Les
événements en Tunisie, où des manifestations de masse des travailleurs contre
le chômage et la dictature ont forcé le président Zine El Abidine Ben Ali à
quitter le pouvoir le 14 janvier, révèlent le caractère de classe des
organisations soi-disant de gauche tel le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA.)
Ils sont complices des efforts des gouvernements impérialistes occidentaux
d'isoler et d'étouffer la lutte des classes en Tunisie.
Les
protestations de masse ont commencé le 17 décembre après que Mohamed Bouazizi,
26 ans, diplômé de l'université et travaillant comme marchand ambulant s'est
immolé par le feu pour protester contre la situation économique et les abus
policiers. Il est décédé des suites de ses blessures le 4 janvier. Les
manifestations ont commencé dans les régions défavorisées de l'est et du sud de
la Tunisie, puis se sont propagées à l'ensemble du pays. Le régime du
président Zine el-Abidine Ben Ali a d'abord eu recours à la répression
policière brutale contre les manifestants, en tuant des centaines, puis le
président s'est enfui en Arabie saoudite le 14 janvier.
La
réaction du NPA face à l'agitation politique et sociale en Tunisie était en
concordance avec la réaction des principales puissances impérialistes, les
Etats-Unis, la France et d'autres pays de l'Union européenne. Ils ont tous
encouragé un accord entre les partis officiels d' « opposition, » la
bureaucratie de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), et les membres
restants du régime de Ben Ali. Leur objectif, présenté comme
« démocratie » voire même « révolution
démocratique, » est la formation d'un gouvernement d'unité nationale fondé
sur l'ancienne dictature de Ben Ali.
Reprenant
l'appel du président américain Barack Obama à des « élections libres et
justes dans un avenir proche, » le palais présidentiel de l'Elysée en
France a appelé à «une solution démocratique et durable à
la crise actuelle. »
Ces
positions cyniques ont aussi été avancées par la « gauche »
bourgeoise. La dirigeante du Parti socialiste (PS) Martine Aubry a cyniquement
lancé un appel au ministère français des Affaires étrangères, partisan des plus
fidèles du régime de Ben Ali, à «s'engager
sans ambiguïté en faveur de la démocratie en Tunisie. »
En
droite ligne avec l'élite dirigeante, le NPA a cherché à présenter les
développements en Tunisie non pas comme une lutte de classes révolutionnaire
contre la dictature et l'impérialisme, mais comme une lutte syndicale
« démocratique. »
Sa
déclaration du 5 janvier décrivait la lutte tunisienne comme une
« Intifada, » évoquant la lutte nationale du peuple palestinien pour
les droits démocratiques au sein de l'Etat d'Israël. Mais tel n'est pas le
caractère du récent soulèvement en Tunisie. Il s'agit d'un soulèvement de la
classe ouvrière contre le chômage et la dictature, et cherchant à renverser le
régime de Ben Ali.
Après
le déclenchement des manifestations, le NPA a soutenu le syndicat tunisien
Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), partisan de longue date du régime
Ben Ali, qui avait participé à l'application de sa politique de réforme
d'économie libérale. Sa déclaration du 5 janvier dit: «La
seule force qui maille le pays, faute d'opposition en capacité de le faire,
c'est l'UGTT, la centrale syndique unique. »
Cette
déclaration félicite des membres de l'UGTT qui se sont personnellement déclarés
en solidarité avec les manifestations. Elle dit: «Nombre d'unions locales et régionales soutiennent la
population, mais ne l'organisent pas. »
C'est
un mensonge. Non seulement l'UGTT n'a « pas organisé » les
manifestations, mais elle n'a appelé à aucune grève de soutien. Ils n'ont pas
« soutenu » la population, mais bien plutôt le régime de Ben Ali.
Tandis
qu'il ment et sème la confusion quant au rôle des syndicats, le NPA est tout à
fait conscient du rôle pro-gouvernemental de l'UGTT. En effet, il reconnaît en
passant que le bureau national de l'UGTT a initialement publié une déclaration
dénonçant les manifestations: «Reste à
déplorer l'attitude de la direction confédérale de l'UGTT qui s'est
désolidarisée officiellement de mobilisations organisées par certaines de ses
structures et des slogans hostiles au régime qui y étaient scandés. »
En fait, bien que le NPA ne le reconnaisse pas,
l'UGTT a été un élément du régime de Ben Ali. Elle a publiquement soutenu Ben
Ali lors des deux dernières élections présidentielles et soutenu ses coupes
sociales. Dans une interview accordée au journal tunisien Achourouk avant la
chute de Ben Ali puis affichée à nouveau sur le site de l'UGTT, le secrétaire
de l'UGTT Abdessalem Jerad déclarait: « Le mouvement réformateur conduit par le Président Zine El
Abidine Ben Ali constitue une mutation qualitative dans le processus
d'édification de la Tunisie moderne. »
En
soutenant le programme de réforme de Ben Ali, l'UGTT a soutenu les diktats de
l'élite financière et du FMI qui ont institué « des programmes
d'ajustement structurels » en privatisant la plus grande part de
l'économie et en autorisant un niveau sans précédent de « libre
échange. » Ces mesures ont empêché des milliers de jeunes Tunisiens comme
Bouazizi de trouver du travail, tandis que les élites haut placées de Tunisie
s'enrichissaient.
