Des manifestations de
masse ont eu lieu vendredi 15 juillet partout en Egypte. Sous la bannière
« Le vendredi de l’ultime avertissement, » des dizaines de milliers
de personnes se sont rassemblées sur la place Tahrir du Caire et dans
la ville industrielle de Suez. De nombreuses manifestations plus petites
ont eu lieu dans tout le pays.
C’était la deuxième semaine
de manifestatio ns de masse en Egypte, travailleurs et jeunes exprimant
leur opposition contre le gouvernement dominé par l’armée. Celui-ci
avait pris le pouvoir après l’éviction d’Hosni Moubarak en février.
Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) est le pouvoir ultime
dans le pays ; ses généraux, qui avaient été partie intégrante de
la dictature de Moubarak ont sauvegardé l’appareil répressif d’Etat
de l’Egypte et ses relations serviles avec l’impérialisme américain.
Il existe une hostilité croissante
envers le r égime qui est perçu comme protégeant Moubarak, sa famille,
des fonctionnaires haut placés ainsi que des membres des services de
sécurité responsables d’actes de torture et du meurtre de milliers
de manifestants durant le soulèvement de février.
Suite aux protestations de
la semaine pass ée, le CSFA a annoncé mercredi que 700 gradés de
la police associés aux attaques contre des manifestants seraient démis
de leurs fonctions. Dans le cadre du plan, il serait proposé à certains
policiers une mise en préretraite et à d’autres un transfert à
d’autres postes ou une promotion.
Le ministre de l’Intérieur,
Mansour El-Essawy, a affirm é que cette mesure était « le plus grand
remaniement de la l’histoire de la police, » et que de nouvelles recrues
embauchées pour remplacer ceux qui partaient « pomperaient du sang
frais dans le système. »
C e geste symbolique n’a
eu aucun impact perceptible vendredi sur l’atmosphère régnant dans
la rue en Egypte. « C’est juste de la comédie, » a dit à l’Agence
France Presse un manifestant qui campait sur la place Tahrir. « Ces
annonces ne suffisent pas, » a dit un autre manifestant. « La priorité
c’est d’avoir des procès pour les meurtriers des martyrs. »
Un certain nombre de ceux
qui campent sur la place Tahrir font la gr ève de la faim pour réclamer
des poursuites judiciaires à l’encontre de responsables de l’ère
Moubarak.
Le régime militaire a aussi
retard é des élections parlementaires proposées. Ces élections devaient
avoir lieu en septembre mais l’agence officielle MENA (Middle East
News Agency) a rapporté que la date a été reportée à novembre.
Malgré un soleil de plomb
qui a fait s’évanouir quelques manifestants en raison de coups de
chaleur, une foule énorme s’était regroupée toute la journée sur
la place Tahrir. Elle a scandé des slogans exigeant la fin du gouvernement
dominé par l’armée et l’éviction des sbires de Moubarak de toutes
les instances du pouvoir.
Al Ahram
a rapporté que des milliers d’exemplaires d’un tract intitulé :
« Nous exigeons la poursuite en justice de la bande qui est encore au
pouvoir » avaient été distribués par des comités révolutionnaires
sur la place Tahrir. Il y avait des appels pour des réductions de salaire
des politiciens de haut rang et des hommes d’affaires et pour des
augmentations du salaire minimum des travailleurs. Les manifestants
et les orateurs sur les tribunes ont aussi condamné les tentatives
du régime de monter les chrétiens et les musulmans les uns contre
les autres.
La colère populaire visait
notamment l’ancien pr ésident Hosni Moubarak, le dirigeant du CSFA,
le commandant en chef des forces armées, Hussein Tantawi, et les médias
publics, qui ont insulté les manifestants et continue à disséminer
une propagande pro-régime.
Il y a eu des appels à la
poursuite des grèves et des sit-in sur les lieux de travail partout
dans le pays. La grève a fait l’objet d’une interdiction légale
par le CSFA, quoiqu’une multitude de grèves aient touché les lieux
de travail partout en Egypte, revendiquant des concessions économiques
et politiques.
Des sit-in et des manifestations
organisées en solidarité avec le rassemblement de masse du Caire se
sont déroulés à Suez, à Alexandrie et dans la ville de Tanta au
Nord de la capitale, à Louxor dans le Sud du pays et dans de nombreux
autres endroits.
Les protestations à Suez
ont rapidement augmenté tout au long de la journée de vendredi
jusqu’à ce que des dizaines de milliers de personnes se rassemblent
sur la place Arbaeen de la ville. Le célèbre poète Mohamed El-Tamsah
et plusieurs autres manifestants font la grève de la faim sur la place
pour exprimer leur opposition au régime militaire.
Un autre défilé est
parti de la mosquée Shohada pour rejoindre le principal commissariat
de police de Suez et exiger des poursuites judiciaires pour les policiers
impliqués dans des actes de torture. Des séquences vidéo sont apparues
jeudi sur Internet montrant un manifestant gravement blessé après
avoir été détenu par la police de la ville. S’exprimant sur
Ahram Online, Mohamed Mahmoud, du Bloc Jeunes Suez a affirmé que
six militants anti-régime, dont El-Tansah, avaient été interpellés
et maltraités par la police.
Il y a eu des grèves des
tra vailleurs de l’Autorité du Canal de Suez, l’une des principales
entreprises industrielles. Les travailleurs ont menacé de fermer le
Canal de Suez, une voie commerciale mondiale majeure, à moins que les
exigences pour des augmentations de salaires et la révocation de la
direction corrompue ne soient satisfaites.
