécurité nucléaire (ASN)
française, qui faisait une liste de 32 mesures de sécurité à appliquer. EDF,
qui gère la centrale, a insisté sur le fait que cette explosion avait eu lieu
dans une zone non nucléaire de la centrale et ne présentait aucun risque de
fuite radioactive. L'expérience de Fukushima a pourtant montré que la
défaillance des fonctions non nucléaires, par exemple la perte de l'alimentation
électrique, créé un risque pour le réacteur nucléaire. Les centrales nucléaires
sont des systèmes dont la conception est très complexe et aucune de leurs
parties ne devrait être considérée avec autant de légèreté comme
"non-critique."
Toutes les centrales nucléaires françaises
sont censées avoir subi une inspection à la suite du désastre de Fukushima.
Pour qu'une explosion se produise dans l'une d'entre elles si peu de temps
après, et pour qu'EDF la minimise ainsi, donne à penser que l'industrie n'a
retenu aucune leçon de Fukushima.
L'extension de l'usage de l'énergie nucléaire
est un phénomène international, et l'effet d'un accident quel qu'il soit serait
international. Et pourtant il n'existe toujours pas de normes de sécurité
internationales ayant force contraignante pour cette industrie. Au lieu de
cela, comme l'a mis en évidence le désastre de Fukushima, les gouvernements
nationaux et l'industrie nucléaire collaborent dans le dos du public et
s'accordent pour passer sous silence les questions de sécurité.
Le Guardian a récemment publié des
emails montrant de près la collusion entre le gouvernement britannique et
l'industrie nucléaire dans la foulée du désastre de Fukushima. Deux jours après
le tremblement de terre, des représentants du gouvernement britannique ont
envoyés des courriers à EDF, Areva, Westinghouse [entreprise d'électricité
américaine qui intervient fortement dans l'industrie nucléaire, rachetée par le
japonais Toshiba en 2006, en France elle est notable pour avoir revendu le
brevet de ses centrales à FRAMATOME en 1974, ndt], ainsi qu'à l'Association de
l'industrie nucléaire, pour les prévenir que la situation à Fukushima pourrait
endommager la confiance du public dans l'énergie nucléaire. Ces représentants
insistaient pour qu'il soit dit que ce n'était aussi grave que les images
télévisées pouvaient le laisser penser :
« La radioactivité relâchée a été contrôlée -
le réacteur a été protégé. C'est la tâche normale des systèmes de sécurité de
contrôler et gérer une situation de ce genre. »
Ils ont invité les industriels à envoyer leurs
commentaires pour qu'ils puissent être inclus dans une déclaration du
gouvernement : « Il faut que nous travaillions tous à partir des mêmes éléments
pour faire passer le message aux médias et au public. »
Une campagne de propagande concertée a été
organisée, sans aucun égard pour la vérité ou la sécurité de la population.
L'industrie nucléaire et le gouvernement britannique ont travaillé main dans la
main pour passer sous silence l'étendue du désastre qui se déroulait au Japon
et son effet potentiel sur le reste du monde.
« Les opposants au nucléaire de toute l'Europe
n'ont pas perdu de temps à assimiler tout ça à Tchernobyl etc. Il faut que nous
réduisions au silence toutes les tentatives de comparer cela à Tchernobyl, »
affirme l'un de ces e-mails.
En quelques semaines, les représentants
japonais ont été contraints d'augmenter le niveau de l'accident de Fukushima de
4 à 7 [le niveau maximal], comme à Tchernobyl.
Les officiels britanniques se sont clairement
considérés comme en lutte médiatique pour la défense de l'industrie nucléaire,
comme les ministres se préparaient à ce moment-là à annoncer de nouveaux plans
pour la construction de réacteurs nucléaires au Royaume-Uni.
« Cela a le potentiel de faire reculer
l'industrie nucléaire partout dans le monde, » dit l'un des 80 e-mails rendus
publics, « il faut nous assurer que les antinucléaires ne puissent pas gagner
de terrain là-dessus. Il nous faut occuper le terrain et le tenir. Nous avons vraiment
besoin de montrer que le nucléaire est sûr. »
Un ex-inspecteur de centrales nucléaires a
déclaré au Guardian que le niveau de collusion révélé par ces e-mails
est « vraiment choquant. »
Cette collusion n'est pas cantonnée à la
Grande-Bretagne. Au Japon, l'ampleur du désastre de Fukushima a été constamment
minimisée dès le départ. D'après l'ex-ministre de l'intérieur Haraguchi
Kazuhiro, les données des stations de mesure de la radioactivité au Japon ont
été jusqu'à cent fois plus élevées que celles révélées à la population.
Les experts sont de plus en plus inquiets des
conséquences de Fukushima sur la santé publique. Nishio Masamichi, spécialiste
en radiothérapie et directeur du centre de cancérologie d'Hokkaido, a exprimé
sa « grande inquiétude » dans le journal des affaires, le Tokyo Kenzai.
L'article est intitulé : « Le problème des contre-mesures à l'exposition aux
radiations pour l'accident nucléaire de Fukushima : inquiétudes pour la
situation actuelle, » il y donne une répartition détaillée des risques pour les
travailleurs du site et les résidents de la zone environnante.
