L'administration Obama et les gouvernements européens coordonnent une
position plus agressive envers la Libye, se réservant entre autres la
possibilité d'une intervention militaire, en réaction aux craintes d'un choc
international des prix du pétrole. La production quotidienne de pétrole de
la Libye a chuté d'approximativement 50 à 60 pour cent et le prix du baril
de pétrole est maintenant à son plus haut en deux ans, atteignant près de
110 $. Les bourses ont baissé aux États-Unis, en Europe et en Asie,
reflétant les craintes que d'autres hausses de prix puissent provoquer de
l'inflation et ralentir l'activité économique.
La plus grande préoccupation des puissances impérialistes est de
restabiliser l'État d'Afrique du Nord et de relancer les exportations de
pétrole. Les diverses critiques des chefs occidentaux faites à l'endroit du
gouvernement libyen et de son recours à la violence sont totalement
hypocrites – Mouammar Kadhafi a profité de relations des plus chaleureuses
avec les États-Unis et l'Europe durant la dernière décennie. Son régime a
été financé et armé par ces puissances, en récompense de son appui aux
objectifs géostratégiques de Washington dans la région et de sa
collaboration avec les sociétés pétrolières étrangères établies en Libye. De
nombreux politiciens et personnalités bien en vue du monde des affaires se
sont enrichis en collaborant avec Kadhafi, notamment l'ancien premier
ministre britannique Tony Blair, qui visitait régulièrement Tripoli au nom
de la banque d'investissement américaine JPMorgan Chase.
Maintenant par contre, le gouvernement à Tripoli semble sur le point de
s'effondrer. Les forces d'opposition étendent leur contrôle des régions à
l'est du pays jusqu'aux centres urbains à l'ouest, près de la capitale.
Le président des États-Unis Barack Obama a parlé pour la première fois
hier soir de la crise en Libye, déclarant : « [J’ai] demandé à mon
administration de préparer toutes les options qui s'offrent à nous pour
réagir à cette crise ». La menace du recours à la force militaire a aussi
été soulevée par la secrétaire d'État Hillary Clinton, qui avait affirmé
plus tôt que Washington examinerait « toutes les options possibles » et que
« tout sera mis sur la table ». (Lire: Obama and the Libyan crisis)
Hier, avant une réunion extraordinaire du Conseil des droits de l'homme
de l'ONU, un projet de résolution présenté par l'Union européenne (UE) a
condamné « les récentes violations extrêmement graves des droits humains
commises en Libye, dont les exécutions extrajudiciaires, les arrestations
arbitraires, la détention et la torture de manifestants pacifiques, qui, si
elles sont répandues et systématiques, pourraient constituer des crimes
contre l'humanité ». Cette référence à des crimes contre l'humanité est
importante – le même prétexte avait été utilisé par les interventions de
l'OTAN dans les Balkans dans les années 1990.
Une couverture pseudolégale pour une possible intervention est déjà en
préparation à l'ONU. Une résolution du Conseil de sécurité a été adoptée
mardi à l'unanimité, condamnant la violence et soulignant « la nécessité de
faire répondre de leurs actes les personnes responsables d'attaques contre
les civils ».
Les États-Unis et les puissances européennes seraient en train de
préparer une série de sanctions économiques et diplomatiques contre la
Libye. Le président français Nicolas Sarkozy a déclaré : « La communauté
internationale ne peut pas demeurée spectatrice de ces violations massives
de droits humains. » Il a demandé l’imposition d’une zone « d’exclusion
aérienne » sur la Libye, qui serait dirigée par l’OTAN. Cela est survenu
quelques semaines seulement après que l’administration Sarkozy a proposé que
la police antiémeute française aide l’ancien dictateur tunisien Zine El
Abidine Ben Ali à supprimer la révolte qui a déclenché la révolution à
travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
La création possible d’une zone d’exclusion aérienne sur la Libye est
présentement discutée internationalement. Des inquiétudes ont été émises aux
États-Unis et en Grande-Bretagne quant aux probabilités que la Russie et la
Chine approuvent cette mesure au Conseil de sécurité de l’ONU. Plusieurs
reportages dans les médias ont sinistrement fait remarquer que Washington,
Londres et d’autres gouvernements prennent une position publique
« prudente » sur la question jusqu’à ce que leurs diplomates et leurs
citoyens soient évacués de la Libye.
Cette évacuation massive est accompagnée d’un déploiement militaire
important dans la mer Méditerranée qui pourrait plus tard être utilisé pour
toutes opérations militaires des « États-Unis et de l’OTAN en Libye. La
Grande-Bretagne, la Turquie et la Grèce y ont déployé des navires de guerre
et plusieurs pays ont envoyé des avions de combat, incluant la France, la
Hollande, l’Ukraine, l’Irlande et l’Italie.
Toute intervention menée par les États-Unis viserait d'abord à rétablir
la production de pétrole en Libye et non à mettre un terme à la violence
brutale déployée par les forces de Kadhafi. Les sociétés pétrolières
étrangères, incluant Eni de l’Italie, Repsol YPF de l’Espagne, Wintershall
de l’Allemagne et Total de la France, ont cessé la production ou l’ont
diminué fortement. Les experts qui travaillent pour les industries
étrangères et les sous-traitants tentent de fuir le pays.