En réaction à la combativité
de la classe ouvrière, le CSFA a envoyé des milliers de soldats à
Suez pour protéger les intérêts commerciaux. La Troisième armée
égyptienne a positionné des forces près des banques, des commissariats
de police, des zones industrielles et du canal.
A Alexandrie, des centaines
de personnes ont protesté contre la nomination de Khaled Gharba comme
nouveau gouverneur régional. Le gouverneur précédent d’Alexandrie,
Essam Salem, a démissionné mercredi après des semaines de protestations
et de grèves. Les manifestants devant le bâtiment du ministère de
l’Intérieur de la ville ont réclamé le départ du CSFA et des poursuites
contre des agents des forces de sécurité.
Une manifestation a également
eu lieu devant l’h ôpital pour gens riches de Charm el Cheikh, où
séjourne Moubarak. Des manifestants ont réclamé que le président
déchu soit transféré dans un hôpital pénitencier afin d’être
jugé immédiatement pour les crimes commis durant les 30 ans de son
règne.
Malgré l’opposition populaire
massive à l’encontre du r égime dominé par le CSFA, de nombreux
organisateurs des protestations continuent de faire naître des illusions
dans les généraux et l’Etat bourgeois.
Ab oul-Ezz al-Hariri, un haut
responsable de l’Alliance socialiste populaire, en a appelé au CSFA
pour « agir dans l’esprit de la révolution » ou « de démissionner
afin de permettre à un conseil civil d’assurer la phase de transition. »
Deux des principaux groupes
de protestatio ns, le Mouvement du 6 Avril et la Coalition des Jeunes
de la Révolution, ont publié un appel en faveur d’un gouvernement
civil et de la démission du premier ministre Essam Sharaf.
Le communiqué, cosigné par
la Fédération égyptienne des syndicats indépendants et le candidat
présidentiel pressenti, Mohamed ElBaradei, a déclaré que, « Sharaf
est un homme honorable mais n’est pas apte à mener le pays à
ce stade ou d’atteindre les objectifs de la révolution en temps
opportun. » (italiques ajoutées)
Le caractère tactique et
sans principes d’une telle opposition au r égime a été clairement
montré lorsque des porte-parole du Mouvement du 6 Avril se sont adressés
vendredi à la foule sur la place Tahrir pour demander à Sharaf de
former un « gouvernement révolutionnaire. »
De telles initiatives ne servent
qu’ à désarmer politiquement la classe ouvrière. Sharaf et la direction
du CFSA sont incapables de former un gouvernement révolutionnaire,
et de surcroît ils y sont opposés, parce qu’ils sont politiquement
hostiles à la classe ouvrière.
Sharaf a pendant longtemps
fait partie du régime Moubarak. De 2004 à 2005, il fut ministre des
Transports. S’il a démissionné du gouvernement pour cause de désaccord
avec le premier ministre Ahmed Nazif, ses différences avec le régime
Moubarak concernaient des questions d’infrastructure du transport.
Après le départ de Moubarak, Sharaf avait été choisi par les généraux
pour être la figure de proue civile de leur gouvernement – parce
que précisément il était un adepte fiable disposant de liens avec
d’autres dirigeants bourgeois de l’« opposition » tel ElBaradei.
Les généraux ont réagi
aux appels de l’opposition en publiant le 12 juillet un communiqué
déclarant que le CFSA et Sharaf resteraient au pouvoir, organiseraient
toutes futures élections et participeraient à l’élaboration d’une
constitution permanente. La déclaration du CFSA met également en garde
qu’il ne tolérerait pas que des protestations gênent les travaux
du gouvernement.
La déclaration fut
prononcée à la télévision d’Etat par le général Mohsen El-Fangary,
le vice-ministre à la Défense et membre du CFSA. Il en a appelé aux
« honorables citoyens égyptiens de s’opposer à toute tentative d’entraver
le rétablissement de la vie normale. » le général a aussi mis en
garde contre « la diffusion de rumeurs » au sujet d’un clivage entre
l’armée et le peuple.
Un manifestant a dit au WSWS
que le discours d’El-Fangary ressemblait à une allocution de
Moubarak. « Ils [les généraux] sont à 100 pour cent des représentants
du régime Moubarak. Comme Moubarak dans ses discours, ils nous traitent
de criminels voulant détruire le pays et répandre le chaos. L’objectif
évident du conseil militaire est de nous menacer et de mobiliser des
gens contre la révolution. »
Un autre parti d ’« opposition »
encourageant le régime dominé par l’armée est celui des Frères
musulmans. Une organisation islamique droitière réprimée pendant
des années sous Moubarak, les Frères musulmans cherchent à présent
à s’arranger avec l’armée et ses partisans à Washington. Ils
ont refusé de participé aux protestations de vendredi en accueillant
favorablement le communiqué menaçant du CFSA.
Les Frères musulmans n’
avaient envoyé qu’à contre-cœur une délégation à la massive
manifestation de la semaine précédente sur la place Tahrir et ont
à maintes reprises manifesté leur confiance à Tantawi et à la junte
militaire dont ils disent qu’ils sauvegardent la « révolution. »
Ils ont aussi soutenu le premier ministre Sharaf en demandant à leurs
partisans de laisser du temps à son gouvernement pour mettre en œuvre
sa politique.