Mercredi dernier, le sous-comité
permanent sur les enquêtes du Sénat américain a rendu public un volumineux
rapport sur le krach de Wall Street de 2008 qui documente combien la fraude et
la criminalité sont répandues au sein de tout le système financier et de ses
relations avec le gouvernement.
Le rapport de 650 pages est le résultat
d'une enquête qui s'est déroulée sur deux ans et qui comprend 150 entrevues et
dépositions ainsi que l'examen de courriels et documents internes de grandes
banques, d'organismes de réglementation gouvernementaux et d'agences de
notation. Le rapport, intitulé « Wall Street et la crise financière :
Analyse d'un effondrement financier », établit que le krach financier et
la récession qui a suivi étaient le résultat de fraude et d'escroquerie
systémiques de la part des prêteurs hypothécaires et des banques, de connivence
avec les sociétés de notation et avec la complicité du gouvernement et de ses
organismes de réglementation des banques.
Le World Socialist Web Site
analysera en détail le contenu de cet important document dans les prochains
jours. Sa portée fondamentale est cependant déjà claire. D'après le résumé du
rapport, « L'enquête a découvert que la crise n'était pas un désastre
naturel, mais le résultat de produits financiers complexe, à haut risque; de
conflits d'intérêts maintenus secrets; et du fait que les organismes de
contrôle, les agences de notation et le marché lui-même n'aient pas freiné les
débordements de Wall Street. »
Lors d'une conférence de presse mercredi,
et dans d'autres entrevues par la suite, le sénateur Carl Levin (démocrate du
Michigan), président du sous-comité, a été encore plus explicite. « En se
basant sur des courriels, des notes de service et d'autres documents internes »,
a-t-il dit, « ce rapport montre les dessous d'un assaut économique qui a
fait perdre à des millions d'Américains leur emploi et leur maison, et qui a
ruiné des investisseurs, des entreprises et des marchés de qualité. Des prêts à
haut risque, le manque de supervision, des notations financières gonflées et
des firmes de Wall Street impliquées dans d'immenses conflits d'intérêts ont
contaminé le système financier des États-Unis avec des hypothèques toxiques et
ont miné la confiance du public dans les marchés américains. »
« En utilisant les mots mêmes que l’on
trouve dans les documents que le sous-comité avaient exigés pour son enquête,
le rapport montre comment des sociétés financières ont délibérément profité de
leurs clients et investisseurs, comment des agences de notation ont donné la
cote AAA à de titres à haut risque, et comment les organismes de contrôle n'ont
rien fait plutôt que de mettre un frein aux pratiques risquées et douteuses
partout autour d'eux. Des conflits d'intérêts endémiques sont au coeur de cette
sordide histoire. »
Levin a ensuite ajouté que l'enquête
avait trouvé « un désordre financier où régnaient la cupidité, les
conflits d'intérêts et les méfaits ». Il a dit au New York Times :
« Hors de tout doute, ces institutions ont trompé leurs clients et trompé
le public, et les organismes de contrôle et les agences de notation,qui étaient
en situation de conflit d'intérêts, en sont complices. »
Le rapport est divisé en quatre sections,
chacune se concentrant sur un élément particulier du réseau de fraude et
d'abus : les prêteurs hypothécaires, les organismes de contrôle, les
agences de notation et les banques d'investissement de Wall Street. La première
section traite du cas typique de Washington Mutual (WaMu) en détaillant les
pratiques prédatrices et trompeuses d'octroi de prêts, de comptabilité et de
communication de l'information financière qui ont mené, suite à l'implosion du
marché hypothécaire des subprimes, à l'effondrement de la banque et la reprise
par JPMorgan Chase en septembre 2008.
La seconde section étudie le rôle
corrompu de l'organe fédéral de l'Office of Thrift Supervision (OTS), qui a supervisé
trois des plus grands échecs financiers de l'histoire des États-Unis :
Washington Mutual, IndyMac et Countrywide Financial. Le rapport affirme que,
« sur une période de cinq ans, de 2004 à 2008, OTS a souligné plus de 500
faiblesses importantes chez WaMu, mais n'a rien fait pour forcer la banque à
améliorer ses pratiques d'octroi de prêts et a même entravé la supervision de
la banque par un autre organisme de contrôle, la FDIC ».
La troisième section documente le système par lequel les
agences de notation Moody's et Standard & Poor's ont attribué des cotes de
crédit supérieures aux obligations adossées à des actifs (CDO) et à
d’autres titres complexes liés à des subprimes et à d'autres prêts
hypothécaires toxiques, ce qui permet aux banques de faire des milliards de
dollars en faisant passer ces valeurs mobilières pourries pour des placements
de catégorie supérieure. En retour, les agences de notation ont engrangé des
bénéfices énormes pour leurs services.
Comme le rapport l'indique : « Les agences de
notation ont été payées par les entreprises de Wall Street qui ont demandé leur
cotation et ont profité des produits financiers cotés... Les agences de
notation ont assoupli leurs normes alors que chacune faisait compétition pour
fournir la cote la plus favorable pour gagner une plus grande part des
entreprises et du marché. Le résultat a été une course vers le bas ».
La dernière section examine la fraude et la tromperie
perpétrées par les grandes banques d'investissement qui ont profité d'abord de
l'inflation du marché immobilier américain, puis de son implosion ensuite. Elle
prend comme exemples Goldman Sachs et la Deutsche Bank. Goldman a commencé à
miser fortement en 2007 que le marché immobilier s'effondrerait, vendant sous différentes formes des obligations adossées à des actifs
liées à des prêts hypothécaires à haut risque même si elle pariait secrètement
que la valeur de ces mêmes titres allait être en chute libre.
