Obama soutient la tentative de Moubarak de garder le pouvoir
Par Peter Symonds
4 février 2011
En Egypte chacun a choisi son camp. D’un côté, il y a les protestations
énormes au Caire et dans d’autres villes évaluées à plus d’un million de
personnes et exigeant le départ immédiat du président égyptien Hosni
Moubarak et de son régime. De l’autre, Moubarak a fait un pied de nez aux
manifestants en annonçant son intention de rester jusqu’à la fin de son
mandat c'est à dire en septembre, date des élection présidentielles.
Peu après le discours de Moubarak, le président américain Barack Obama a
soutenu le projet de son allié égyptien de s’accrocher au pouvoir jusqu’en
septembre. Dans une courte allocution à la Maison Blanche, Obama, qui venait
de s’entretenir avec Moubarak pendant 30 minutes a réitéré le
« partenariat » de longue date entre les Etats-Unis et l’Egypte, a parlé du
besoin d’une « transition » immédiate et bien ordonnée vers des réformes
démocratiques et refusé catégoriquement de soutenir la revendication
populaire du départ de Moubarak.
L’objectif d’Obama est bien clair: garder Moubarak au pouvoir aussi
longtemps que possible tout en fabriquant un régime qui soutienne dans la
région l’ordre bourgeois et maintienne les intérêts stratégiques et
économiques de l'impérialisme américain. Ceci signifie inévitablement
compter sur l’armée pour réprimer l’opposition populaire.
La détermination d’Obama de soutenir Moubarak révèle au grand jour la
parfaite hypocrisie de ses déclarations de soutien à la « démocratie » et
aux droits du peuple égyptien. Washington a compté sur le dictateur égyptien
en tant que pierre angulaire de la politique américaine partout au Moyen
Orient au cours de ces trois dernières décennies, approuvant tacitement la
répression exercée par son régime et même le recours à ses tortionnaires
pour le programme américain des restitutions (rendition programme.)
La position des Etats-Unis est diamétralement opposée aux sentiments du
peuple égyptien qui est descendu dans la rue mardi par centaines de milliers
pour réclamer la fin immédiate de l’actuel régime. Sur la Place Tahrir, au
Caire, les manifestants scandaient : « Il [Moubarak] doit partir, nous
restons » et « Révolution ! Révolution jusqu’à la victoire ! » Les
manifestants brandissaient des pancartes disant simplement : « La partie est
terminée, » (« Game over »), « Echec et mat », et « Dégage ». Un jeune
étudiant de 19 ans a dit à Bloomberg : « Nous voulons que l’ensemble du
régime change, à commencer par Hosni Moubarak. Nous n’acceptons pas Omar
Suleiman [le vice président] ni aucun autre. »
Plus tôt dans la journée, les manifestants avaient afflué au Caire en
provenance d’autres régions malgré les efforts entrepris pour empêcher
qu’ils ne s'y rendent, par le blocage des services de train et d’autobus et
la mise en place de barrages routiers. D’énormes protestations ont également
eu lieu dans d’autres grandes villes, dont Suez et Alexandrie, auxquelles
ont participé des dizaines de milliers de personnes.
Les comptes rendu étaient vagues en ce qui concerne l’impact de l'appel à
la grève générale illimitée mais de nombreux magasins et commerces étaient
fermés. Les activités de fret dans les ports d’Alexandrie et de Damietta
étaient à l’arrêt. « Les agents des douanes sont absents. Il n’y a personne
pour faire fonctionner les grues. L’on peut dire que le pays est
effectivement paralysé, » a dit à Reuters Dan Delany, un agent de Lloyd’s of
London.
Les attentes des manifestants étaient grandes. Les agences de presse ont
fait état d’une atmosphère de fête. Mais ce climat a fait place à
l'incrédulité et aux critiques après le discours de Moubarak. La
correspondante de CNN présente sur la Place Tahrir a déclaré qu’elle n’avait
jamais vu une foule tellement en colère. Certains ont qualifié le discours
d’insulte. D’autres ont brandi en l’air leurs chaussures en signe de très
forte désapprobation. Une foule importante est restée sur la place au mépris
du couvre-feu nocturne.