Jerad
s'est félicité des relations du président avec l'UGTT et dit qu'il était impatient
de travailler avec le gouvernement et a rampé devant Ben Ali: « Notre fierté était encore plus grande que nos programmes rejoignaient
les objectifs définis par le Président Ben Ali. Nous n'avons pas hésité alors à
l'appuyer parce qu'à l'UGTT nous ne prêtons pas allégeance aux personnes, ni
cherchons à leur plaire. Nous soutenons, plutôt, les programmes et les réformes. »
En
promouvant l'UGTT comme une force d'opposition en Tunisie, le NPA démontre son
profond désintérêt et son hostilité envers les revendications sociales de la
classe ouvrière. De plus ce n'est pas un accident mais cela reflète
organiquement les positions du NPA. En France et de par l'Europe, le NPA
insiste pour dire que l'opposition de la classe ouvrière à la politique
d'austérité sociale devrait être subordonnée aux syndicats droitiers déterminés
à négocier les coupes sociales avec les gouvernements bourgeois. Ceci a conduit
à la déclaration tristement célèbre de membres du NPA disant qu'il ne devrait y
avoir qu'une opposition « symbolique » aux actions policières pour
briser la grève dans les raffineries françaises.
Vendredi,
tandis que Ben Ali quittait la Tunisie, le NPA publiait un communiqué disant, « La fuite du dictateur, c'est une grande victoire pour le peuple
tunisien. » Et d'ajouter,
« Le NPA renouvelle tout son
soutien au peuple tunisien, à la révolution démocratique à laquelle il
aspire. »
Le
NPA n'a pas expliqué comment il aiderait la classe ouvrière tunisienne à
effectuer une révolution contre le régime de Ben Ali tout en accordant
publiquement son soutien aux grouillots de Ben Ali. Cette question se pose
avec d'autant plus d'acuité que le nouveau gouvernement d'intérim a été annoncé
à Tunis.
Sa
composition montre clairement que le nouveau gouvernement représente une tentative
par l'ancien gouvernement de se maintenir au pouvoir en incluant quelques
éléments de l'opposition officielle. Huit des ministres de Ben Ali ont gardé
leur poste, dont les postes régaliens du premier ministre Mohammed Ghannouchi,
du ministre des Affaires étrangères Kamel Morjane et du ministre de l'Intérieur
Ahmed Kriaâ. Des personnalités de l' « opposition », ex-staliniens ou
pro-capitalistes, ont ont pris divers ministères de second rang, tel celui du
Développement régional, ou de l'Enseignement supérieur.
C'est
une question d'importance primordiale pour l'impérialisme américain et
européen. L'élite dirigeante de Tunisie travaille avec les puissances
impérialistes pour former un gouvernement qui appliquerait la politique dictée
par le Pentagone, le Quai d'Orsay et le Fonds monétaire international: des
coupes sociales, le soutien à la « guerre contre le terrorisme » des
Etats-Unis et de l'OTAN l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak et
l'oppression incessante du peuple palestinien par l'Etat d'Israël.
Le
jour même de la fuite de Ben Ali, le NPA signait un communiqué commun avec les
partis officiels de la « gauche » bourgeoise française, dont le Parti
socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF), et les Verts. Le
communiqué dit: «Nous exigeons que le gouvernement
français et l'Union européenne cessent leur soutien explicite ou implicite au
régime tunisien et soutiennent une véritable transition démocratique. »
En publiant ce communiqué, le PS et le PC poursuivaient leur longue et sordide
bilan d'architectes des crimes de l'impérialisme français. Parmi ces crimes on
compte le soutien du PC à la poursuite de la guerre contre l'indépendance de
l'Algérie en 1956 du premier ministre socialiste Guy Mollet; La participation
du président socialiste François Mitterrand à la Guerre du Golfe de 1991
conduite par les Etats-Unis contre l'Irak; et la participation du gouvernement
de coalition PS-PC-Verts à l'invasion de l'Afghanistan en 2001.
Marie-George Buffet, ancienne secrétaire du PCF,
a expliqué ce qui a motivé ce communiqué commun dans une interview accordée au
quotidien stalinien L'Humanité. Elle a fait remarquer le soutien de
longue date accordé par le gouvernement français au régime de Ben Ali mais a
dit, après que des protestations de masse ont profondémentébranlé le
régime de Ben Ali, que le moment était venu pour un changement de cap.
Faisant
remarquer le levier commercial que les gouvernements français et européens ont
sur la Tunisie, elle a dit: «On a les moyens de faire
pression sur le pouvoir tunisien. Il existe un accord privilégié entre l'UE et
la Tunisie, soumis à des conditions. »
Ce
levier a, il ne fait aucun doute, été activement utilisé pour essayer de donner
à la dictature tunisienne un nouveau souffle en remaniant vaguement le personnel
à sa direction. Le NPA n'a rien fait d'autre que de contribuer à donner une
coloration un peu plus de « gauche » à ces machinations impérialistes
anti-ouvrières.