Jusqu’à un millier de civils auraient été massacrés dans la ville de
Duékoué en Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest. C’est la plus forte
perte en vies humaines dans l’ancienne colonie française depuis les
élections présidentielles contestées de novembre 2010.
Il y a un face à face entre les deux candidats présidentiels rivaux
depuis les élections. L’impasse s’est à présent transformée en guerre
civile, alors qu’Alassane Ouattara, qui est soutenu par la France, les
Etats-Unis et des organisations internationales, tente d’évincer le
président sortant, Laurent Gbagbo.
Les forces de Ouattara se sont emparées de la plus grande partie du pays,
dont la capitale politique Yamassoukro et le port principal de San Pedro.
Elles luttent pour prendre le contrôle de la capitale commerciale, Abidjan.
Gbagbo conserve le soutien de sa garde présidentielle, forte de 2.500
hommes, d’un nombre inconnu de mercenaires et du Mouvement Jeunesse
patriotique. Après la résolution du 30 mars du Conseil de sécurité des
Nations unies, de nombreux éléments au sein de l’armée sont allés faire
allégeance à Ouattara.
La France et le Nigeria ont soutenu la résolution qui appelle l’ensemble
des responsables d’Etats à reconnaître Ouattara. Ceci a été le signal pour
le début d’un assaut militaire contre les forces de Gbagbo.
« En un sens, cette résolution est peut-être le dernier message que nous
voulons lancer à Gbabgo et qui est très simple : Gbabgo doit partir, » a dit
l’ambassadeur de France à l’ONU, Gérard Araud. « C’est le seul moyen
d’éviter une véritable guerre civile et peut-être une violence sanglante
dans les rues d’Abidjan, » a-t-il affirmé.
C’est exactement le contraire qui s’est passé. La résolution de l’ONU a
donné le feu vert à une guerre civile aux conséquences désastreuses pour la
population civile. Un million de personnes sont supposées avoir fui la Côte
d’Ivoire ces derniers mois. Les chiffres ont augmenté ces quelques derniers
jours. Nombre d’entre eux ont franchi la frontière vers le Liberia voisin,
qui est à présent confronté à une crise humanitaire dans des camps de
réfugiés surpeuplés. Les habitants d’Abidjan s’abritent chez eux alors que
des bombardements intensifs continuent autour du palais présidentiel et que
des jeunes armés errent dans les rues. Les magasins et les stations-service
ont été pillés.
Henry Gray, coordinateur de Médecins sans Frontières a dit aux
journalistes, « Nous visitions des cliniques jusqu’il y a quelques jours,
mais la situation dans les rues s'est tellement détériorée qu’il est tout
simplement devenu trop dangereux de sortir. Il y a beaucoup de pillage en
cours et si vous vous trouvez dans les rues, c'est simple, vous êtes pris
pour cible. Il règne une véritable atmosphère de crainte, notamment dans les
quartiers plus pauvres. »
La politique de la France en Côte d’Ivoire suit le modèle fixé en Libye
où la France et la Grande-Bretagne ont obtenu une résolution de l’ONU pour
une zone d’exclusion aérienne sous prétexte de protéger les civils. L’action
militaire en Libye et en Côte d’Ivoire reflète l’attitude de plus en plus
agressive que les puissances occidentales sont en train d’adopter en Afrique
où elles se trouvent confrontées à une concurrence de plus en plus acharnée
de la part de la Chine et d’autres économies émergentes pour l’obtention de
ressources.
La France a renforcé sa présence militaire en Côte d’Ivoire. Paris y
maintient une présence militaire reposant sur l’Opération Licorne depuis la
guerre civile précédente. L’Opération Licorne opère en coordination avec
l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (UNOCI). Paris a dépêché
maintenant 300 troupes supplémentaires en faisant passer le nombre de
soldats français à 1.400. Ils ont pris le contrôle du principal aéroport.
L’AFP a fait état d’un communiqué du colonel Thierry Burkhard,
porte-parole de l’Opération Licorne, qui a dit, « Licorne, en coordination
avec l’ONUCI, a pris le contrôle de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. Des
troupes de l’UNOCI et de Licorne garantissent la sécurité et le contrôle du
trafic aérien à l’aéroport. » Ceci permettrait, a dit Burkhard, « de faire
atterrir des avions civils et militaires pour permettre à certains
ressortissants qui souhaiteraient quitter le pays de pouvoir le faire. »
Il y a quelque 12.000 citoyens français en Côte d’Ivoire mais aucun
projet n’a été fait pour les évacuer. L’ONU a déjà évacué son personnel non
militaire. Il y a plusieurs semaines, elle avait ordonné à son personnel non
essentiel de quitter le pays lorsque les installations de l’ONU étaient
devenues la cible d’attaques des forces de Gbagbo. L’aéroport s’était
précédemment trouvé entre les mains de l’ONU et aurait pu servir à une
évacuation en cas de besoin. La prise de contrôle de l’aéroport par les
Français est un acte d’agression coloniale. Sous le couvert du droit
international et de préoccupations humanitaires, la France est en voie de
réaffirmer un contrôle direct sur la Côte d’Ivoire.
Les victimes à Duékoué sont les conséquences immédiates de cette poussée
de la France de ré-établir son pouvoir en Afrique. La responsabilité devrait
en incomber à l’Elysée où le président Nicolas Sarkozy tenait une réunion
dimanche pour discuter de la situation en Côte d’Ivoire. Le massacre a eu
lieu alors que les forces de Ouattara étaient en train de prendre le
contrôle de la ville.
Washington a été obligé de critiquer Ouattara malgré son soutien
politique à son égard. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a
exprimé des préoccupations au sujet du massacre à Duékoué en appelant « les
forces du président Ouattara à respecter les règles de la guerre et à cesser
d’attaquer des civils. »
Guillaume Ngéfa, directeur adjoint de l’ONUCI a dit que les forces de
Ouattara avaient perpétré les meurtres à Duékoué. « Nous avons des preuves,
nous avons des photos. C’était des représailles. »
« Nous recevons des appels de partout, du Nord, de l’Est, du Sud,
d’Abidjan et de villages aussi, » a dit Guillaume Ngéfa à la radio
Deutsche Welle.
Ngéfa a admis que des forces pro Ouattara avaient perpétré des atrocités
ailleurs. Dans un cas, un village complet avait été vidé de ces habitants et
remplacé par des partisans d’Ouattara. Il était au courant qu’il y avait eu
des cas de viol et que les loyalistes de Gbagbo avaient « disparu. » Un
hélicoptère de l’ONU avait été attaqué par des forces de Ouattara dans le
Nord du pays, a-t-il dit.
Malgré cette information, l’ONUCI affirme ne pas avoir su ce qui s’était
passé à Duékoué. Cependant, la ville était connue pour être une poudrière
potentielle. Elle domine la région productrice de cacao de Côte d’Ivoire et
est un carrefour stratégique. Il existe des tensions depuis longtemps dans
la ville entre des groupes qui se considèrent comme des Ivoiriens
autochtones et des « étrangers » venus du Nord du pays. Ces derniers jours,
des centaines de personnes déplacées ont fui la ville en augmentant les
tensions entre les communautés rivales.
Les survivants disent que lorsque les forces de Ouattara sont entrées
dans la ville, elles sont allées tout droit au quartier Carrefour qui est
connu pour être un quartier pro-Gbagbo. « Il y a eu de nombreux assassinats,
elles ont incendié les lieux et complètement brûlé le [quartier], » a dit
Patrick Nicholson de l’organisation catholique Caritas.
Les victimes ont été fusillées ou massacrées à coups de machettes. Les
forces pro-Gbagbo battant en retraite et des mercenaires libériens se sont
repliés sur Guiglo, ville distante de quelque 25 miles (40 kilomètres), où
ils ont massacré des travailleurs immigrés des plantations de cacao.
L’ampleur totale de ce qui s’est passé dans le quartier n’est pas encore
claire mais le massacre à Duékoué est bien documenté. Les responsables de la
Croix Rouge ont tenté de ramasser les corps pour identifier les victimes. La
porte-parole de la Croix Rouge (ICRC) Dorothea Krimitsas a reconnu, « Il ne
fait pas de doute que quelque chose s'est produit dans cette ville sur une
grande échelle et sur quoi l’ICRC continue de recueillir des informations.
Tout semble indiquer qu’il s’agissait de violence interethnique.
L’évêque Gaspard Béby Gnéba de Man a fait état de la situation en
rapportant que plus 1.500 personnes se sont réfugiées dans mission locale :
« Il y a une situation humanitaire traumatique. Ils ont besoin de
nourriture, de médicaments, d’eau, de sanitaires. Les gens ont tout perdu –
maisons et vêtements – ils n’ont même pas de paillasse pour dormir. »
Des réfugiés au Liberia ont dit à la BBC que des combattants avaient
attaqué leur village avec l’ordre de « tuer absolument tout le monde. »
« Je ne peux pas rentrer chez moi, les rebelles ont des fusils. Je n’ai
pas de fusil. Ils tuent les gens et violent les femmes. Ils peuvent tuer des
enfants et puis ils prennent les jeunes enfants pour combattre. C’est
impossible. Je ne peux pas retourner chez moi, » a dit un homme.
Clinton n’avait pas d’autre solution que de mettre en garde Ouattara
contre le comportement de ses troupes mais Washington est néanmoins
déterminé à remplacer Gbagbo et a clairement indiqué son soutien à Ouattara.
Malgré le massacre, elle a affirmé que « Gbagbo fait sombrer la Côte
d’Ivoire dans le désordre. Il doit partir maintenant pour que le conflit
s’achève. »
La baronne Ashton de l’Union européenne a répété l’appel de Clinton. « Alassane
Ouattara est le président démocratiquement élu de la [Côte d’Ivoire], »
a-t-elle dit. « Je presse Laurent Gbagbo à démissionner immédiatement et à
se rendre aux autorités légales. »
Ce qu’Ashton décrit comme « des autorités légales » sont aussi en
train de perpétrer des atrocités et des crimes de guerre dans la mesure où
même l’ONU attribue la majorité des massacres de civils aux forces de
Ouattara. Ouattara est seulement soutenu parce qu’il agit en tant que fondé
de pouvoir pour les principales puissances qui veulent s’assurer que la Côte
d’Ivoire reste sous leur domination.
(Article original paru le 4 avril 2011)