Le niveau de production maintenu dans les champs pétrolifères opérés par
la société pétrolière d'État est inconnu et il est aussi difficile de savoir
si les grèves des travailleurs du secteur pétrolier se poursuivent. Le
Financial Times rapportait hier : « Selon des commerçants, la société
pétrolière d'État de Libye a déclaré l'état de force majeure – une clause
légale lui permettant de se dissocier des livraisons sous contrats – sur les
produits raffinés. »
La production totale de pétrole de la Libye – qui était, avant la crise,
de 1,6 million de barils – représente moins de deux pour cent du total de la
production mondiale de pétrole. L’impact disproportionné de la crise
pétrolière libyenne sur les marchés internationaux est dû à plusieurs
facteurs.
Un de ces facteurs est que le pétrole libyen est de très haute qualité,
et ne peut être simplement remplacé par l’augmentation de la production de
l’Arabie Saoudite ou d’autres pays membres de l’OPEP. « Les réserves situées
sous le désert de la région produisent du brut qui peut être raffiné
facilement en diesel et en pétrole et qui contient également peu de soufre,
le rendant plus propre à la combustion », a expliqué le Financial Times.
« Elles [les compagnies de pétrole] devraient trouver des barils de qualité
équivalente provenant d'Algérie, du Nigéria, de la région de la mer
Caspienne ou de la mer du Nord. Les enchères pourraient faire monter les
prix pour le brut de haute qualité qui est la référence pour les contrats de
pétrole à terme standardisé et pourrait entraîner une réduction de la
production des raffineries qui seraient incapables de le payer. »
Le soulèvement en Libye a aussi suscité des craintes sur les marchés
financiers quant à l'instabilité d'autres pays producteurs de pétrole, comme
l'Algérie et l'Arabie Saoudite, le plus grand exportateur de pétrole au
monde. « Personne ne sait où cela va s'arrêter », a dit au New York Times
Helima Croft, directrice chez Barclays Capital. « Il y a quelques semaines,
c'était la Tunisie et l'Égypte. On croyait que le mouvement allait être
limité à l'Afrique du Nord et aux pays pauvres en ressources du
Moyen-Orient. Mais les manifestations à Bahreïn, le cœur du golfe, viennent
alimenter les inquiétudes. »
Afin d'apaiser ces inquiétudes, le roi d'Arabie Saoudite, Abdallah ben
Abdelaziz, a annoncé un programme de 36 milliards de dollars pour favoriser
l'emploi, le logement et d'autres besoins sociaux. Il vise ainsi à
contrecarrer tout mouvement des travailleurs et des jeunes saoudiens.
Des analystes des produits de la banque japonaise Nomura ont averti que
le prix du baril de pétrole pourrait atteindre 220 $, « si la Libye et
l'Algérie cessaient toute production de pétrole ». Des prix aussi élevés
entraîneraient inévitablement un ralentissement marqué dans les économies
des États-Unis et du monde.
Les champs pétrolifères libyens, comme la majorité du territoire du pays,
semblent maintenant sous le contrôle des forces anti-Kadhafi.
À Benghazi et Bayda, les deux villes les plus importantes après Tripoli,
les forces du gouvernement semblent être en déroute. Des journalistes
internationaux commencent à avoir accès à la région en traversant la
frontière égyptienne. Martin Chulov du Guardian rapporté qu'à Benghazi
« tous les signes visibles du dictateur ont été retirés ou brûlés ». Des
drapeaux nationaux datant de la vieille monarchie flottaient au-dessus des
édifices gouvernementaux. Des soldats qui avaient fait défection s'étaient
emparés de tonnes d'armes et de munitions des arsenaux militaires.
Hier, les forces d'opposition ont pris le contrôle de Misrata, à environ
200 kilomètres à l'est de Tripoli, après des jours de combats dans les rues
de la ville. Faraj Al-Misrati, un médecin du coin, a communiqué à Associated
Press que six personnes avaient été tuées et 200 blessées lors des
affrontements. Il a ajouté que les résidents avaient formé des comités pour
nettoyer les rues, protéger la ville et soigner les blessés. « La solidarité
entre les gens est incroyable, même les infirmes offrent leur aide », a-t-il
dit.
Les forces d'opposition affirment qu'elles contrôlent d'autres centres
urbains dans la partie ouest dans la Libye dont Zawiya, située à seulement
50 kilomètres à l'ouest de la capitale.
À Tripoli, de nouveaux reportages font état de la poursuite du massacre
de protestataires et de quiconque serait perçu comme un opposant du régime
par la milice de Kadhafi et des mercenaires étrangers. Des vidéos rendues
publiques sur le web montrent ces forces fouillant systématiquement les
résidences. D'autres extraits semblent montrer des barricades faites de
blocs de béton et de pneus en flammes érigées par les protestataires autour
d'une place près du centre de la ville. Des manifestations ont été appelées
pour aujourd'hui et demain, et des articles rapportent que l'opposition
prévoit organiser une « marche » vers Tripoli vendredi.