La France est directement intervenue au cours de ces dernières 24 heures
dans les combats en Côte d’Ivoire, alors qu’elle cherche à réaffirmer son
contrôle sur son ancienne colonie.
Des hélicoptères français ont bombardé mardi soir les forces loyales au
président Laurent Gbagbo. Mercredi après-midi, des forces au sol, loyales au
rival présidentiel Alassane Ouattara, avaient lancé un assaut contre la
résidence présidentielle. Néanmoins, à la tombée de la nuit, les troupes de
Ouattara s’étaient repliées après un assaut manqué contre les abris où
Gbagbo est supposé se cacher.
En Côte d’Ivoire, le long face à face militaire entre les forces de
Ouattara au Nord et les loyalistes de Gbagbo s’est embrasé depuis les
élections présidentielles contestées du 28 novembre. La France et les
puissances de l’OTAN reconnaissent Ouattara comme le vainqueur des
élections.
Les représentants français ont négocié avec Gbagbo de mardi soir à
mercredi matin. Les pourparlers ont finalement échoué dans l’après-midi et
les forces pro-Ouattara ont lancé ce qu’elles ont décrit comme l'« assaut
final » contre la résidence présidentielle. Leur intention, disent-elles,
était de le faire sortir de son abri. L’intensité des combats a été révélée
par des rapports relatant que les vitres des ambassades situées dans le
quartier diplomatique ont été soufflées.
Un habitant terrifié a parlé à Reuters au téléphone, « Les combats sont
terribles ici. Les explosions sont si lourdes que mon immeuble a tremblé.
Nous entendons des tirs à l’arme automatique et aussi à l’arme lourde. On
tire de partout. Les voitures filent dans tous les sens et les combattants
font de même.
Un porte-parole militaire a nié que des forces armées françaises étaient
impliquées dans les combats. Mais les habitants ont dit avoir vu des chars
français dans les rues. Des hélicoptères de l’ONU ont été vus survolant la
résidence présidentielle au moment où les combats faisaient rage.
Des séquences vidéo tournées à plusieurs kilomètres de distance montrent
d’énormes explosions secouant la ville d’Abidjan où vivent quatre millions
de personnes. L’on peut voir des missiles passer devant la caméra ce qui
laisse penser qu’un dépotoir à munition a été touché. L’ampleur des dégâts
causés plus près des casernes n’est pas encore connue mais un habitant a
rapporté qu’une fusée avait traversé le toit d’une maison et tué trois
personnes.
Le dirigeant de l’équipe des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI),
Hamadoun Touré, avait déjà été informé au sujet d’un rapide dénouement
lorsqu’il s’est exprimé mercredi matin dans l’émission d’actualité de la BBC
‘Today’.
« Nous espérons trouver une solution très, très vite pour que cela se
termine, » a-t-il dit.
Edouard Guillaud, des forces armées françaises, a exprimé plus tard dans
la journée un point de vue identique. Il a dit au micro de la radio Europe 1
que Gbagbo partirait bientôt : « Je pense que c’est une question d’heures…
peut-être dans la journée. »
Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a dit à
Reuters, « Les négociations qui se sont déroulées pendant des heures dans la
journée d’hier (mardi) entre l’entourage de Laurent Gbagbo et les autorités
ivoiriennes ont échoué devant l’intransigeance de Laurent Gbagbo. »
Gbagbo aurait insisté pour qu’il lui soit permis de rester en Côte
d’Ivoire et qu’il puisse bénéficier de la protection de l’ONU. Bien que,
selon des observateurs internationaux, Gbagbo ait remporté près de la moitié
des voix lors des élections de novembre, ces exigences étaient apparemment
inacceptables pour la France.
L’intervention de la France anéantit toutes les affirmations du
gouvernement français selon lesquelles son rôle en Côte d’Ivoire se limite à
celui de spectateur cherchant à protéger la population contre tout danger.
Au lieu de cela, elle agit avec le soutien du gouvernement américain pour
faire valoir de façon violente les intérêts de l’impérialisme occidental –
en Côte d’Ivoire et internationalement.
Le rôle de la France en Côte d’Ivoire a été salué par Washington. Le
président Barack Obama a bien accueilli le rôle joué par les forces
françaises et de l’ONU et a appelé à la démission de Gbagbo.
