L’approbation par le Sénat américain de la loi permettant
la détention militaire pour une durée indéfinie de citoyens américains sans
accusations ni procès marque un nouveau stade dans une décennie d'assaut
ininterrompue sur les droits démocratiques et constitutionnels les plus
élémentaires.
Le vote du Sénat à 86 contre 13 en faveur de la loi
suivait son approbation par la Chambre des représentants mercredi. Il suivait
aussi l’annonce par la Maison-Blanche selon laquelle le président Barack
Obama n’exercerait pas son pouvoir de veto contre la mesure, qui est
incluse dans laNational Defense Authorization Act (NDAA), une enveloppe
de 662 milliards de dollars pour financer la machine de guerre américaine.
Le projet de loi stipule que toute personne accusée
d’être terroriste soit « détenue sans procès jusqu’à la fin
des hostilités » dans une prison militaire. Même s’il requiert un
tel traitement pour des non-citoyens, il l’autorise pour les citoyens
arrêtés en sol américain, si le président décide qu’ils méritent une
peine extraconstitutionnelle.
Cet article de loi légalise les pires crimes commis sous
l’administration Bush et sanctionne légalement un État policier et
militaire américain. Le large appui bipartite qu’il a obtenu dans les
deux chambres du congrès a fourni une preuve définitive qu’il
n’existe pas de base pour la défense des droits démocratiques au sein de
l’establishment politique américain et de ses deux partis de la grande
entreprise.
À ce sujet, le passage d’une loi qui jette aux
orties les principes fondateurs de la République américaine a soulevé à peine
un murmure d’inquiétude de la part des médias de masse contrôlés par la
grande entreprise. Ils n’ont aucune intention d'en faire un débat public.
Pour les millions d’Américains qui travaillent, cependant, cette action
est de la plus grave importance.
Le vote du Sénat est arrivé précisément 220 années après l’adoption
de la Déclaration des droits, les dix premiers amendements à la Constitution
américaine, le 15 décembre 1791.
Ces amendements énonçaient clairement des libertés
démocratiques élémentaires, incluant la liberté d’expression et de
presse, la protection contre des fouilles ou des saisies excessives, le droit à
un procès juste et le droit de toute personne accusée d’un crime à un
procès public fait avec diligence par un jury impartial. Ils ont été passés
afin de codifier les gains démocratiques de la Révolution américaine et de
protéger le peuple de la nouvelle république d’un retour aux abus qui
avaient été commis contre lui sous le joug colonial de la monarchie
britannique. Ils représentaient la concrétisation des droits « inhérents
et inaliénables » proclamés par la Déclaration d’indépendance à la
« vie, la liberté et la poursuite du bonheur ».
Sans pratiquement aucun débat, et au nom de la
« guerre globale contre le terrorisme », le Sénat et la Chambre des
représentants ont voté une loi permettant l'abrogation de tous ces droits par
un président doté de pouvoirs d'État policier qui impressionneraient même le
vieux roi George.
En effet, en dépit des tentatives des groupes libéraux et
de la fausse gauche pour entretenir l'illusion qu'Obama allait opposer son veto
au projet de loi, car il se préoccupe de l'assaut sur les droits démocratiques,
la seule inquiétude du président démocrate était que ce projet de loi vienne remettre
en question les vastes pouvoirs que lui et son prédécesseur, George W. Bush,
s'étaient attribués. Ainsi, la Maison-Blanche est intervenue directement dans
le débat pour s'assurer que l'on retire d'une version précédente du projet de
loi les passages affirmant explicitement que les citoyens américains arrêtés
sur le territoire des États-Unis ne seraient pas soumis à la détention
militaire indéfinie.
Obama a déjà clairement fait savoir qu'il fera respecter
le pouvoir du président à jeter quiconque en prison militaire sans accusation,
ni procès. Il est allé considérablement plus loin que son prédécesseur à la
Maison-Blanche en revendiquant le droit d'agir en tant que juge, jury et
bourreau dans le meurtre d'État de citoyens américains que l'on a qualifiés de
terroristes. Il a exercé ce supposé droit dans l'exécution extrajudiciaire
d'Anwar Al-Awlaki et d'autres.
