L'administration Obama fait face à un mouvement
révolutionnaire qui s'intensifie en Égypte. Ses tactiques découleront de deux
objectifs stratégiques primordiaux inséparables : la défense de l'État
capitaliste égyptien et le maintien de ce pays en tant que pilier des
opérations impérialistes américaines dans la Méditerranée, en Afrique du Nord
et à travers le Moyen-Orient. La classe ouvrière en Égypte et ses alliés parmi
les masses insurgées ne peuvent se permettre d'entretenir la moindre illusion
sur les intentions et les plans du président Obama. Le président et ses
conseillers du Pentagone et de la CIA sont fermement décidés à réprimer,
désamorcer et finalement écraser le mouvement révolutionnaire.
Les événements de la dernière semaine ont pris
l'administration par surprise. Celle-ci n'avait pas prévu la révolte de masse
contre l'atout de longue date de Washington, Moubarak. Pendant même que des
dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes bravaient la violence
policière mardi dernier, la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton se
portait garante de la stabilité du régime.
Les États-Unis sont fortement impliqués - politiquement,
économiquement et militairement - dans le régime Moubarak. Leur réticence à se
débarrasser sommairement du dictateur n'est pas une expression de
sentimentalité. Les États-Unis craignent plutôt qu'abandonner Moubarak trop
rapidement minerait la confiance d'autres dictateurs à la solde de la CIA
envers la fiabilité de Washington. Toutefois, en dernière analyse, le sort de
Moubarak n'est qu'une question d'ordre secondaire. La survie de l'armée et des
services de sécurité de l'Égypte, desquels dépend l'ordre capitaliste, est ce
qui inquiète incomparablement plus Washington.
À ce point-ci, l'administration Obama est préoccupée par
le fait qu'une tentative visant à utiliser l'armée pour réprimer plus
sévèrement les manifestations pourrait mener à l'effondrement de cette
dernière. Il n'est pas certain que l'on puisse se fier sur les soldats pour
faire feu sur les citoyens dans les rues du Caire, d'Alexandrie, de Port-Saïd
et d'autres villes, et cela pourrait être la seule façon de sauver Moubarak.
Les décideurs politiques américains sont tourmentés par le
précédent de la révolution iranienne de 1979. Washington n'avait pas préparé
d'alternative politique au Shah et l'armée iranienne avait craqué sous la
pression de la révolution. Le résultat fut la perte d'un État satellite crucial
dans le Golfe Persique.
La politique qui est développée présentement à Washington
a, à court terme, deux objectifs : consolider l'armée et les services de
renseignement égyptiens - d'où la nomination à la vice-présidence d'Omar
Souleiman, chef des services de renseignement et ancien général - et préparer
une alternative politique à Moubarak si sa déposition devenait nécessaire. Tout
remplaçant sanctionné par Washington ne serait cependant rien de plus qu'un
pantin présentant une façade pseudodémocratique pour un nouveau régime
militaire.
Mohamed ElBaradei, qui est mis en avant par les médias
américains, est un candidat pour le poste. Représentant digne de confiance de
la bourgeoisie égyptienne, ElBaradei a quitté sa résidence de Vienne la semaine
dernière pour se rendre en Égypte dans le but explicite d'empêcher un
renversement révolutionnaire et sauver le régime bourgeois.
Les Frèresmusulmans, pour leurpart, ont acceptéd'appuyerElBaradei alors qu'ils recherchent eux
aussi le patronagedeWashington.
Dans unesérie d'entrevues télévisées
dimanche, la secrétaire d'État américaineHillaryClintona
clairement indiquélesgrandes
lignesde lastratégiecontre-révolutionnaireen cours d'élaborationpar laMaison-Blanche. Elle a évité dedemander la démissiondu président Moubarak, mais a aussi refusé des'engager à cautionner la continuation
de son règne.
En conformité aux appelscyniquesde l'administration Obamapour la
réformedémocratiqueen Égypte, Clintona fait
ladéclarationridicule :
« Nous continuons d'exhorterle gouvernementégyptien, comme le font les États-Unisdepuis 30 ans, àrépondre
auxaspirationslégitimesdupeupleégyptienet à commencerà agir concrètementpourmettre en ouvre des réformes démocratiques etéconomiques. »
[C'est nous qui soulignons].
