Les Etats-Unis poursuivent une politique « à deux voies » pour réprimer
les protestations en Egypte et en Tunisie
Une scène de rue au Caire [Photos: May Kamel]
Les Etats-Unis déploient une intense activité dans le but de réprimer les
protestations de masse à la fois en Tunisie et en Egypte, soutenant les
élites dirigeantes locales qui sont totalement subordonnées à l’impérialisme
américain. Dans ces deux pays, ils recourent à différentes tactiques dictées
en grande partie par leur importance stratégique relative à l’égard des
intérêts de la classe dirigeante américaine au Moyen-Orient.
En Tunisie, Washington avait soutenu son allié de longue date, Zine El
Abidine Ben Ali jusqu’au moment où il avait conclu que la position de
celui-ci ne pouvait plus être sauvée en dépit de la violente répression
contre les manifestations antigouvernementales durant des semaines. A peine
quelques jours avant que Ben Ali ait été forcé de fuir le pays, la
secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, avait dit : « Nous ne prenons
pas parti » entre le dictateur et les travailleurs et les jeunes qui
manifestent.
Il a été rapporté de toutes parts que les Etats-Unis avaient ordonné à
l’armée tunisienne de refuser les ordres de Ben Ali de tirer à balles
réelles dans les manifestations de masse à Tunis et dans d’autres villes,
coupant de ce fait l’herbe sous le pied de Ben Ali et faisant du général
Rachid Ammar l’arbitre politique du pays.
Les Etats-Unis ont sans aucun doute manigancé la formation du soi-disant
gouvernement d’union après la fuite, le 14 janvier, de Ben Ali vers l’Arabie
saoudite. Ce gouvernement qui est totalement dominé par les partisans
politiques du dictateur déchu a été depuis la cible des manifestations
populaires exigeant un gouvernement exempt d’anciens membres du parti
dirigeant.
Le gouvernement Obama a envoyé à Tunis son secrétaire d’Etat adjoint aux
Affaires du Proche Orient, Jeffrey D. Feltman, pour « s’entretenir avec le
gouvernement intérimaire. » Avec la promesse de tenir des élections dans six
mois, Washington soutient dans l’essentiel l’ancien régime sans Ben Ali et
qualifie cette fraude cynique de « démocratie. »
Le gouvernement américain dépeint le général Ammar comme le
« protecteur » de la « révolution démocratique ». Il le fait même au moment
où le gouvernement intérimaire approuve une répression policière accrue
contre des protestations de plus en plus dominées par les travailleurs
appauvris et les jeunes de Tunis et des régions durement affectées du centre
et du Sud du pays d’où était partie la révolte en décembre.
Al Jazeera a rapporté mercredi que la police anti-émeute avait fait usage
de gaz lacrymogène à Tunis pour disperser les manifestants qui campaient
dans le centre de la ville et défiaient le couvre-feu de 20 heures. Ceux-ci
exigent le limogeage du premier ministre Mohamed Ghannouchi et des autres
acolytes de Ben Ali. Selon la presse, de nombreux manifestants furent
blessés.
En début de semaine, l’armée avait utilisé des gaz lacrymogènes contre
les manifestants anti gouvernement pour la première fois depuis l’éviction
de Ben Ali.
Les protestations se poursuivent malgré tout, à Tunis et ailleurs. Al
Arabiya a rapporté mercredi que plusieurs milliers de personnes avaient
manifesté à Sfax, ville de l’Est de la Tunisie. Mardi, des professeurs
d’université avaient rejoint les enseignants dans une grève nationale.
Les événements importants survenus mardi en Egypte ont compliqué les
efforts de Washington de contenir le soulèvement d’opposition populaire en
Tunisie et dans d’autres pays arabes, dont l’Algérie, le Yémen et la
Jordanie. Approximativement 50.000 personnes, en majorité des jeunes
travailleurs sans emploi et des étudiants, ont défié la dictature policière
du président Hosni Moubarak, régulièrement décrit comme un « ferme allié des
Etats-Unis », pour exiger sa démission et la levée de l’état d’urgence.
C’était le plus grand mouvement populaire en Egypte depuis que les
émeutes de la faim qui avaient secoué le pays en 1977, quatre ans avant que
l’armée n’installe Moubarak comme président. En plein milieu de cette
répression policière sauvage de la part du régime égyptien – au moyen de gaz
lacrymogène, de balles de caoutchouc, de grenades de choc et de matraques –
la secrétaire d’Etat américaine Clinton a déclaré mardi après-midi que son
gouvernement soutenait Moubarak.
Au moment où au Département d’Etat Clinton disait aux journalistes:
« Notre jugement est que le gouvernement égyptien est stable et recherche
les moyens de répondre aux besoins et aux intérêts légitimes du peuple
égyptien », le fait que deux manifestants avaient été tués par la police à
Suez et que d’innombrables interpellations avaient eu lieu était déjà connu.
C’était là un signal sans équivoque que les Etats-Unis fixaient une
limite au mouvement en Egypte et qu’ils ne retireraient pas leur soutien à
Moubarak. Ceci équivaut à un feu vert donné au régime pour appliquer, à
n’importe quel degré, la force requise pour écraser ce soulèvement
populaire.