Le rapport cite des courriels par le plus gros opérateur
mondial de CDO de la Deutsche Bank, Gregg Lippman, qualifiant les titres
hypothécaires à risque mis sur le marché par la banque de « merde »
et de « goinfres », et les opérations de la banque de « machine
à CDO », qu'il désigne comme une « chaîne de Ponzi ».
Le document souligne le rôle central des grandes banques
de Wall Street qui ont répandu la fraude, en déclarant: « Les banques
d'investissement ont été la force motrice derrière les produits de financement
structurés qui ont fourni un flux régulier de financement aux bailleurs de
fonds se développant en des prêts à haut risque et de mauvaise qualité et qui
augmentaient le risque dans tout le système financier américain. Les banques
d'investissement qui ont fabriqué, vendu et échangé des prêts hypothécaires
liés à des produits financiers structurés, et qui en ont profité, ont été une
cause majeure de la crise financière ».
Le portrait général en est un de criminalité de la part de
l'établissement financier dans son ensemble qui, avec l’aide de tous les
paliers de gouvernement en tant que co-conspirateur, ont systématiquement pillé
l'économie afin de continuer à s'enrichir. Le résultat est un drame social pour
des dizaines de millions de personnes aux États-Unis et de plusieurs millions
dans le monde entier. Et pourtant, le résultat de ce crime historique est que
les banquiers et les spéculateurs sont plus riches et plus puissants que jamais.
Pas un seul des cadres supérieurs d'une grande banque des
États-Unis, d’un fonds de couverture, d’une entreprise hypothécaire
ou d’une compagnie d’assurance n’a été mis en prison. Aucun
d’eux n’a même été poursuivi.
Tout porte à croire qu’aucun ne sera accusé
criminellement dans le futur. Comme pour le rapport semblable accablant sorti
en janvier par la Commission d'enquête de la crise financière américaine, le
rapport du Sénat a été en grande partie enterré par les médias de masse. Il a
été brièvement rapporté dans les pages intérieures de certains des principaux
journaux et à peine mentionné par les réseaux de télé, pour ensuite être
abandonné.
Un jour après la publication du rapport
du Sénat, le New York Times a publié un long article concernant
l’absence de poursuite judiciaire contre les criminels de Wall Street. Il
raconte la tenue d'une réunion privée entre l’ancien président de la
banque de la réserve fédérale de New York (qui est maintenant le secrétaire au
Trésor d’Obama), Timothy Geithner, et l’ancien ministre de la
Justice de New York, Andrew Cuomo, en octobre 2008, où Geithner avait fortement
encouragé Cuomo à faire marche arrière sur les enquêtes des banques et des
agences de notations.
L’article fait le contraste entre
l’absence d’accusations criminelles contre les banquiers
aujourd’hui et ce qui avait suivi la débâcle des prêts et des épargnes à
la fin des années 1980, lorsque des équipes spéciales du gouvernement avaient
déféré 1100 cas à la Couronne et plus de 800 responsables des banques avaient
été emprisonnés. Il note le déclin important des renvois, par les régulateurs
des banques, au FBI, de 1837 cas en 1995 à 75 en 2006. Lors des quatre années
suivantes, à l’apogée de la crise financière, une moyenne de seulement 72
responsables des banques par année a été la cible de poursuites criminelles.
L'OTS n’a pas déféré un seul cas au
département de la Justice depuis 2000 et le Bureau du contrôleur de la monnaie,
un groupe du département du Trésor, a déféré seulement un cas dans la dernière
décennie.
Comment cela est-il possible? Pourquoi le
PDG de Goldman, Lloyd Blankfein, le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon,
l’ancien PDG de Washington Mutual, Kerry Killinger, ainsi que le
secrétaire au Trésor Geithner et son prédécesseur Henry Paulson (anciennement
le PDG de Goldman), ne sont pas en prison?
De tels manipulateurs financiers sont
protégés alors que les travailleurs sont privés d’emplois, de salaires,
de maisons et de services sociaux essentiels afin de payer pour les dettes
engendrées par le transfert de trillions de dollars en fonds publics vers les
banques. La résistance collective à cette attaque est en train d’être
criminalisée par des lois antigrèves, qui imposent des amendes et des peines de
prison pour les travailleurs qui entrent en lutte.
Une raison expliquant l’absence de
poursuite judiciaire est le pouvoir des individus impliqués, qui exercent tous
une immense influence sur les politiciens, les médias et le système judiciaire.
Mais les causes sont plus larges que le statut de quelques individus, tout
comme ce sordide état de choses n’émerge pas de la cupidité individuelle,
mais plutôt d'une profonde crise de tout le système.
La criminalisation de la classe
dirigeante américaine est le résultat de plus de trois décennies durant
lesquelles l’accumulation de richesse par l’élite financière et
patronale est devenue de plus en plus séparée de toute la production. Dans sa
quête du profit, la classe dirigeante a démantelé de larges sections de
l’industrie et s’est tournée résolument vers la manipulation et la
spéculation financière.
L’ascendance des sections les plus
parasitaires de la classe capitaliste a été accompagnée par un déclin marqué du
niveau de vie de la classe ouvrière. Les sections les plus riches et les plus
puissantes ont acquis une quantité stupéfiante de richesses en pillant la
société.
La classe dirigeante elle-même sent que
de poursuivre l’une ou l’autre des personnalités les plus en vue
qui ont escroqué le peuple américain (et toute l’humanité) exposerait
rapidement tout le système. C'est juger le système capitaliste lui-même dont il
serait question.