La politique anti-socialiste de l’« opposition » tunisienne officielle
Par Kumaran Ira
3 février 2011
Le 28 janvier, le mouvement Ettajdid (« Renouveau ») a tenu à Paris un
débat public sur le récent soulèvement de masse en Tunisie qui a forcé
l’ancien dictateur Zine El Abidine Ben Ali à démissionner. Ettajdid,
l’ancien Parti communiste tunisien stalinien, est l’un des partis
d’« opposition » officiels en Tunisie. Son dirigeant, Ahmed Brahim, occupe
le poste de ministre de l’Enseignement supérieur dans le régime intérimaire.
Depuis les soulèvements de masse qui ont débuté après l’immolation par le
feu d’un jeune travailleur tunisien le 17 décembre pour protester contre des
conditions sociales désespérées, l’« opposition » a prétendu être solidaire
des masses. En fait, elle sert d’instrument à l’élite dirigeante tunisienne
et au gouvernement provisoire dominé par les anciens acolytes de Ben Ali.
Elle tente de mettre fin aux protestations de masse contre le gouvernement
intérimaire et de stabiliser l’Etat dans l’intérêt de la bourgeoisie
tunisienne et des principales puissances impérialiste, dont les Etats-Unis
et la France.
Les intervenants à la réunion de Paris ont exprimé leur soutien au
gouvernement intérimaire en mentionnant le récent remaniement ministériel.
Ils ont déclaré que le gouvernement intérimaire sera en mesure d’établir la
démocratie dans le pays.
En dissimulant leur soutien à ceux qui restent du régime Ben Ali, les
intervenants ont déclaré à la réunion : « [Ettajdid] soutient un processus
politique qui permettra d’assurer la transition démocratique sur la base de
conditions formulées lors de sa participation au gouvernement de transition
du 16 janvier 2011 et durant l’exercice de ses fonctions de ministre par
Ahmed Brahim. »
Ils ont déclaré, sans se décontenancer, leur fidélité à l’aristocratie
financière mondiale, en réclamant des mesures pour apaiser la situation
politique et rassurer les banques. Ils ont expliqué qu’une participation
plus large des partis politiques dans le gouvernement « rassurer[ait] le
peuple ainsi que les investisseurs » pour « assurer le retour de l’activité
économique à un rythme soutenu afin de garantir la stabilité et la sécurité
du pays. » Un tel langage pourrait être employé par n’importe quel
responsable du gouvernement américain.
Le soulèvement tunisien s’est propagé à travers l’Afrique du Nord et le
Moyen Orient avec des centaines de milliers de travailleurs et d’étudiants
protestant contre la dictature et des conditions sociales abominables.
Depuis quelques jours, l’Egypte est secouée par un soulèvement social contre
le dictateur Hosni Moubarak qui est soutenu par les Etats-Unis.
Du début à la fin de la réunion, les intervenants n’ont jamais mentionné
ou fait référence aux événements en Egypte ou lancé un appel à la solidarité
avec les travailleurs égyptiens. Le sujet de l’Egypte n’est apparu qu’une
seule fois lorsque le président de la réunion s’est plaint qu’il y avait
moins de participants que lors d’une réunion précédente, « à cause d’un
rassemblement pro égyptien. Ça tombe mal. »
Leur débat s'est exclusivement concentré sur la stabilisation de l’actuel
Etat tunisien en discutant de la manière dont un gouvernement intérimaire
devrait gérer la situation. Ils ont déclaré que le rôle d’Ettajdid est de
proposer des solutions et des actions pour une « transition pour la
démocratie. »
Ils ont explicitement rejeté la perspective que le soulèvement de masse
de la classe ouvrière en Tunisie doive lutter pour une politique socialiste.
L’un des intervenants a carrément déclaré : « En Tunisie, la révolution
prolétarienne, ce n’est pas le cas. On ne peut pas demander de nationaliser
les banques et les industries. Mais c’est une transition pour la démocratie.
On va dans le bon sens. Il faut que ça continue. »
Ils ont insisté pour dire que la seule perspective du mouvement était
« de réformer la constitution telle qu’elle existe. »
Les intervenants avaient visiblement du mal à dissimuler le gouffre qui
sépare leur politique contre-révolutionnaire du socialisme révolutionnaire.