Il n’aura pas fallu attendre longtemps. Aux premières heures de mercredi,
la police anti émeute a violemment dispersé plusieurs milliers de
manifestants qui campaient sur la place Tahrir, dans le centre du Caire. Des
policiers en civil y ont battu des manifestants et des reporters ont été
attaqués et emprisonnés.
Ceci fut suivi par un décret gouvernemental interdisant toute autre
manifestation et menaçant toute personne manifestant d’arrestation
immédiate. Plus tard dans la journée de mercredi, la police a fait usage de
balles de caoutchouc et de matraques pour disperser 2.000 manifestants à
Suez. Quelques 350 personnes auraient été blessées.
Dans le centre du Caire, des dizaines de personnes se sont rassemblées
pour protester et des journalistes égyptiens ont manifesté devant le
bâtiment de leur syndicat.
Al Jazeera a fait état d’une manifestation à Assuit dans le Nord de
l’Egypte et de l’annonce par les Frères musulmans qu’au moins 121 de leurs
membres étaient détenus dans cette ville.
On estime aussi qu’un troisième manifestant a été tué par la police. Le
gouvernement égyptien a confirmé mercredi que 860 personnes avaient été
arrêtées depuis mardi.
C’était là le contexte dans lequel on demanda mercredi au porte-parole du
président Obama si les Etats-Unis soutenaient Moubarak. Selon l’agence de
presse française AFP, Gibbs a répondu par l’affirmative, disant que l’Egypte
demeurait un allié proche et important.
Le soutien public du gouvernement américain à Moubarak a exposé au grand
jour combien la déclaration faite mardi par le président Obama dans son
discours sur l’état de l’union était creuse et hypocrite : « Ce soir,
que ce soit clair : les Etats-Unis d’Amérique sont solidaires des Tunisiens
et soutiennent les aspirations démocratiques de tous les peuples. »
L’impérialisme américain estime que les enjeux sont trop importants en
Egypte pour permettre l’éviction de Moubarak d’une manière identique à celle
de Ben Ali en Tunisie. L’Egypte, le plus peuplé et politiquement le plus
important des Etats arabes et le bénéficiaire de dizaines de milliards de
dollars d’aide militaire américaine, est le principal rempart de la
domination impérialiste dans le monde arabe.
Comme l’a noté un rapport réalisé en 2009 par la Brookings Institution :
« L’Egypte est l’allié arabe le plus proche des Etats-Unis, constitue un
soutien stratégique clé pour les opérations militaires américaines au Moyen
Orient et est un acteur crucial dans l’effort de paix israélo-arabe. »
Mercredi, dans un article paru à la une, le New York Times expliquait
avec une franchise cynique quelles étaient les différentes tactiques opérées
en Tunisie et en Egypte. Washington « procède avec précaution, » avait-il
écrit, « en jonglant avec les aspirations démocratiques des jeunes Arabes et
des intérêts commerciaux et stratégiques impitoyables. Ceci implique parfois
le soutien de gouvernements autocratiques et impopulaires – ce qui a dressé
beaucoup de ces jeunes gens contre les Etats-Unis.
« Le président Obama a appelé M. Moubarak la semaine passée après le
soulèvement en Tunisie pour discuter de projets communs tel le processus de
paix au Moyen Orient tout en soulignant le besoin de satisfaire les
aspirations démocratiques des manifestants tunisiens…
« Un soulèvement en Tunisie, un acteur périphérique de la région, n’est
pas la même chose qu’un soulèvement en Egypte, une clé de voûte. Le
gouvernement égyptien est un allié crucial de Washington… »
L’extension du mouvement en Afrique du Nord et au Moyen Orient est une
manifestation puissante de l’entrée des masses dans la lutte révolutionnaire
et du pouvoir social de la classe ouvrière. Cependant, le mouvement est
confronté à de grands dangers de la part de l’impérialisme et de l’ensemble
des factions de la bourgeoisie nationale, ainsi que des forces politiques
qui cherchent à subordonner la classe ouvrière à la soi-disant bourgeoisie
« démocratique. »
La classe ouvrière du Moyen Orient doit reconnaître le gouvernement Obama
et l’impérialisme américain comme ses ennemis les plus déterminés tout en
comprenant que la classe ouvrière américaine – elle-même confrontée à des
attaques contre son niveau de vie et ses droits démocratiques – est sa plus
grande alliée. Les travailleurs américains doivent prendre la défense de
leurs frères arabes et les masses arabes devraient lancer un appel direct à
la classe ouvrière américaine.
La question cruciale est le développement d’une direction révolutionnaire
partout dans le monde arabe afin d’établir l’indépendance politique de la
classe ouvrière et de rassembler tous les opprimés sur la base de la
perspective socialiste de la révolution permanente. Ceci signifie la
construction de partis trotskystes du Comité International de la Quatrième
Internationale pour unifier les masses dans la lutte pour une Fédération
socialiste du Moyen Orient.
(Article original paru le 27 janvier 2011)