Le discours de Moubarak contenait une menace bien définie. Bien qu'il ait
déclaré que la jeunesse, qui avait initié les protestations avait des
doléances légitimes, le président a ajouté que ce mouvement d’opposition
avait été « exploité » par des groupes politiques qui voulaient détruire la
constitution et d’autres qui s’adonnaient au pillage. Après avoir annoncé
qu’il ne démissionnerait qu’en septembre, Moubarak a dit que c’était sa
responsabilité dans les mois à venir d’« établir la stabilité. » Il a aussi
fait allusion à des mesures pour venir à bout de ceux qui se rendaient
coupables d’actes criminels.
Moubarak et le gouvernement Obama misent clairement sur l’armée pour
contenir et finalement réprimer l’opposition de masse à la poursuite du
régime dictatorial. A ce jour, l’armée a déclaré qu’elle ne recourrait pas à
la force pour faire taire les revendications « légitimes » en faveur de
réforme. Mais, comme l’a dit un responsable américain à l’Associated Press,
les chefs de l’armée permettent pour le moment aux manifestants de
« s’épuiser ». En coulisse, les généraux s’activent à faire des préparatifs
en vue d’une répression au moment opportun.
Hier, dans ses commentaires Obama a hypocritement déclaré que ce n’était
« le rôle d’aucun autre pays de choisir les dirigeants de l’Egypte. » Et
pourtant, C'est précisément à cela que s'étaient employés avec frénésie
toute la journée les responsables américains engagés dans des discussions.
Alors que l’envoyé spécial américain Frank Wisner parlaient aux membres
influents du gouvernement Moubarak, le secrétaire à la Défense, Robert
Gates, sondait la hiérarchie militaire dans un entretien téléphonique avec
son homologue égyptien, le maréchal Hussein Tantawi.
Le court discours d’Obama a été le résultat de ces délibérations. La
Maison Blanche a décidé de peser de tout son poids en faveur du régime
actuel plutôt que de décider en faveur d’une coalition non testée de partis
d’opposition menée par Mohammed El Baradei.
Alors qu’Obama a réclamé que le processus de « transition » commence dès
à présent et qu'elle inclue des figures de l’opposition, toute participation
au gouvernement se fera conformément aux termes de Washington. En effet, les
Etats-Unis ont rejeté les propositions de la National Association for Change
(Association nationale pour le changement d’El Baradei) pour un gouvernement
de transition d’urgence qui comprendrait le vice-président Suleiman et le
chef d’état-major, le général Sami Annan, afin de superviser le changement
constitutionnel et les nouvelles élections législatives.
En réponse au discours de Moubarak, El Baradei a déclaré que le régime
avait perdu sa légitimité, en ajoutant que seule la démission du président
pourrait rétablir la stabilité. Dans le même temps, toutefois, il a eu une
conversation téléphonique avec l’ambassadrice américaine en Egypte, Margaret
Scobey. Selon Al Arabiya, d’autres dirigeants de l’opposition ont entamé des
entretiens avec le vice-président Suleiman en dépit de déclarations
antérieures selon lesquelles il fallait d'abord que Moubarak parte.
Loin de représenter les intérêts de la population laborieuse, ces groupes
d’opposition opèrent comme des soupapes de sécurité vitales pour disperser
le soulèvement anti-Moubarak.
Le mouvement est confronté à de graves dangers. Aucune des exigences de
ceux qui protestent dans la rue en faveur de droits démocratiques
fondamentaux et d'un niveau de vie décent ne peuvent être satisfaites par
quelque section que ce soit de la bourgeoisie égyptienne – ni Moubarak et
ses acolytes ni les différentes figures et partis d’opposition qui
s’affichent maintenant comme des « démocrates. » La classe ouvrière ne peut
lutter pour ses intérêts qu’en se mobilisant indépendamment et en ralliant
de son côté les sections de la jeunesse et des pauvres des zones urbaines et
rurales dans la lutte révolutionnaire pour un gouvernement ouvrier et une
politique sociale.
(Article original paru le 2 février 2011)
Voir aussi:
Notre
couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient