La déclaration de faillite d’American Airlines mardi est un autre
argument puissant en faveur de la politique socialiste de retirer
l’industrie aérienne et les banques qui la financent des mains du privé et
de la placer sous propriété publique.
La manœuvre, la dernière d’une série de réorganisations supervisées par
les tribunaux de l’industrie aérienne durant la dernière décennie, est un
acte manifeste de guerre contre les 78 000 employés de la compagnie qui aura
des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la classe ouvrière. Thomas
Horton, le PDG nouvellement nommé de la société mère, AMR Corporation, a
soutenu que la société s'est placée sous la protection du Chapitre 11 dans
le but de mettre en pièce les contrats de travail existants et d'imposer des
coupes massives dans les emplois, les salaires, les conditions et les
pensions.
Prétendant que les coûts du travail aux États-Unis sont de 800 millions
de dollars plus élevés par an que ceux de ses rivaux, Horton a dit qu’une
« structure de coût compétitive » est un « impératif clé » dans le processus
de faillite et a annoncé des plans pour entamer des discussions avec « tous
nos syndicats afin de réduire les coûts de main-d’œuvre ».
Il a agi ainsi sachant qu’il pourrait compter sur un tribunal de faillite
lui étant sympathique afin d’imposer des coupes dans les salaires et
d’entériner une décision de la société de supprimer ses régimes de retraite.
Le résultat des réorganisations de faillite sous supervision judiciaire chez
United Delta et à US Airways a été des pertes massives d’emplois, des coupes
dans les salaires de l’ordre de 30 pour cent et des réductions des
prestations de retraite à hauteur de 50 pour cent.
Le New York Times a cité Bob McAdoo, un analyste des transporteurs
aériens chez Avondale Partners, disant « ce n’est pas un geste défensif,
mais une faillite offensive où ils s’en prennent à leur main-d'oeuvre pour
réduire les coûts. Ils ont une bonne franchise et beaucoup d’argent. Ils ne
sont pas contraints à la faillite. Ils ont un problème avec leur structure
de coûts et ils veulent s’y attaquer ».
Le Wall Street Journal a cité Josh Gotbaum, le directeur de la
Pension Benefit Guaranty Corporation fédérale, qui a dit : « les employés et
les retraités s’inquiètent, et ils le devraient. Selon nos estimations, les
employés d’American Airlines pourraient perdre un milliard de dollars en
prestation de retraite si American met un terme à ce régime. »
Pour leur part, les dirigeants d’American Airlines vont continuer de
gagner des millions de dollars en rémunération. Le PDG sortant, Gerard
Arpey, a quitté ses fonctions avec 4,7 millions de dollars en prestations de
retraite.
La déclaration de faillite fait partie d’une attaque internationale sur
les travailleurs des lignes aériennes, alors que les transporteurs rivaux
font compétition pour couper dans les coûts et maintenir la profitabilité
devant la crise économique mondiale. Le mois dernier, le partenaire
d’American de OneWorld Alliance, Quantas, a maintenu au sol sa flotte
entière dans le but de faire pression pour d'importantes concessions des
travailleurs. D’autres transporteurs majeurs comme British Airways et Japan
Airlines ont supprimé des dizaines de milliers d’emplois.
En plus des souffrances considérables infligées aux travailleurs
d'American, la restructuration entraînera une détérioration du service
encore plus importante, des conditions plus difficiles pour les passagers et
une compromission accrue de la sécurité. Déjà cette année, la poursuite
effrénée du profit a fait en sorte que de nombreux contrôleurs aériens se
sont endormis au travail en raison du surmenage et du stress. Les
précédentes restructurations, supervisées par les tribunaux, ont entraîné
une concentration et une monopolisation encore plus importantes de
l'industrie, par des fusions entre United et Continental, ainsi qu'entre
Delta et Northwest.
La faillite d'American Airlines est le résultat de plus de 30 ans de
déréglementation de l'industrie aérienne. Tout ce qui a été dit pour
justifier l'élimination presque totale de tout encadrement gouvernemental
des transporteurs aériens – que le marché est le meilleur pour assurer
efficacité, qualité, sécurité et une saine compétition – n'est que mensonges
qui ont été mis à nu depuis longtemps. Le tournant vers la déréglementation,
qui a débuté dans le secteur des transporteurs aériens et qui s'est
rapidement propagé au transport routier et à la finance, ainsi que toutes
les politiques importantes qui lui sont associées, reflètent clairement des
processus sociaux et des intérêts de classe sous-jacents.
La déréglementation des transporteurs aériens, entamée en 1978, marquait
le début d'une brutale offensive de la classe dirigeante américaine contre
la classe ouvrière. Son objectif était de mettre un terme à la structure de
relations légale, réglementaire et sociale à travers laquelle l'élite
dirigeante avait mené une politique de relatif compromis de classe dans le
contexte de l'expansion de l'économie mondiale et de la domination
économique des États-Unis dans la période d'après-guerre.
