WSWS :
Nouvelles et
analyses :
Afrique et
Moyen-OrientLe conflit social au Maghreb a des
implications internationales
Par Ann Talbot
15 janvier 2011
Imprimez cet article
|
Ecrivez à
l'auteur |
PDF
Les manifestations qui se poursuivent en Tunisie et en Algérie menacent
de se propager dans tout le Maghreb et, au-delà, d'englober le Moyen-Orient,
où existent les mêmes conditions de pauvreté et d'insécurité.
Les prix de l'alimentation en augmentation exacerbent chaque jour un peu
plus les tensions sociales dues à l'inégalité croissante et au chômage de
masse, en particulier parmi les jeunes. La crise financière mondiale a mis
le feu aux poudres en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Cela a entraîné un malaise croissant dans l'élite dirigeante
internationale. S'exprimant à Doha, la secrétaire d'Etat américaine Hillary
Clinton a déclaré à l'assistance constituée de représentants des
gouvernements et d'hommes d'affaires, « Dans bien trop d'endroits, et de
bien trop de manières, les fondations de la région s'enfoncent dans le
sable. »
Elle les a prévenus que les populations de la région étaient « fatiguées
des institutions corrompues et d'un ordre politique qui stagne. »
Cherchant à calmer la colère populaire, en Tunisie, le Président Zein al-Abidine
Ben Ali, proche allié des États-Unis, est apparu à la télévision jeudi et a
promis de quitter ses fonctions à la fin de son mandat actuel en 2014. Il
avait auparavant renvoyé son ministre de l'intérieur, libéré une partie des
personnes arrêtées au cours des manifestations récentes et promis de créer
300 000 nouveaux emplois. Le gouvernement algérien a réduit le prix de
l'huile et du sucre de 41 pour cent, à la suite des émeutes provoquées par
le retrait des subventions accordées par l'Etat pour les produits
alimentaires de base.
Alors même qu'il n'y a eu aucune manifestation en Lybie, les taxes ont
été réduites sur les produits à base de blé, le riz, l'huile végétale, le
sucre et le lait pour bébés. Le Maroc a introduit des aides pour la farine.
La Jordanie a réduit les taxes sur le carburant et sur certains produits
alimentaires.
Les États-Unis et l'Union européenne ont tous deux fait pression sur la
Tunisie quand ils ont appris que la police était débordée par les
manifestants dans la capitale, Tunis. Les ministres français se sont
abstenus de critiquer publiquement la répression violente de Ben Ali contre
les manifestations, qui a laissé un grand nombre de morts dans de nombreuses
villes. Ce n'est qu'après la mort d'un citoyen français que Paris a exprimé
des inquiétudes sur l'usage d'une violence « disproportionnée. »
Pour la France, avec son importante population d'origine Nord-africaine,
les manifestations en Tunisie et en Algérie ont des implications internes
immédiates. On estime qu'il y a trois millions de Nord-Africains vivants en
France. Le gouvernement est évidemment inquiet d'une possible répétition des
troubles sociaux qui avaient affecté les banlieues de Paris et d'autres
villes françaises en 2005. Un état d'urgence avait alors été imposé et le
Président Nicolas Sarkozy, ex-ministre de l'Intérieur, avait ordonné des
préparatifs pour la détention de jeunes en masse.
La pire crainte de l'élite politique est peut-être que l'explosion
sociale en Tunisie et en Algérie puisse déclencher des manifestations
similaires en Égypte – le géant de la région. Sa population de 77 millions
d'habitants est plus du double de celle des autres pays d'Afrique du Nord et
elle est bien plus pauvre que l'Algérie ou la Tunisie. 44 pour cent de la
population y vivent avec moins de 2 dollars par jour et le libéralisme
économique y a creusé le fossé entre riches et pauvres. L'année dernière il
y a eu des manifestations politiques importantes contre l'état d'urgence qui
perdure.
Les concessions qui ont été faites sont peu de choses. Alors même que Ben
Ali promettait de libérer des prisonniers, le dirigeant du Parti communiste
des ouvriers de Tunisie, Hamma Hammami, était capturé chez lui. Personne ne
devrait jamais faire confiance à ces régimes corrompus, qui maintiennent
toujours leur pouvoir par des méthodes d'Etat policier. Il faut au contraire
tout faire pour que les manifestations se répandent dans les autres pays. Il
n'y a aucune raison de les confiner à l'intérieur de frontières qui furent
créées de façon arbitraire par le colonialisme.
L'explosion sociale en Tunisie et en Algérie et la réaction meurtrière de
ces deux gouvernements démontre une fois de plus l'incapacité de la
bourgeoisie nationale à se libérer réellement de l'impérialisme, ou même à
commencer à répondre aux aspirations démocratiques et sociales des
travailleurs et des paysans. Au contraire, la Tunisie est restée étroitement
liée à la France, son ancien maître colonial, et est dirigée comme un fief
autour de la « première famille. » L'Algérie, qui a gagné son indépendance
par une lutte de libération âpre, menée par le Front de libération nationale
(FLN), s'est finalement retrouvée avec un régime tout aussi répressif et
exploiteur. Le président Abdelaziz Bouteflika peut toujours invoquer les
souvenirs des luttes passées, mais il ne le fait que pour légitimer le
monopole de la bourgeoisie sur les richesses en pétrole et gaz naturel du
pays pendant que le peuple meurt de faim.