Enquoi a consisté cettecroisadede 30ans pourla réformedémocratiqueenÉgypte? Fournir35milliards de dollars enaide, majoritairement militaire, à
Moubarak etle célébrer commeun alliéfidèledans laguerrecontrel'Irak, ladéfensed'Israëlet la« guerrecontre le terrorisme ». Nonseulementles États-Unisont comploté dans l'assassinat etla tortured'adversaires politiques du régime,
ils ont aussiutiliséles services de renseignementde Moubarak etla policecomme des tortionnaires à leur
solde pour les politiques d'enlèvementet de
« restitution » de présumés terroristes de Washington.
Clintona ajouté : « Et nous
devons faireladistinction,
commeils[l'armée
égyptienne] tentent de la faire, entreles
manifestantspacifiques, dont les
aspirationsdoivent êtreconsidérées,
etpuisceuxquiprofitentde
cette situationpour pilleret
prendre part àd'autres activités criminelles ».
Washingtonest conscientquepeu importe le gouvernement qu'il
soutient, lacrisepolitique en Égypte ne sera pas réglée.
Ilest impossible pour unrégimecapitalistede
satisfaireuneseuledesrevendicationssocialesoupolitiquesdes
masses - des emplois, la fin dela pauvreté danslesvilles et lescampagnes, etl'abolition des
services de policerépressifs. De
même, unrégimebourgeois
ne mettra pas fin à l'alliancede l'ÉgypteavecIsraël,
qui aétéune
composante essentielle durôlestratégiquedupaysdans leMoyen-Orient depuislevoyageduprésidentAnouarel-Sadate,
le prédécesseur de Moubarak, à Jérusalem
en1977. Labourgeoisieégyptiennecorrompueest bien tropun
prolongement naturelde l'impérialisme américainpourmener à biende
telles politiques.
La stratégie de l'administration Obama est par conséquent
de préparer l'armée, derrière la façade d'une fausse « réforme » du
gouvernement, pour une future répression brutale de la classe ouvrière. On peut
être certain que, dans les coulisses, le Pentagone fait l'inventaire détaillé
de tous les régiments, brigades et sections de l'armée égyptienne pour
déterminer sur quelles forces ils peuvent compter.
La question centrale confrontant la révolution est celle
de la direction politique. La classe dirigeante américaine est très au courant
de ce fait. Dans une entrevue publiée samedi, Jon B. Alterman du Center for
Strategic and International Studies de Washington, a dit : « Comme en
Tunisie, les manifestations semblent représenter un mouvement largement sans
leader, dépourvu de programme clair et n'ayons aucune façon de prendre le
pouvoir. »
C'est ce vide politique que l'impérialisme américain et
ses agents parmi la classe dirigeante égyptienne cherchent à exploiter.
La classe ouvrière égyptienne gagne en confiance et en
expérience. À travers le pays, de nouvelles formes de représentation populaire,
indépendantes de l'État existant et hostiles à lui, commencent à émerger. Mais
le développement des forces révolutionnaires requiert une stratégie politique
claire, basée sur une compréhension du contexte historique et international et
de la dynamique de classe du mouvement révolutionnaire qui se déroule en Égypte
et à travers le Moyen-Orient.
À ce moment critique, le Comité international de la
Quatrième Internationale lance cet appel sincère à la classe ouvrière
égyptienne et à ses alliés parmi les étudiants, les jeunes et les gens pauvres
des campagnes : les principes de la révolution permanente de Léon Trotsky,
vérifiés par les expériences historiques du vingtième siècle, sont profondément
pertinents pour la lutte qui se déroule maintenant. La victoire de la
révolution et votre désir d'obtenir des droits démocratiques et l'égalité
peuvent seulement être accomplis sur la base d'un programme socialiste et dans
la lutte pour le pouvoir. On ne peut placer aucune confiance dans l'un ou
l'autre des représentants politiques de la classe capitaliste et de ses
institutions. Ne cherchez pas vos alliés parmi les représentants
pseudodémocratiques et corrompus de la bourgeoisie nationale, mais plutôt parmi
la classe ouvrière à travers le monde. Tandis que les travailleurs sur tous les
continents font face à des attaques toujours plus brutales sur leurs conditions
de vie et leurs droits démocratiques, ils puisent une inspiration nouvelle des
luttes révolutionnaires qui ont commencé en Afrique du Nord.