De nombreux démocrates que ont voté en faveur du projet de
loi ont exprimé certaines réserves sur les clauses traitant de la détention
militaire. La position du chef de la majorité au Sénat, Harry Reid, qui a
reconnu que le projet de loi « n'était pas parfait », mais qu'il
représentait « une grande réussite pour le soutien de nos troupes »,
était typique à cet égard. De tels arguments ont une logique bien à eux :
les guerres d'agression sans fin des États-Unis à l'étranger sont intimement
liées à l'attaque sur les droits démocratiques et sur les conditions sociales
au pays.
Toutes deux émergent de la crise historique du capitalisme
américain. Cette crise s'exprime de la manière la plus marquée dans la
polarisation sociale sans précédent historique qui est devenue un élément
déterminant de la société américaine. Le gouffre séparant l'oligarchie
financière, qui monopolise la richesse ainsi que le pouvoir politique et
économique, de la classe ouvrière, la très grande majorité de la population qui
fait face au déclin de ses conditions de vie, au chômage de masse et à la
détérioration des conditions sociales, n'a jamais été aussi apparent.
Basés sur ces fondations sociales en décomposition, les
droits démocratiques et les formes de gouvernance démocratiques deviennent de
plus en plus intenables. L'élite dirigeante est forcée d'établir un nouveau
cadre à l'intérieur duquel elle pourra défendre sa richesse et ses pouvoirs, un
cadre qui entrera nécessairement en conflit avec les principes établis par la
Constitution et la Déclaration des droits des États-Unis.
La création de cenouveau cadreest en coursdepuis plus d'unedécennie.Aprèsune longue périodecaractériséepar ledéclin
de la démocratieaméricaineet la
croissance desinégalités sociales, il y a eul'élection volée de 2000,où la majoritéde droite dela Cour suprême
américainea installé au
pouvoirun président ayantperdu le vote populaire.
Ensuite, les événements du 11 septembre 2001, sur lesquels
aucune enquête sérieuse n'a été menée et qui n'ont pas été expliqués
convenablement par le gouvernement américain, ont fourni le prétexte pour
déclencher deux guerres d’agression et promulguer, avec le soutien
bipartite, une multitude de lois répressives, du Patriot Act au Homeland
Security Act, à l’adoption de la torture, des assassinats ciblés, la
restitution extraordinaire, l’espionnage domestique et la détention
illégale en tant que politique officielle d’État.
Ces méthodes ont été poursuivies et intensifiées par
Obama, qui a remporté sa victoire électorale de 2008 en grande partieà cause dela révulsionpopulaire pourles actionsde son prédécesseur.Le faitqu'ellesaient maintenantété ouvertementinscrites dans la loipar le Sénatcontrôlé par les démocratesdémontre qu'ellesne sont pas
simplement les excès d'unseul présidentou le produitd'uneidéologie de droite particulière.
Elles sont plutôt le résultat des contradictions de classe
à l’intérieur même de la société américaine et de la crise historique du
capitalisme américain. Avec la crise financière de 2008 et
l’approfondissement continu de la plus sévère crise de puis la Grande
Dépression des années 30, le glissement vers des méthodes dictatoriales
d’État policier n’a fait qu’accélérer.
Alors que les partisans des mesures adoptées par le Sénat
jeudi ont invoqué la supposée menace terroriste omniprésente, leur insistance
pour que les États-Unis (eux-mêmes) soit définis comme un « champ de
bataille », a une signification plus profonde.
Le développement explosif des manifestations Occupons Wall
Street et la campagne de répression policière coordonnée à l’échelle
nationale utilisée afin de les disperser ne sont qu’un précurseur de
luttes sociales bien plus grandes à venir. Des masses de travailleurs sont
poussées dans la lutte des classes par des conditions de vie de plus en plus
intolérables.
L’oligarchie dirigeante est consciente que ses
politiques visant à faire payer la classe ouvrière pour la crise du système de
profit donneront lieu à une opposition sociale révolutionnaire et elle se
prépare en conséquence. La classe ouvrière doit faire de même, en mobilisant
son pouvoir politique indépendant dans une lutte contre les menaces de
dictature d’État policier et du système de profit capitaliste qui en est
la source.