Les syndicats ont tenté d'établir leur contrôle sur les manifestations
mais uniquement pour les désamorcer. Le secrétaire général de l'Union
générale tunisienne du travail (UGTT), Abdessalem Jerad, avait fait campagne
pour Ben Ali lors de la précédente élection présidentielle et affirmait que
ce dictateur, qui interdisait aux autres candidats de se présenter, allait
appliquer un programme de réformes bénéfiques. « Le mouvement de réforme
mené par le président Zine El Abidine Ben Ali est un changement qualitatif
dans le processus de construction d'une Tunisie moderne, » disait-il à
l'époque.
Ben Ali allait garantir « une atmosphère de liberté et de stabilité, »
promettait Jerad. Il avait accueilli favorablement la réhabilitation des
syndicats et espérait collaborer avec le gouvernement.
Deux ans plus tard, Ben Ali et sa famille continuent toujours à piller
l'Etat et le chômage grimpe. L'UGTT ne représente aucune alternative au
régime présent, Il fait partie intégrante de ce régime.
On peut dire la même chose des partis qui se sont présenté eux-mêmes
comme des alternatives de gauche. Le Parti communiste des ouvriers de
Tunisie a appelé à « la formation d'un gouvernement national d'intérim » qui
« établirait les fondations d'une nouvelle République vraiment démocratique
qui garantisse la souveraineté du peuple, le liberté, la démocratie et le
respect des droits de l'homme aussi bien que l'égalité, la dignité, et
l'application d'une politique sociale et économique qui fournisse des
emplois et les bases d'une vie décente pour nos fils et nos filles et
élimine la corruption, le népotisme et la discrimination régionale. »
Mais comment cet « agenda démocratique » peut-il être mis en place quand
la police et l'armée sont dans les rues ? Et sur quelle base cette liste de
voeux pourra-t-elle se réaliser, et une démocratie authentique ainsi que
l'égalité être établies, si on ne se penche pas sur la question fondamentale
de savoir quelle classe sociale doit gouverner?
Les travailleurs et les jeunes qui luttent contre la police dans les rues
d'Algérie et de Tunisie sont engagés dans un combat à mort contre des Etats
qui représentent les intérêts de l'élite locale et de l'aristocratie
financière mondiale. Cette lutte ne peut pas se terminer simplement en
mélangeant les cartes et en créant une sorte de gouvernement d'unité
nationale qui continuerait à obéir à Washington, Paris et Londres. Les seuls
gouvernements qui peuvent représenter authentiquement les intérêts de la
grande masse de la population sont des gouvernements ouvriers, qui doivent
se construire au cours de la lutte pour le renversement de tous les régimes
dictatoriaux du Maghreb.
Pour atteindre ce résultat, il est nécessaire de former des organisations
qui soient indépendantes des syndicats et des partis pseudo-gauchistes
existants. Ce qu'il faut ce sont des comités d'action qui uniront les
travailleurs, les jeunes, les chômeurs et les pauvres des campagnes dans une
lutte commune contre l'élite politique et l'aristocratie financière. Ces
comités doivent tendre la main aux travailleurs français et européens, tout
en étendant la lutte commencée au Maghreb au reste de l'Afrique du Nord et
du Moyen-Orient.
L'explosion sociale en Tunisie et en Algérie n'est que l'expression de
tensions de classe qui s'approfondissent de par le monde dans le sillage de
la plus grande crise financière que le capitalisme ait connue. Le
prolétariat international a une puissance sociale immense. C'est la seule
force qui puisse mettre fin au système capitaliste, qui est incapable de
répondre aux besoins les plus élémentaires de la majorité de la population
de la planète.
La question critique est de construire des partis révolutionnaires fondés
sur la perspective de la Révolution Permanente--l'indépendance politique de
la classe ouvrière pour diriger les masses opprimées dans la lutte pour le
pouvoir politique et le socialisme contre l'impérialisme et la bourgeoisie
locale. C'est la perspective historiquement soutenue par le mouvement
trotskyste contre le stalinisme, le réformisme, et le nationalisme
bourgeois. Elle n'est avancée aujourd'hui que par le Comité international de
la Quatrième Internationale.
Nous demandons à tous les travailleurs et à tous ceux qui voient le besoin
d'une réponse socialiste à la tyrannie, à la pauvreté, et à l'inégalité
sociale de se joindre à la lutte pour construire des sections du CIQI en
Tunisie et à travers le Maghreb et le Moyen Orient.
(Article original paru le 14 janvier 2011)