Avec la fin du boom et le déclin économique des États-Unis, l'élite
patronale et financière américaine a adopté une politique de guerre de
classe. C'était, et cela demeure vrai aujourd'hui, une politique bipartite
accueillie et administrée par les deux partis de la grande entreprise, tant
les démocrates que les républicains.
La déréglementation des transporteurs aériens a été lancée sous
l'administration démocrate de Jimmy Carter, annoncée par sons secrétaire aux
Transports, Alfred Kahn, et soutenue avec enthousiasme par le démocrate
libéral le plus en vue, Edward Kennedy. L'administration Carter élabora les
plans pour écraser le syndicat des contrôleurs aériens, PATCO, qui furent
mis en oeuvre par Ronald Reagan en 1981, avec l'appui de la Chambre des
représentants qui était contrôlée par les démocrates.
La destruction de PATCO était le coup d'envoi d'un assaut du patronat
pour réduire les salaires, briser les grèves et écraser les syndicats dans
tous les secteurs de l'économie. Cet assaut a été dirigé en grande partie
contre les transporteurs aériens. Des grèves acerbes contre les concessions
ont été défaites à Continental Airlines (1983), United Airlines (1985),
Trans World Airlines (1986) et Eastern Airlines (1989). Bon nombre de ces
sociétés n'existent plus aujourd'hui, les symboles du capitalisme américain
disparaissant un à un durant les années 1980 et 1990, reflétant le déclin du
système de profit et de son centre mondial.
L’assaut sur les travailleurs de l'industrie aérienne faisait partie
d’une attaque plus large sur les travailleurs de l’automobile et de l’acier,
sur les camionneurs, les mineurs, les employés d'abattoir, c'est-à-dire sur
toutes les sections de la classe ouvrière. Cela fut possible seulement par
la traîtrise et la complicité des syndicats qui, en commençant par PATCO,
ont isolé et brisé lutte après lutte. La décennie des années 1980 a vu
l’effondrement du mouvement ouvrier américain et la transformation des
syndicats, basée sur leur orientation procapitaliste et leur programme
nationaliste. Ils sont passés d’organisations de défense de la classe
ouvrière à agents des sociétés et du gouvernement.
La déréglementation a nourri la hausse massive de la spéculation et du
parasitisme financiers, en même temps que le démantèlement d’une bonne
partie de l’industrie américaine. Au cœur de ce processus se trouve l’assaut
toujours plus grand sur la position sociale et le niveau de vie de la classe
ouvrière et la redistribution de la richesse du bas vers le haut.
Les opérations de briseurs de grève contre les travailleurs de
l'industrie aérienne furent orchestrées par les démocrates aussi bien que
par les républicains – Bill Clinton contre les pilotes d’American Airlines
en 1997 et George Bush contre les mécaniciens de la Northwest en 2001. Les
syndicats des transporteurs aériens ont abandonné l’arme de la grève afin de
supprimer la résistance des travailleurs à toutes les rondes brutales de
concessions et afin de s’intégrer plus étroitement aux dirigeants
d’entreprise et à l’État. Une exception notable fut la grève des mécaniciens
non affiliés à l’AFL-CIO de Northwest en 2007, qui a été écrasée par les
opérations de briseurs de grève des autres syndicats du transporteur.
Après l’annonce de mardi, les syndicats d'American Airlines se sont hâtés
de déclarer qu'ils étaient prêts à offrir plus de concessions dans le but de
garantir leurs intérêts institutionnels ainsi qu’un afflux de cotisations
syndicales provenant de leurs membres dans le cadre du processus de faillite.
Le capitaine David Bates, président de l’Allied Pilots Association, a dit
qu’il anticipe des « changements significatifs » à la convention collective.
Laura Glading, présidente du Syndicat américain des agents de bord
professionnels (American Professional Flight Attendants union), a dit :
« Nous voulons absolument être à la table et aider à diriger la discussion…
nous ferons partie de ce processus qui nous fera aller de l’avant. »
Voilà le résultat de la défense par les syndicats de la propriété privée
capitaliste de l’industrie aérienne et du système financier. Il y a une
alternative pour les travailleurs des transporteurs aériens et toute la
classe ouvrière, une alternative qui peut seulement être mise de l’avant par
une rupture avec les syndicats officiels et la construction de nouveaux
organes de lutte réellement démocratiques. Cette alternative est la lutte
pour le socialisme, qui doit commencer par la nationalisation des sociétés
et des grandes banques et leur transformation en services publics sous le
contrôle démocratique de la classe ouvrière.
L’expérience a montré que la propriété privée est incompatible avec les
intérêts les plus élémentaires des travailleurs et du public dans son
ensemble. La lutte pour la propriété publique est une lutte politique contre
l’oligarchie patronale et financière et ses deux partis, ainsi que contre
les tribunaux et toutes les institutions officielles de la classe
capitaliste. Cela requiert la mobilisation politique indépendante et en
masse de la classe ouvrière dans la lutte pour un gouvernement ouvrier.
(Article original paru le 1er décembre 2011)