Une série de reportages est apparue hier de
meurtre à grande échelle par les forces de sécurité de manifestants en
rébellion contre le chômage et les conditions sociales misérables prévalant
sous le régime dictatorial du président Zine El Abidine Ben Ali.
Les émeutes secouent la Tunisie depuis que
Mohamed Bouazizi, un diplômé de l'université travaillant comme vendeur
ambulant, s'est donné la mort pour protester contre la confiscation par la
police de tout son étal de fruits et légumes.
Des protestations identiques ont secoué la
semaine passée l'Algérie voisine après que le gouvernement a tenté d'imposer
des augmentations de prix sur des produits alimentaires subventionnés dont la
farine, le sucre et l'huile.
Alors que le bilan officiels des victimes
s'élevait hier à 18, des reportages ont fait état de dizaines de manifestants
tués rien que dans la ville de Kasserine. Sadok Mahmoudi, membre du bureau
régional de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a dit à
l'AFP : « C'est le chaos à Kasserine après une nuit de violence, de
tirs de snipers, pillage et vols de commerces et de domiciles par des effectifs
de police en civil qui se sont ensuite retirés. »
Mahmoudi a dit que le nombre de morts était
d'au moins 50, en citant le personnel de l'hôpital régional de Kasserine. L'AFP
a fait remarquer que d'autres sources dans la région corroboraient le compte
rendu de Mahmoudi.
Le personnel médical
de l'hôpital de Kasserine a débrayé pendant une heure en signe de protestation
selon un responsable local qui a parlé à l'AFP sous couvert de l'anonymat. Il a
confirmé que la police ciblait des victimes et s'acharnait sur elles jusqu'à
les tuer; il a ajouté qu'un grand nombre de gens arrivaient à la morgue de l'hôpital
avec « leurs boyaux à l'air libre et la cervelle éclatée.
Mokhter Trifi de la Ligue tunisienne pour la
défense des droits de l'homme (LDHT) a dit: « Une opération de commando
téléguidée a été organisée la nuit dernière pour piller et faire accréditer la
thèse du complot avancée par le régime. » Trifi a précisé que les
autorités tunisiennes avaient « attribué les émeutes du week-end à des
pilleurs au sein de la population. »
Le président Ben Ali a prononcé hier un
discours en répétant de telles calomnies impudentes à l'égard des manifestants.
Il a accusé des « éléments hostiles à la solde de l'étranger qui ont vendu
leur âme à l'extrémisme et au terrorisme, manipulés depuis l'extérieur du pays
par des parties qui ne veulent pas le bien à un pays déterminé à persévérer et
à travailler. »
Il a affirmé
que les incidents « ont été l'ouvre de bandes masquées qui ont attaqué la
nuit des édifices publics et même des civils à leurs domiciles lors d'un acte
terroriste qu'on ne saurait taire. » Les articles cités ci-dessus
suggèrent cependant, qu'il est possible que les « bandes masquées »
aient été des commandos tunisiens travaillant sous les ordres de Ben Ali.
Le ministère tunisien de l'Intérieur a
confirmé que la violence pour tuer était utilisée contre les manifestants. Son
communiqué a déclaré qu'à Kasserine, « les policiers ont fait usage de
leurs armes dans un acte de légitime défense, lorsque les assaillants on
multiplié les attaques, en jetant des pneus en feu pour forcer les locaux de la
police dont les équipements ont été incendiés. » Le ministère a déclaré ce
ceci avait « occasionné la mort de quatre assaillants. »
Un responsable de l'UGTT de la cité voisine
Thala a dit à la BBC que la police avait mis en garde les résidents de ne pas
se rassembler en groupes même de deux personnes. Il a dit que la ville était
sur le point d'être à court de nourriture et de fioul domestique.
Lundi, un autre jeune Tunisien - Allaa
Hidouri, 23 ans - s'est tué en signe de protestation, par électrocution en
grimpant sur des câbles à haute tension.
Il y a eu plusieurs articles selon lesquels
les protestations, centrées dans les régions plus pauvres de la Tunisie
centrale et occidentale, se propageaient aux villes côtières où l'industrie
touristique de la Tunisie est basée. La police a violemment dispersé hier une
manifestation d'artistes dans la capitale, Tunis. Des sources de l'AFP ont
écrit : « La tension était palpable dans la capitale au moment où des
appels à des manifestations de masse se répandent sur le réseau social
Facebook. »
Après l'interdiction des matchs de football,
le gouvernement tunisien a fermé lundi et jusqu'à nouvel ordre tous les
établissements scolaires et les universités pour empêcher qu'un plus grand
nombre de jeunes ne se rassemblent. La jeunesse tunisienne est confrontée à un
taux de chômage de 30 pour cent. Le quotidien français Libération a
publié des photographies montrant des étudiants tunisiens assis par terre pour
former en lettres arabes les mots « non aux assassinats ».
Une confrontation de classe entre les
travailleurs et le régime de Ben Ali est en train de se développer rapidement
avec des conséquences potentiellement explosives au niveau international - une
perspective qui aggrave les craintes de la classe dirigeante. La presse
bourgeoise avertit que le mécontentement de masse, les protestations et les
grèves pourraient se propager de la Tunisie à l'ensemble du monde arabe et
au-delà. C'est tout particulièrement le cas au moment où les grossistes et les
banques font maintenant grimper rapidement les prix des produits alimentairess
au-delà de ce que bien des familles peuvent payer.
Dans le quotidien Asharq Al-Awsa, le chroniqueur saoudien, Rahman al-Rashed, a mis en
garde contre un éventuel « effet domino » tandis que les
protestations se propagent dans l'ensemble de la région. Il écrit :
« La barrière de la peur a-t-elle été brisée ? Il semble que ce soit
la question la plus importante. la barrière psychologique qui a empêché les
protestations a peut-être été éliminée. »
Le Financial Times rapporte que dans
des dictatures alliées aux Etats-Unis, telles l'Egypte et l'Arabie saoudite,
des réseaux sociaux sur internet répandent des messages de solidarité avec les
manifestants tunisiens et algériens.
Aux Etats-Unis, le magazine Time a
fait état d'une « vague de protestations et de violence en Afrique du Nord
contre deux régimes autoritaires, entretenant de bonnes relations avec les
Etats-Unis. » Il a expliqué que Washington n'avait jusqu'à ce jour pas
objecté à leurs pratiques, « en raison surtout du fait que les
gouvernements autoritaires de l'Algérie et de la Tunisie sont des alliés dans
une lutte contre le terrorisme islamique. »
Le Time a ajouté
que si ces régimes cessaient de se ranger derrière les exigences américaines
de « guerre contre le terrorisme », Washington pourrait envisager de
les remplacer par d'autres figures pro-Etats-Unis et qu'ils jugent plus aptes à
maîtriser leurs populations : « L'instabilité sociale provoquée par
leur politique peut en fait ouvrer en faveur des extrémistes régionaux. La
secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, en visite cette semaine dans les
Etats du Golfe, projette de demander publiquement une réforme politique dans le
monde arabe. »
Il y a un certain nombre de tentatives de la
part de l'establishment politique tunisien et diverses puissances
impérialistes de fournir un vernis cynique, pseudo-démocratique aux agissements
du régime tunisien et l'encourager à envisager de réduire quelque peu les
meurtres.
L'une de ces tentatives est un changement de
la position de l'UGTT - unique syndicat tunisien et partisan de longue date de
Ben Ali. Selon les informations publiées sur son site web, il l'a publiquement
soutenu à l'élection présidentielle de 2009 en formulant son accord avec la
politique de « réforme » de Ben Ali. Cette politique comprenait des
coupes à grande échelle dans le secteur des emplois publics, ce qui a joué un
rôle majeur dans l'aggravation du chômage, conduisant au désespoir social qui a
provoqué les protestations actuelles.
Depuis le début des protestations actuelles
le mois dernier, le syndicat n'a pas abandonné son soutien politique à Ben Ali.
La direction nationale de l'UGTT a refusé d'appeler à la grève la classe
ouvrière en solidarité avec les protestations de masse; elle n'a pas non plus
appelé à stopper les meurtres, elle aurait à plusieurs reprises critiqué des
responsables individuels de l'UGTT qui ont participé aux manifestations.
Au cours du week-end, cependant, le
secrétaire général adjoint de l'UGTT, Abid Brigui, a dit qu'il n'était
« pas normal d'y [protestations] répondre par des balles ». Le
politicien de l'opposition, Mahmoud Ben Romdhane, a salué la déclaration de
Brigui comme « un grand revirement » de l'UGTT.
De manière plus cynique, Michèle
Alliot-Marie, la ministre des Affaires étrangères de la France, ancienne
puissance coloniale de la Tunisie, a suggéré que la police française pourrait
partager son « savoir-faire français » avec les forces de sécurité
tunisiennes. Elle a expliqué : « Nous proposons effectivement aux deux
pays de permettre dans le cadre de nos coopérations d'agir pour que le droit de
manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité. »