Dans un geste inspiré des manifestants égyptiens
de la place Tahrir au Caire, des dizaines de travailleurs et de jeunes ont
campé au siège de la législature d'État durant la nuit de mardi à mercredi.
Ils ont juré de maintenir l'occupation jusqu'à ce que le projet de loi de
Walker soit défait.
On croit que les manifestations vont se poursuivre
jeudi et vendredi. Les écoles à travers l'État se préparent à des absences
de professeurs et à des grèves étudiantes. Une importante grève des
étudiants et des diplômés de l'Université du Wisconsin-Madison est prévue
pour jeudi.
Un étudiant qui tient une
pancarte disant: "Ne renoncez pas à mon
avenir!"
Le
plan de Walker, qui pourrait être adopté, sous une forme ou une autre, d'ici
le week-end, est un assaut considérable sur les travailleurs. Parmi une
foule de propositions, le projet de loi empêcherait entre autres les
travailleurs de négocier les retraites, les régimes de santé ou les
conditions de travail. Seuls les salaires pourraient être négociés, mais les
augmentations auraient pour limite supérieure la hausse annuelle de l'indice
des prix à la consommation. Les salariés du secteur public seraient forcés
de presque doubler leurs contributions aux régimes de retraite et de santé.
Au-delà de ces mesures radicales, Walker a rendu
les travailleurs furieux par la façon antidémocratique qu'il les a exigées.
Le 11 février, il a annoncé qu'il avait placé la Garde nationale sur un pied
d'alerte pour faire face à toute résistance ouvrière.
La dernière fois que la Garde nationale avait été
déployée au Wisconsin pour mater un groupe de travailleurs en grève a été le
1er mai 1886, lors du mouvement pour la journée de huit heures. Dans les
jours qui avaient suivi la révolte de Haymarket à Chicago, la milice d'État
avait ouvert le feu sur des métallurgistes en grève à Milwaukee, faisant
sept morts.
Par ce projet de loi, le gouvernement de Walker
s'arroge des pouvoirs dictatoriaux qui rappellent les abus de pouvoir
exécutifs endémiques des gouverneurs du 19e siècle. D'après un communiqué de
presse émis par le bureau de Walker, « si le gouverneur déclare l'état
d'urgence, le projet de loi permet de nommer des responsables prêts à
licencier tout employé qui serait absent durant trois jours sans la
permission de son employeur ou de tout employé qui participerait à une
action organisée dans le but de stopper ou ralentir le travail ».
Un des éléments les plus frappants des
manifestations à Madison est le soutien qu’elles ont obtenu de la jeunesse.
En plus de la grève de mercredi à Appleton, plus de 800 étudiants de Madison
East High School, soit plus de 50 pour cent de l’école, ont organisé un
débrayage et ont marché plus de 4 km jusqu’au State Capitol mardi. Une seule
lycéenne, Ona Powell, aurait organisé la grève par l’entremise d'une page
Facebook et par le bouche-à-oreille. Lundi, les étudiants ont fait la grève
à Stoughton, une ville industrielle près de Madison.
Des étudiants du premier cycle et des étudiants
diplômés de l’Université du Wisconsin-Madison, ont été très en vue dans ces
manifestations, et des étudiants des campus de l’Université du Wisconsin à
Milwaukee et Superior se sont aussi joints aux protestations
Mardi, Walker a tenté de faire campagne pour son
projet de loi dans les villes de La Crosse et d'Eau Claire dans l’ouest du
Wisconsin. Dans chacune des villes, il a été accueilli par des centaines de
manifestants. À Eau Claire, son véhicule a dû modifier son trajet pour
entrer dans une usine, en utilisant l'entrée arrière.
Walker tente consciemment d'opposer les
travailleurs du secteur privé à leurs frères et sœurs de classe du secteur
public. À La Crosse, il a dit aux métallurgistes que les travailleurs
industriels avaient fait d’énormes « sacrifices », donc les travailleurs de
l’État devraient faire de même. « Ce que je demande n'est rien en
comparaison à tout ce que les autres font dans le secteur privé », a-t-il
dit. « Nous croyons que ce sont des changements modestes et raisonnables. Je
crois que la plupart des employés hors du gouvernement diraient que c’est
une très bonne affaire ».
Toutefois, ces tentatives n’ont pas eu de succès.