« Pour mettre fin à cette violence et pour éviter un bain de sang,
l’ancien président Gbagbo doit démissionner immédiatement, et donner l’ordre
à ceux qui combattent pour son compte de déposer les armes, » a dit Obama.
« Je soutiens fermement le rôle que joue la force de maintien de la paix de
l’ONU en faisant respecter son mandat de protéger les civils, et je salue
les actions des forces françaises qui soutiennent cette mission. »
Depuis le début du conflit en Côte d’Ivoire, Paris et Washington ferment
les yeux sur les massacres plus substantiels de civils par les partisans
d’Ouattara – dont jusqu’à un millier de gens dans un seul village. (Voir, «
»)
Ceci fait partie d’une explosion plus général du militarisme français en
Afrique. Le président Nicolas Sarkozy a aussi ouvert la voie en réclamant
une zone d’exclusion aérienne en Libye. La France a été la première à
reconnaître le Conseil national de transition basé à Benghazi comme étant le
gouvernement légitime de la Libye. Ceci a servi d’exemple à la France par
rapport à la Côte d’Ivoire. La France et le Nigeria ont élaboré la
résolution 1975 de l’ONU qui donne mandat à l’ONUCI de protéger les civils.
Elle a été élaborée conformément aux modalités de la résolution qui a permis
aux avions de chasse de l’OTAN d’attaquer des positions militaires en Libye.
Quelques jours seulement après l’adoption de la résolution sur la Côte
d’Ivoire, la France et l’ONUCI sont passés à l’action à Abidjan. Ils ont
bombardé le palais et la résidence présidentielle ainsi que mardi les
casernes d’Akueodo et d’Agban. Ils ont justifié leurs actions en affirmant
que les forces pro-Gbagbo avaient fait usage d’artillerie lourde contre les
civils.
La résolution de l’ONU n’autorise pas les Français à attaquer mais le
secrétaire général Ban Ki-moon a écrit à Sarkozy pour lui demander de
l’aide. « Il est urgent de lancer les opérations militaires nécessaires pour
mettre hors d’état de nuire les armes lourdes qui sont utilisées contre les
populations civiles et les casques bleus, » a dit Ban Ki-moon.
De par le passé, Gbagbo a coopéré étroitement avec Paris. Il a attisé les
hostilités ethniques et communautaristes dans un effort de rester au pouvoir
en faisant des travailleurs immigrés, qui étaient venus en Côte d’Ivoire du
Burkina Faso voisin dans les années 1960 et 1970, des boucs émissaires alors
que l’économie déclinait. Ceci avait jeté les bases d’un conflit prolongé
avec Ouattara, originaire du Nord, et qu’il avait exclu des élections
présidentielles de 2000 en affirmant que les parents de Ouattara n’étaient
pas nés en Côte d’Ivoire.
Paris avait reconnu à l’époque l’élection de Gbagbo en dépit de
l’exclusion de Ouattara parce qu’il avait d’étroites relations avec le
premier ministre d’alors, Lionel Jospin et le Parti socialiste français.
Les relations de Gbagbo avec la France se sont toutefois détériorées
lorsqu’il a bloqué les efforts français pour imposer un régime de partage du
pouvoir qui inclurait les gens du Nord dans le but de mettre fin à la guerre
civile. Gbagbo avait rompu le cessez-le-feu en 2004 en lançant un assaut
militaire contre le Nord au cours duquel une base militaire française avait
été touchée. Paris avait riposté en détruisant toutes les forces aériennes
ivoiriennes.
Lorsque les foules étaient descendues dans les rues d’Abidjan pour
protester contre cette action, des hélicoptères français avaient largué sur
elles des grenades lacrymogènes et des grenades à main, des véhicules
blindés avaient pris position sur les ponts et des canonnières avaient
patrouillé la rivière en dessous.
La manière arrogante avec laquelle la France affirme son autorité dans
cette situation souligne son oppression impérialiste continue dans son
ancienne colonie. La Côte d’Ivoire avait officiellement pris son
indépendance en 1960 avec le reste de l’Afrique occidentale française.
Cependant, en vertu des termes d’un accord militaire signé en 1961, la
France a toujours maintenu une présence militaire en Côte d’Ivoire.
(Article original paru le 7 avril 2011)