Ce fonctionnaire du ministère de la santé
s'était initialement associé aux appels au « calme », mais il accuse
maintenant la Compagnie électrique de Tokyo (TEPCO) de cacher la vérité sur ce
désastre et de faire passer la survie de la compagnie avant la santé publique.
Il a condamné l'augmentation par le gouvernement de la limité légale du taux
d'exposition aux radiations pour les travailleurs de 100 millisieverts à 250 par
an. Les travailleurs du site ne sont « même pas traités comme des êtres
humains, » écrit-il.
Les travailleurs sont forcés à dormir et
manger sur le site de l'accident, ce qui augmente leur risque d'inhaler ou
d'ingérer des produits contaminés, alors qu'à seulement une demi-heure de là,
il y a des hôtels vides où ils seraient déjà confrontés à un risque nettement
moindre. La compagnie se préoccupe davantage, affirme-t-il, d'empêcher les
travailleurs de fuir, que de protéger leur santé.
Toujours selon lui, la compagnie a donné aux
travailleurs des compteurs Geiger truqués. Ils ne s'appuient pas sur des
mesures effectuées sur tout le corps pour évaluer le niveau d'exposition à des
radiations internes. Ils ne mesurent pas non plus les taux de radiations en les
répartissant en différents types, radiations alpha émises par le plutonium et
beta émises par le strontium. Aucune mesure spécifique n'a été prise pour
protéger les travailleurs du MOX (du combustible à Mélange d'OXydes) utilisé
dans le réacteur numéro 3. De l'iode est donné aux travailleurs mais, pour
Nishio, il faudrait également qu'ils prennent de la Radiogardase (des capsules
de bleu de Prusse insoluble).
Nishio a également critiqué les mesures prises
par le gouvernement japonais pour protéger les populations locales. Un rayon de
30 kilomètres a été évacué, mais il a indiqué que le risque de contamination
n'est pas uniforme, il dépend de la topographie et de la météo. Certaines zones
hors de ce rayon ont donné des mesures très élevées.
Certaines mesures de la contamination n'ont
pas été divulguées, il écrit : « La seule explication c'est que les taux de
radiations élevés n'ont pas été divulgués parce que l'on craignait de provoquer
la panique. »
Le taux de radiation légalement admis au Japon
est de 1 millisievert par an pour les personnes ne travaillant pas dans
l'industrie nucléaire. Mais le gouvernement japonais l'a fait passer à 20
millisieverts après l'accident de Fukushima. Nishio affirme que cela revient à
« prendre à la légère la vie des gens. » Il a averti que c'est trop élevé pour
les enfants et demandé des mesures spéciales pour mesurer le niveau de
strontium, qui peut affecter les enfants parce que leurs os sont encore en
développement.
Les citoyens japonais n'ont aucun moyen de
mesurer leur niveau personnel d'exposition. Nishio a particulièrement insisté
sur le danger de l'exposition interne à des taux de radiation élevés à long
terme. Des comparaisons avec une exposition externe dans un environnement
médical contrôlé ne sont pas faisables, a-t-il prévenu. Les effets sur la santé
des expositions internes à long terme sont imprévisibles et assez peu connus.
La ville de Fukushima abrite 300 000 personnes
et est hors du rayon évacué. Des zones de haute contamination y ayant été
détectées, les résidents s'en remettent à des solutions improvisées telles que
d'enlever la terre de leurs jardins et passer leurs toits au savon pour tenter
d'éliminer la contamination.
« Tout et tout le monde est paralysé, et nous
nous sentons abandonnés, sans savoir s'il est sûr ou pas pour nous de rester en
ville, » a déclaré une mère à l'agence Reuters.
Les autorités enlèvent la couche superficielle
de terre des cours d'écoles, mais il n'y a aucun plan général pour enlever la
contamination des parcs, des terrains vagues ou des jardins privés. Il n'y a
pas non plus d'endroit sûr pour la déposer une fois enlevée. Il n'y a aucun
antécédent pour l'ampleur de l'effort de décontamination qu'il faudra faire
pour rendre la zone affectée par le désastre de Fukushima à nouveau sûre.
Les conséquences mondiales de Fukushima
commencent seulement à apparaître et ne font toujours pas l'objet de
commentaires officiels. En juin, TEPCO a révisé ses estimations de la quantité
de radiations émises au cours de la première semaine du désastre. Ils ont
reconnu qu'elles étaient le double des précédentes pour la quantité totale
émise par l'accident.
L'essentiel du surplus de radiations était
sous forme de « particules chaudes » - de petites particules de césium,
plutonium, uranium, cobalt 60 et d'autres matières radioactives. Les particules
chaudes isolées sont trop petites pour être détectées par un compteur Geiger.
Pourtant, elles posent un risque sérieux de cancer parce qu'elles peuvent se
coincer dans les poumons ou l'appareil digestif, et bombarder une petite zone
de tissus pendant une longue période.
Des scientifiques indépendants qui ont
inspecté les filtres à air enlevés de véhicules japonais pensent que les
habitants de Tokyo ont respiré environs 10 particules chaudes par jour en avril,
immédiatement après l'accident. Dans la zone environnant la centrale, les
niveaux auraient été 30 à 40 fois plus élevés, et de l'autre côté du Pacifique,
à Seattle, des niveaux équivalents à 5 par jour ont été détectés.