De l'avis général, de nombreux travailleurs du secteur privé ont participé
aux importantes démonstrations à Madison.
Les syndicats de la fonction publique qui ont
organisé les protestations, dont les branches de l’American Federation of
Teachers (AFT), de la National Education Association (NEA) et l’American
Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME) du Wisconsin,
ont présenté leur campagne comme un effort de lobbying visant à influencer
une poignée de sénateurs républicains afin qu’ils votent contre des éléments
du projet de loi de Walker.
Les syndicats ne souhaitent défendre ni les
conditions de vie de la classe ouvrière, ni le droit de grève, comme trop
bien démontré par la NEA et l’AFT, lesquelles ont chacune appuyé l’assaut de
l’administration Obama sur l’éducation publique et les normes du travail
connu sous le nom de Race to the Top. Tous les syndicats de la fonction
publique ont respecté les lois réactionnaires interdisant aux travailleurs
de l’État de faire grève.
Au Wisconsin, les syndicats sont d’abord motivés
par une mesure dans le projet de loi qui interdirait les cotisations
syndicales automatiques, ce qui menacerait d’éliminer des millions de
dollars de leurs revenus. Les syndicats acheminent cet argent au même Parti
démocrate qui, dans de nombreux États aussi bien qu’un niveau national sous
l’administration Obama, est le fer de lance des attaques contre les salaires
et les emplois des travailleurs du secteur public. La seule différence est
que les démocrates « collaborent » avec les responsables syndicaux pour
implanter les coupures, alors que les républicains préfèrent ne pas négocier
avec les bureaucraties syndicales.
Les demandes sociales qui animent les manifestants
à Madison et à travers le Wisconsin sont complètement opposées à la ligne
pro-austérité soutenue par les syndicats. Les protestataires voient leur
combat comme une lutte contre les baisses de salaires, les attaques
antidémocratiques sur les droits des travailleurs et les abus et les
humiliations d’un système politique qui rabaisse constamment leur travail.
En fait, de nombreuses pancartes et plusieurs commentaires faits lors
d’entrevues montrent clairement que les travailleurs et les jeunes au
Wisconsin s’identifient au soulèvement des travailleurs et des jeunes arabes
contre les tyrans appuyés par les États-Unis au Moyen-Orient.
Christine Hendricks and Melinda
Foster
« Le
gouvernement veut que seuls les riches s'enrichissent, en oubliant la classe
ouvrière et la classe moyenne », a dit Melinda Foster, une technicienne en
radiologie à l'hôpital de l'Université du Wisconsin, au World Socialist
Web Site. « Pourquoi ne peut-on pas couper le salaire des milliardaires
et des cadres? »
Sally, une enseignante, a dit que les coupes
budgétaires rendraient le paiement des factures beaucoup plus ardu.
« L'hiver dernier a été vraiment difficile pour moi », a-t-elle dit. « J'ai
dû finalement emprunter de l'argent juste pour payer mon impôt foncier. J'ai
un autre emploi en plus d'être professeur. Au moins, je n'ai pas d'enfant à
l'université. Nous n'avons pas des boulots de rêve; plusieurs parmi nous
vivent d'un chèque de paye à l'autre en essayant de joindre les deux
bouts. »
Edson, un professeur auxiliaire de l'Université du
Wisconsin-Madison, a comparé les développements au renversement de
dictateurs au Moyen-Orient. « Quand le gouvernement arrête de nous écouter,
ça fait comme en Égypte », a-t-il dit.
En voulant défendre leurs emplois, leurs salaires
et leurs droits et en luttant pour une plus grande solidarité avec les
autres travailleurs – dans différents syndicats, différents États et même
différentes nations – les travailleurs et les jeunes sont amenés
inévitablement à entrer en conflit avec les syndicats et le système
bipartite contrôlé par la grande entreprise. Mais ces sentiments doivent
trouver expression dans des formes indépendantes de luttes et ultimement une
expression politique consciente dans la lutte pour le socialisme.
Les manifestations au Wisconsin ont mis à mal le
mythe du travailleur américain passif et arriéré. La prochaine étape de
cette lutte est que de plus larges sections de la classe ouvrière suivent
l'initiative au Wisconsin et entrent en lutte contre les baisses de salaires
et les abus de pouvoir antidémocratiques.
(Article original paru le 17 février 2011)