Ils ont, de façon absurde, falsifié le caractère de la Révolution d’Octobre
1917 en Russie, en affirmant que le Parti bolchévique, dirigé par Vladimir
Lénine et Léon Trotsky, avait instauré le pouvoir sur la base des restes du
gouvernement provisoire bourgeois.
Ils ont aussi défendu le syndicat tunisien, l’Union générale des
Travailleurs tunisien (UGTT). Il est largement connu que l’UGTT a été un
allié de longue date de Ben Ali et a soutenu ses réformes de libre marché.
En fait, au début, l’UGTT s'est opposé au soulèvement de masse mais il
soutient à présent le gouvernement intérimaire dans le but de réprimer les
protestations qui se poursuivent.
Les intervenants de l’Ettajdid ont fait quelques références à la
collaboration antérieure de l’UGTT avec le régime de Ben Ali vu qu’il leur
est impossible d’ignorer ce fait. Toutefois, ils ont affirmé que l’UGTT
avait à présent changé d’opinion et qu’elle soutiendrait les masses, en
ajoutant qu’elle était une force importante dans la politique tunisienne.
La politique en faillite d’Ettajdid a ses origines dans son histoire
comme parti stalinien, anti-marxiste. Le mouvement Ettajdid est issu du
Parti communiste tunisien, fondé en 1934 comme une branche du Parti
communiste français – qui était alors politiquement contrôlé par Joseph
Staline et la bureaucratie du Kremlin.
Le régime d’Habib Bourguiba, prédécesseur de Ben Ali, avait interdit le
parti en 1962 puis l’avait légalisé en 1981. Conformément à la théorie
stalinienne des « deux stades » consistant à défendre la bourgeoisie
nationale dans les pays en voie de développement, le Parti communiste
tunisien s’identifiait comme une organisation nationale démocratique qui
recherchait l’unité entre toutes les « classes patriotiques. » En 1988, il
signait le pacte national de Ben Ali.
Après l’effondrement des régimes staliniens en Europe de l’Est, il rejeta
toute association avec le communisme. En 1993, il devenait le mouvement
Ettajdid. Sous Ben Ali, Ettajdid obtint deux sièges lors des élections
législatives de 2009. Après que le soulèvement populaire a évincé Ben Ali,
qui a fui le pays le 14 janvier, Ettajdid a rejoint le gouvernement
intérimaire qui a été formé le 17 janvier.
Depuis le soulèvement contre Ben Ali, Ettajdid a proclamé son plein
soutien au gouvernement intérimaire tout en exprimant cyniquement des
critiques occasionnelles pour se préserver une coloration restreinte « de
mouvement d'opposition. » Peu de temps après la fuite de Ben Ali et
l’établissement du gouvernement intérimaire, le coordinateur d’Ettajdid en
France, Rabeh Arfaoui a dit au journal Le Monde qu’il lui faisait pleinement
confiance : « Nous sommes contre la politique de la chaise vide. Nous
faisons confiance à l’intégrité du gouvernement actuel, qui saura réagir en
cas de danger pour la démocratie. Sa mission est de préparer les élections
dans six ou sept mois. Alors, qu’on avance ! »
Alors que les protestations de masse s’intensifiaient contre le
gouvernement intérimaire, Ettajdid a battu en retraite, menaçant cyniquement
de retirer son dirigeant Ibrahim du gouvernement intérimaire si les
ministres du RCD n’étaient pas retirés du cabinet. Ceci n’était toutefois
que du verbiage. Bien que les ministres du RCD n’aient pas quitté le
gouvernement, Ibrahim a décidé de rester.
Le 28 janvier, Ettajdid a publié une déclaration félicitant le
gouvernement provisoire d’avoir inclus « des personnalités nationales
connues pour leurs hautes compétences et intégrité. » En ajoutant qu’il
était sûr que le gouvernement intérimaire lutterait pour « barrer la route à
toute tentative de régression et de retour en arrière. »
(Article original paru le 1er février 2011)
Voir aussi :
Notre
couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient